Sahara occidental: la tentation de la guerre intensive
Brahim Ghali a été réélu président de la République arabe sahraouie démocratique. Mais des voix se sont fait entendre pour accroître la confrontation avec le Maroc. Dans un contexte où certains pays européens privilégient la «solution marocaine» au conflit.
Brahim Ghali, 73 ans, a été réélu, le 20 janvier, président de la République arabe sahraouie démocratique. Ce n’est pas une surprise. Celui qui fut un des fondateurs du Front populaire pour la Saguía el-Hamra et du Rio de Oro (Polisario), porte-voix des aspirations à l’indépendance du peuple du Sahara occidental, était le président sortant. Mais le résultat qu’il a obtenu à l’issue du vote des quelque 2 000 représentants du mouvement réunis dans le camp de réfugiés de Dakhla, au sud-ouest de l’Algérie, l’est davantage. En 2016, seul prétendant, il avait été adoubé à une majorité écrasante. Cette année, confronté à Bachir Mustapha Sayed, il a récolté 69% des suffrages.
La décision de Trump sur la « marocanité » du Sahara a donné des ailes aux Marocains qui ont cru qu’ils pouvaient faire une percée diplomatique en Europe.
Si cette élection témoigne de la vitalité du pluralisme chez les Sahraouis, elle consacre aussi ses divisions à un moment charnière du mouvement pour l’indépendance de cette ancienne colonie espagnole dont les deux tiers du territoire sont occupés par le Maroc depuis le milieu des années 1970. Il y a maintenant deux ans que le cessez-le-feu qui avait été conclu entre le Front Polisario et le Maroc, en 1991, a été rompu après des affrontements autour de la ville de Guerguerat, à l’extrême sud du Sahara occidental, dans une zone tampon proche de la Mauritanie. Ostensiblement – le tiers des voix qui s’est porté sur Bachir Mustapha Sayed le démontre –, une partie de la population sahraouie ne se satisfait pas de la politique «attentiste» de Brahim Ghali à l’égard du Maroc et souhaiterait intensifier le combat contre l’occupant. Il faut néanmoins rappeler, à la décharge du président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), qu’au cours des deux dernières années, il a été contaminé par le virus du Covid, qu’il a dû être hospitalisé en Espagne, et qu’il en est sorti affaibli. Il n’empêche. Le vent du changement de leadership et de stratégie a soufflé sur les plaines désertiques au sud de Tindouf.
Le revirement de l’Espagne
La lassitude ou l’inquiétude que révèle cette discorde a nécessairement été alimentée par l’évolution du regard porté sur la cause sahraouie par plusieurs pays européens: l’Espagne, l’ Allemagne, la Belgique… Avec des intensités diverses, ils ont accrédité l’idée que le plan d’autonomie pour le Sahara présenté par le Maroc pouvait être une «base sérieuse» de négociation pour l’avenir du territoire. Une hypothèse que réfutent les dirigeants de la RASD. «A l’automne 2020, le président Donald Trump a pris la décision soudaine de reconnaître la « marocanité » du territoire du Sahara occidental en rupture avec le droit international ou, par exemple, avec la position de l’Union africaine qui reconnaît la République arabe sahraouie démocratique, rappelle Pierre Galand, président du comité belge de soutien au peuple sahraoui. Cette reconnaissance s’inscrivait dans le cadre des accords d’Abraham qui prévoyaient la normalisation des relations bilatérales entre Israël et plusieurs pays arabes, dont le Maroc. La décision a provoqué un choc. Elle a aussi donné des ailes aux Marocains qui ont cru, à partir de là, qu’ils pouvaient faire une percée diplomatique en Europe. Mais leur plan d’autonomie n’est rien d’autre qu’un plan d’annexion.»
Leur premier objectif a été l’Espagne, l’ancienne puissance coloniale du Sahara occidental. Comme le gouvernement espagnol avait accepté d’accueillir, dans un hôpital de Barcelone, le président de la RASD Brahim Ghali pour ses soins anti-Covid, et avait de la sorte provoqué une crise avec Rabat, l’affaire semblait mal embarquée. Le Maroc décida d’exercer un chantage aux migrants en laissant des centaines d’entre eux franchir les barrières qui séparent son territoire des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. Et le gouvernement de Madrid se montra plus conciliant, soucieux aussi de ses intérêts économiques et énergétiques, en tant qu’un des principaux partenaires commerciaux du royaume chérifien.
