Angela Merkel ou le triomphe de la discrétion

Face aux hommes politiques qui étalent leur vie privée, la nouvelle chancelière a préféré se tenir sur la réserve. Et cela lui réussit

C’est l’état de grâce ! En l’espace de seulement deux mois, Angela Merkel a imposé sa griffe, étonné le monde, séduit les médias et éclipsé le souvenir de son prédécesseur, Gerhard Schröder. De Bruxelles à Washington et de Moscou à Paris – en passant par Versailles, où la chancelière allemande a inauguré cette semaine, avec Jacques Chirac, l’éblouissante exposition Splendeurs de la cour de Saxe – son style pragmatique, sobre et déterminé fait désormais réfléchir. Au sein du couple franco- allemand, elle a su imposer son autorité face au président français. Elle a refusé à ce dernier la baisse du taux de TVA sur la restauration, affirmé sa différence de vue quant à la relance de l’Europe, tout en soutenant le discours de Chirac sur l’adaptation de la doctrine nucléaire française aux menaces terroristes. Il y a un  » phénomène  » Merkel. D’autant plus visible que, sous les feux des projecteurs, la première femme à accéder à la chancellerie est parvenue à préserver sa vie privée, au point que celle-ci constitue une sorte de mystère.

 » La mise en scène, ce n’est pas son truc « , confirme son amie Annette Schavan, ministre de l’Enseignement et de la Recherche. A la différence de Gerhard Schröder, qui n’hésitait pas à s’afficher auprès de sa très médiatique épouse, Doris, la nouvelle chancelière n’est pas du genre à se montrer en couple. Cela s’explique sans doute par ses années est-allemandes. En RDA, tous les citoyens se savaient surveillés : cloisonner vie publique et vie privée était dans la nature des choses. Une seule fois, cependant, Angela Merkel a succombé à la tentation d’apparaître dans des pages people. C’était l’été dernier, juste avant les élections, en accueillant des journalistes de l’hebdomadaire Bild am Sonntag dans sa maison de campagne, une modeste bâtisse située près de Templin, dans le Brandebourg, en bordure d’un lac. Mal lui en prit : posant en survêtement et en chaussures de sport aux côtés de son mari et d’un pêcheur local, elle n’y apparaissait pas franchement à son avantage. Et fut aussitôt raillée.

Quoi qu’il en soit, l’épisode a permis au public de découvrir dans l’intimité celui qui partage la vie d’Angela Merkel depuis deux décennies, Joachim Sauer. Professeur de chimie à l’université Humboldt de Berlin depuis 1993, ce brillant scientifique est un mari discret. Hormis son apparition annuelle au festival wagnérien de Bayreuth, où il accompagne systématiquement son épouse, ses apparitions publiques sont rarissimes. D’où son surnom, dans le magazine Stern :  » Le Fantôme de l’Opéra « à En août 2005, il a assisté, lors des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) de Cologne, à l’audience accordée par le pape à quelques personnalités politiques allemandes. Et le 1er janvier, à Vienne, il a été vu au traditionnel concert du Nouvel An donné par le Philharmonique. Pour le reste,  » M. Merkel  » semble refuser tout contact avec le monde extérieur. Le 22 novembre, lors de la cérémonie d’investiture de son épouse, il était invisible au Bundestag.

Fils d’un commerçant de la Saxe et père de deux grands fils issus d’un premier mariage,  » Achim  » – comme l’appelle  » Angie « , elle aussi divorcée tout en ayant gardé le nom de son premier mari, Ulrich Merkel – a rencontré sa seconde femme au début des années 1980. Personne ne sait, depuis, quand la physicienne et le chimiste ont décidé de vivre ensemble. Seule certitude :  » Angie  » tient  » Achim  » pour l’un de ses meilleurs conseillers. Car, s’il fuit la sphère publique, ce dernier est, dit-on, très porté sur la chose politique.

Cette passion habitait également les parents d’Angela Merkel. Son père, Horst Kasner, austère pasteur de Hambourg, passé à l’Est en 1954 pour évangéliser en terre communiste, était chargé de former les futurs théologiens de la RDA au Waldhof, à Templin, un établissement de l’Eglise protestante accueillant des handicapés. C’est lui qui a incité sa fille aînée à entrer en politique après la chute du Mur. Chez les Kasner, on a toujours aimé la confrontation des idées et les discussions à bâtons rompus.  » Un jour, j’ai rendu visite aux parents d’Angela pour une rencontre de routine concernant mon élève, se souvient un ancien professeur de mathématiques, Wolf Donath. Je suis reparti à 3 h 30 du matin ! Nous avons passé la soirée à parler de politique, de Dieu, de l’avenir du monde.  »

Adolescente, Angela Kasner baigne dans un milieu riche en échanges intellectuels. Et sa curiosité semble insatiable. Elle part, sac au dos, avec son amie Brigitte Lange, pour une virée au lac Balaton, en Hongrie, ou une randonnée en Tchécoslovaquie, à la découverte du monde.  » Elle n’arrêtait pas de poser des questions, se souvient son ancienne amie, devenue psychologue pour enfants. Elle voulait toujours en savoir plus. On ne s’ennuyait jamais avec elle.  » Au lycée, animée par la volonté d’être la meilleure, Angela collectionne les bonnes notes, sauf en sport.  » Elle ne se réalise pleinement que lorsqu’elle est au sommet « , précise aujourd’hui Gerd Langguth, l’un de ses biographes. Lycéenne modèle, elle prend cependant un malin plaisir à s’appuyer sur les arguments de la propagande officielle afin que ses professeurs s’empêtrent dans leurs contradictions. Lorsque la classe doit, comme c’était l’usage en RDA, présenter un  » projet culturel  » de fin d’année, la future chancelière propose de chanter L’Internationale en anglais…

Avec Templin, Angela a conservé le contact. Ses parents, de paisibles retraités, y résident toujours. Aujourd’hui, à 77 ans, sa mère, Herlind, qui n’avait pas le droit de travailler dans l’Allemagne communiste en raison de l’engagement religieux de son mari, rattrape le temps perdu. Professeur interdite d’enseignement en RDA, elle donne maintenant des cours d’anglais. En revanche, elle a préféré mettre en veilleuse ses activités politiques, afin de ne pas perturber la carrière de sa fille. Un temps, Herlind fut en effet conseillère municipale au sein… du Parti social-démocrate (SPD). Du reste, elle fut la première à être surprise lorsque Angela Merkel rejoignit, en 1990, les rangs des chrétiens-démocrates de la CDU. Au sein de sa propre famille, on la croyait à gauche ! La chancelière a toujours su étonner son monde.

Blandine Milcent

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