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Loin de la Russie et de l’Ukraine, le Sahara occidental reste occupé par le Maroc (chronique)

Anne Lagerwall
Anne Lagerwall Professeure de droit international à l'ULB

La Russie n’est pas la seule à annexer des territoires et reconnaître des Etats fantoches. Loin de l’Ukraine, le Maroc considère toujours le Sahara occidental comme une partie de son territoire.  

Fin septembre se tenaient des référendums dans les régions ukrainiennes de Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijia, alors en partie sous le contrôle de la Russie. La population sur place a répondu affirmativement à la question de savoir si elle désirait que ces régions soient rattachées à la Russie, avec des majorités frôlant ou dépassant les 90 %. Les Nations unies ont condamné l’organisation de ces référendums illégaux et «la tentative d’annexion illégale des régions ukrainiennes».

En 2014 déjà, les Nations Unies avaient dénié au référendum organisé en Crimée et à la brève «République de Crimée» toute validité. La Russie dispose d’une sacrée expertise en matière d’Etats fantoches, si on entend par là des Etats qui ne disposent d’aucune autonomie à l’égard d’une puissance étrangère ou occupante. A l’est de la Moldavie, la «République moldave de Transnistrie» survit depuis 1992 grâce à la présence de soldats russes. Et les «Républiques d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud» sont devenues des réalités à la suite de la guerre menée contre la Géorgie en 2008.

La Russie dispose d’une sacrée expertise en matière d’Etats fantoches.

Ce modus operandi est cependant loin d’être l’apanage de la Russie. En 1932, l’invasion de la Mandchourie par le Japon permet de créer le Mandchoukouo qui, malgré les protestations de la Société des Nations, survivra jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1974, le déploiement de soldats turcs à Chypre rend possible l’établissement d’une «République turque de Chypre du Nord» en 1983, qui y est encore installée. Au début des années 1990, dans le contexte du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, la «République d’Artsakh» est proclamée sur un territoire situé à l’intérieur des frontières internationalement reconnues de l’Azerbaïdjan, avec le soutien militaire et politique de l’Arménie.

L’ONU condamne régulièrement la politique du fait accompli et rappelle aux Etats leur devoir de ne pas entériner les conséquences des interventions militaires et des occupations maintenues en violation de la Charte des Nations unies. Que resterait-il de celle-ci si les Etats offraient une consécration formelle aux situations qui la violent si fondamentalement?

Mais le temps consolide la réalité sur le terrain, inexorablement. D’aucuns sont tentés d’avaliser la solution imposée militairement. Ce ne sera probablement pas le cas en Ukraine. Mais à peine plus loin à vol d’oiseau, le Sahara occidental reste partiellement occupé par le Maroc dans une relative indifférence. Depuis 2020, les Etats-Unis soutiennent même officiellement que ce territoire fait partie du Maroc, alors que la Cour internationale de justice, la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ont clairement établi que ce n’est pas le cas.

L’Espagne, les Pays-Bas, l’Allemagne, la France, et la Belgique depuis quelques jours estiment que le plan d’autonomie pour le Sahara occidental proposé par le Maroc constitue une «bonne base» pour résoudre le conflit, sans jamais rappeler que le Maroc n’y renonce aucunement à considérer que son royaume inclut le Sahara occidental, une position adoptée en violation flagrante de la Charte des Nations unies.

Les indignations sélectives des Etats européens effritent la crédibilité de leurs discours lorsqu’ils rappellent les principes fondamentaux de l’ordre juridique international et nourrissent les argumentaires de ceux qui tentent d’en saper l’autorité. Le moment n’est-il pas venu de faire en sorte que le temps des annexions territoriales soit définitivement révolu?

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