En visite au Maroc le 18 mars 2022, le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, a donc considéré que le plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental était «la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend» du Sahara occidental. Le 26 août de la même année, la cheffe de la diplomatie allemande, Annalena Baerbock, également en déplacement à Rabat, emboîtait le pas au chef du gouvernement ibérique en évoquant «une bonne base pour une résolution acceptée par les deux parties». Le 20 octobre, c’était au tour de son homologue belge Hadja Lahbib, également en mission dans la capitale marocaine, d’indiquer que le plan d’autonomie marocain était «une bonne base à partir de laquelle une solution pourrait être construite». Sa déclaration ayant suscité des critiques en Belgique, notamment dans le chef de spécialistes en droit international dans une tribune publiée dans Le Soir intitulée «Le soutien de la Belgique à l’initiative marocaine d’autonomie ignore les droits du peuple du Sahara occidental», elle souhaita par la suite expliquer sa position.
Si le chef de la diplomatie européenne a utilisé les qualificatifs de «sérieux et crédibles», c’était pour qualifier les efforts du Maroc, pas son plan d’autonomie.
Elle l’a refait à notre demande ce 24 janvier. «La Belgique appelle au respect du cessez-le-feu, […], à une solution négociée, dans le cadre de l’ONU, dans le respect des résolutions du Conseil de sécurité. Toute proposition qui nous rapproche de cet objectif, qui peut servir de base à la discussion, est une bonne proposition. Un compromis entre les parties au conflit doit finalement être scellé par un référendum. Notre pays soutient la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso) et appelle chaque année à un renouvellement de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sur la Minurso (renouvelé le 27 octobre 2022). Au cours de sa récente visite au Maroc, la ministre Lahbib a plaidé en faveur de la reprise d’un dialogue politique. A cet égard, la proposition marocaine d’autonomie peut être considérée comme « un effort sérieux et crédible » et comme « une bonne base » à partir de laquelle une solution pourrait être construite qui est mutuellement acceptable. Ceci est en ligne avec le droit international. C’est également une position partagée par l’Union européenne et nos pays voisins et par l’envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU au Sahara occidental, M. Staffan de Mistura, que j’ai rencontré avant de me rendre au Maroc afin d’être alignée avec les Nations unies.»
Solution équitable
Cette prise de position pose une série de questions. Peut-on soutenir à la fois la mission de l’envoyé du Secrétaire général de l’ONU, censée être impartiale, et appuyer autant la solution marocaine au conflit dont on sait qu’elle est en contradiction complète avec les revendications des dirigeants sahraouis qui, par ailleurs, ne sont pas évoquées? On ne comprend pas davantage comment cette position peut être «en ligne avec le droit international» alors que les résolutions du Conseil de sécurité prévoient un référendum sur… l’autodétermination du territoire. L’Union européenne partage-t-elle vraiment la vision de la ministre belge? «Le haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Josep Borrell, a été très clair: l’Union européenne défend la position de négociation telle qu’elle est engagée par l’ONU selon les résolutions du Conseil de sécurité, souligne Pierre Galand. Il l’a répété lors du voyage qu’il a effectué au Maroc, les 5 et 6 janvier.» Et si le chef de la diplomatie européenne a utilisé les qualificatifs de «sérieux et crédibles», c’était pour qualifier les efforts du Maroc en vue d’une solution au conflit, pas le plan d’autonomie marocain.
Il n’est donc pas du tout sûr que la position de Madrid, de Berlin, de Bruxelles aide à la recherche, par l’envoyé de l’ONU nommé en octobre 2021, d’une solution équitable pour les deux parties.
Marocgate et Sahara
Le scandale de corruption au Parlement européen, en évoluant du Qatargate au Marocgate, a remis en lumière l’intense lobbying que le pouvoir marocain peut exercer sur des responsables politiques. Influence et pas nécessairement ingérence ou, pire, achat de votes. Un des champs de cette activité a été et est toujours la question du Sahara occidental et la position des Européens pour la résoudre. Président du Comité belge de soutien au peuple sahraoui, l’ancien sénateur Pierre Galand se souvient avoir été approché par un «émissaire marocain». «Il y a une vingtaine d’années, j’ai eu à mes trousses pendant deux mois un soi-disant journaliste qui a fini par me dire: « On ne vous demande pas de changer d’avis. On vous connaît. Vous êtes un homme engagé. Vous avez des positions extrêmement claires sur la Palestine. Nous les respectons. Est-ce que vous accepteriez seulement de vous taire sur le Sahara occidental? » Je lui ai demandé: pourquoi devrais-je me taire? « Ecoutez, ce n’est pas difficile. On vous payera deux fois ce que vous payent les Algériens. » Je lui ai rétorqué: attendez, vous savez ce que cela veut dire: zéro plus zéro. Foutez le camp d’ici, je ne veux plus vous voir. Le lendemain, il avait disparu de Bruxelles», assure Pierre Galand.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici