Avec un M comme dans  » match « 

Impliqué dans les procès les plus retentissants, Jean-Philippe Mayence monte au front pour défendre le député Bernard Wesphael. Un combat de plus pour cet avocat carolo brillant, et parfois agaçant. Portrait.

Sur son bureau, il n’y a rien. Sauf un dossier comme on en voit dans les films policiers, haut de 10 centimètres. L’homme est tel qu’annoncé : impeccable. Légèrement bronzé, souriant, parfaitement à l’aise sous son costume bleu, sa chemise à lignes, sa cravate rose. La cinquantaine assumée, il garde de l’enfance, au milieu du menton, une fossette… Il a peu dormi, annonce-t-il d’emblée : il a participé jusque tard dans la nuit à un tournoi de bridge et dès potron-minet, il était à pied d’oeuvre. En une phrase, voilà crayonné, à gros traits, le portrait de Jean-Philippe Mayence, cet avocat pénaliste carolo, rendu célèbre par ses interventions dans les procès Cools, Pirson, Habran ou Storm, et, souvent, ses succès. Depuis peu, il défend aussi le député wallon Bernard Wesphael.

Jean-Philippe Mayence dort donc peu, quatre ou cinq heures par nuit. Quelle que soit l’heure, les affaires le hantent et il n’est pas rare qu’il se relève pour coucher quelques notes sur papier, dans la maison familiale et silencieuse qu’il habite à Mont-sur-Marchienne.

L’homme est aussi joueur.  » Enfant, il avait déjà ce tempérament, raconte sa mère, Jacqueline Mayence, ancienne députée et ministre wallonne libérale. Il faisait du foot, du tennis, de la natation, intensément. Il était très bon en tout. Dès qu’il y avait jeu, dépense d’énergie et possibilité de gagner, il était partant.  » Et excellent. Presque écoeurant… pour les autres.

Aujourd’hui, cet athlète continue à pratiquer le tennis, le golf et, quotidiennement, le tennis de table avec son plus jeune fils, Martin.  » Faire des balles ne m’intéresse pas, reconnaît l’avocat. Il me faut un match.  » Et il faut qu’il le gagne, car il est mauvais perdant. Au palais de justice, la même niaque le porte. D’ailleurs, là non plus, ce compétiteur fou ne supporte pas de perdre : il veut être le meilleur. Point.

Faut-il que ce troisième de famille ait choisi cette tactique pour exister ?  » Il a toujours pris beaucoup de place, se souvient sa mère. Sa soeur aînée, Anne, et son frère Baudouin, âgé de 11,5 mois de plus que lui, étaient beaucoup plus calmes. Il était le plus explosif.  »

L’inoxydable 25216

Enfant, Jean-Philippe Mayence fréquente les mouvements de jeunesse et devient pensionnaire dans un collège qui, sans surprises, propose de multiples activités sportives à ses ouailles.  » Vu le travail de mes parents, j’étais habitué à vivre sans eux, raconte-t-il. J’avais aussi envie d’indépendance. J’ai parfois pris la maison pour un hôtel…  »

A l’époque, ce n’est pas un grand bûcheur devant l’Eternel – il y a tant d’autres choses à faire dans la vie ! – mais il ne rate aucune année. Chez lui, on parle justice à table : son père, Philippe, est un pénaliste reconnu et son grand-père paternel, un magistrat. Plus tard, on y parlera aussi politique. Son père, candidat à la présidence nationale du PSC (l’ancêtre du CDH) en 1972, est conseiller communal à Gosselies, tandis que sa mère s’engage sur les listes libérales, jusqu’à devenir ministre wallonne et vice- présidente du PRL.

A l’Université de Louvain, où il étudie – forcément – le droit, Jean-Philippe Mayence ne dédaigne pas de boire une bière (ou deux) au cercle étudiant de la Carolo. Il joue toujours au foot à l’Olympic de Charleroi et y rentre deux fois par semaine pour ses entraînements. A l’époque, il vit en kot avec quelques amis auxquels il est resté fidèle : Michel Masquelier, ancien avocat reconverti dans la gestion des licences et des droits sportifs, Alexandre Sprenger, avocat, Paul Dewandre, comédien connu pour son spectacle Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus, l’avocat carolo Pierre Huet et Xavier Maindiaux, également avocat, décédé en 2001. Le numéro de leur kot, le 25216, leur sert de nom de ralliement.  » Malgré nos vies bien occupées, nous nous voyons toujours, confirme Paul Dewandre. J’ai rencontré Jean-Philippe cet été au festival d’Avignon. Il est venu me voir jouer plusieurs fois, notamment à Paris. Nous sommes fiers les uns des autres.  »

Comme Zidane

Sorti de ses études, Jean-Philippe Mayence, qui n’envisage pas d’être pénaliste, commence son stage d’avocat dans un cabinet spécialisé en droit des affaires. Mais après quelques mois, il demande à intégrer le cabinet de son père, où il retrouve son frère Baudouin, également avocat. Il pratique toujours le football, cette fois dans l’équipe du Barreau. Il porte le numéro 10. Comme jadis Zidane et Platini.

Commence alors une carrière qui fait peu à peu de lui l’un des pénalistes les plus brillants du pays. L’homme connait évidemment ses dossiers. Il a de la mémoire. Doté d’une puissance de travail peu commune, plus rapide que beaucoup d’autres dans l’assimilation de la matière, il dispose en outre d’un indéniable talent rhétorique.  » C’est un grand avocat, affirme le pénaliste namurois Marc Preumont, qui est aussi son ami. Sa force de persuasion est impressionnante. Aux assises, il sait ce qui intéresse les juges et comment les prendre.  » Pareil avec les jurés. Celui que certains, à Charleroi, appellent  » Messire  » donne aux gens l’impression qu’ils sont intelligents.

L’homme connait la procédure sur le bout des doigts et son expérience lui permet de faire référence à des dossiers anciens.  » Ce qui laisse cois certains magistrats « , relève Pierre Huet. Du coup, quelques-uns le redoutent, inquiets à l’idée d’être renvoyés dans les cordes par une de ses remarques, justifiée, ou d’ouvrir la voie à un recours en cassation. Jean-Philippe Mayence est aussi très réactif. Il retombe toujours sur ses pattes et il a de la répartie. Jusqu’à l’arrogance ou, pire, l’agressivité, ce qu’on ne manque pas de lui reprocher.  » Il peut être cinglant avec les médiocres et méprisant avec les hypocrites « , reconnait un avocat de ses amis. Enfin, il a une faculté d’approche psychologique hors du commun. Le tout le consacre comme un très grand avocat, même ceux qui ne sont pas ses amis en conviennent.  » Il ne faut plus comparer Jean-Philippe à son père, assure l’avocat Michel Bouchat : il a pris toute sa dimension personnelle. Son père serait fier de lui.  »

 » Qui êtes-vous, Maître ?  »

A Charleroi, Jean-Philippe Mayence joue à domicile. Certains magistrats l’estiment, d’autres beaucoup moins.  » Un magistrat apprécie d’avoir face à lui des avocats de qualité, détaille Jean-François Jonckheere, qui l’a croisé plusieurs fois lorsqu’il présidait la cour d’assises de Mons. C’est confortable de travailler avec des avocats dont on sait qu’ils ne trahiront pas la confiance que l’on met en eux.  »

A Bruxelles, en revanche, certains magistrats ne se privent pas de demander à Jean-Philippe Mayence de se présenter, arguant qu’on ne le connait pas dans la capitale. Un camouflet qui ne fait pas sourire cet homme sensible à la critique et convaincu que sa notoriété est nationale.  » J’aime rire de tout, sauf de moi, concède-t-il. Je manque sans doute d’humilité.  »

 » A l’université, il était déjà le centre d’intérêt, confirme Jean-Philippe Lebeau, président du tribunal de commerce de Charleroi. C’est qu’il a du charme et du charisme, en plus d’être gentil.  » Jean-Philippe Mayence est aussi un séducteur. Ce qui explique, entre autres choses, son sens de la communication avec les médias.  » Il rayonne, il attire « , résume l’avocat Pierre Lemaire, qui travaille avec lui depuis 25 ans. Alors, bien sûr, il fait des envieux.

Doté d’un ego musclé, comme tous les pénalistes, Jean-Philippe Mayence déteste travailler avec d’autres avocats : il aime tirer la couverture à lui.  » Il est très difficile d’obtenir une forme de solidarité de sa part, confirme l’avocat bruxellois Pierre Chomé. Il roule pour lui seul.  »

A l’aise dans tous les milieux, Jean-Philippe Mayence évolue tant au golf du Zoute que dans les petits bistrots de Charleroi, où il lui arrive de pratiquer la belotte, ou au stade de foot.  » Il s’adapte aux gens qu’il rencontre, relève Michel Bouchat. Et il plaide de la même manière pour un chef d’entreprise et pour un chômeur.  »

La distraction des fées

Dans le milieu judiciaire, les pénalistes constituent une caste à part. Et une jungle : tous s’observent, certains se jalousent. La pression, en cour d’assises, est palpable, qu’elle vienne de l’opinion publique ou des médias.  » Ils portent le stress dans les plis de leur front « , souligne Jean-François Jonckheere. Face à l’horreur qui fait souvent leur quotidien, ils doivent tenir droit. Il faut, pour cela, un caractère en acier trempé.

Des proches solides, aussi. Et une équipe de collaborateurs qui assure, en coulisses. C’est le cas pour Jean-Philippe Mayence. Dans le cabinet qu’il dirige, fort de 11 avocats et 4 secrétaires, l’ambiance est détendue en même temps que le travail est exigeant. On y fête volontiers l’anniversaire de l’un ou l’autre et certains travaillent là depuis trente ans.

Ils croisent, dans les couloirs, les clients du  » patron « . On l’accusait jadis d’être l’avocat des truands ? Depuis dix ans, sa clientèle s’est modifiée. Il conseille aujourd’hui l’homme d’affaires carolo Robert Wagner, le ministre André Antoine, le Sporting de Charleroi, et même l’ancien bourgmestre d’Hasselt, Steve Stevaert.

La réussite de Jean-Philippe Mayence, dont certains disent qu’une fée a dû se pencher au-dessus de son berceau tant tout lui réussit, ne l’a pas pour autant mis à l’abri des vilains coups que réserve parfois l’existence. Son frère Baudouin meurt du sida en 1994, révélant du même coup à sa famille une homosexualité qu’il avait toujours tue. Son père Philippe succombe en 2001. Comme la mère de ses enfants, plus récemment. Ces blessures-là restent béantes, même si l’avocat assure ne vouloir garder de ces absents si présents que les plus belles images, et non les plus douloureuses. Il dit s’être endurci au fil des ans et des coups du sort. Carapace de verre…

Sa maman rappelle d’ailleurs combien, enfant, il était impressionnable.  » Nous avions visité une ferme, à Waterloo, où était conservé le squelette d’un soldat de Napoléon. Jean-Philippe n’a pas voulu entrer. Aujourd’hui, il supporte bien pire en cour d’assises, mais la sensibilité est toujours là et l’émotion, intacte.  » Au point d’avoir souvent les larmes aux yeux.

La réussite de Me Mayence n’est pas que de notoriété. Elle est aussi financière.  » Il est très cher « , disent les uns, tandis que lui affirme travailler parfois pour rien, en fonction de ses coups de coeur. Coupant l’herbe sous le pied des critiques, il reconnaît qu’il vit bien, dépensant son argent avec plaisir.  » Je ne thésaurise pas, dit-il. Mais je me demande souvent si, vu ce que je gagne, je fais suffisamment pour les autres.  »

En attendant, il roule en Porsche, aime les marques, s’est acheté une maison à Marrakech. C’est son côté mondain, qui agace tant ses détracteurs. Il s’est mis au bridge. A ses débuts, il n’hésitait pas à demander aux meilleurs de l’affronter.  » Parce que je suis Mayence « , leur lançait-il pour justifier son audacieuse invitation. Depuis lors, il y excelle. Amateur de bonnes tables et de bons vins, il aime sortir. Rire. Voyager. Au risque de brûler la vie par les deux bouts.  » Je ne calcule pas, dit-il. Je fonce.  »

Attaché à sa ville et à  » cet esprit qu’on ne trouve nulle part ailleurs « , il a déjà été approché par le CDH et le MR pour entrer dans la bataille politique. Mais il aime trop son métier pour le quitter. Et il veut rester libre. Notamment pour veiller sur ses trois fils, dont les deux aînés étudient le droit. Ils font aussi du sport. Jean-Philippe Mayence ne sait en revanche ni dessiner, ni jouer de la musique. Penchées au-dessus des berceaux, les fées sont parfois distraites…

Par Laurence van Ruymbeke

 » J’aime rire de tout, sauf de moi. Je manque sans doute d’humilité  »

 » Il peut être cinglant avec les médiocres et méprisant avec les hypocrites  »

 » Il est bon en tout. C’est presque écoeurant  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire