Pas invoquée dans l’attentat de Bruxelles, la guerre entre Israël et le Hamas crée un climat très lourd (analyse)

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La cruauté des attaques du Hamas contre les civils et les représailles indiscriminées de l’armée israélienne font craindre une « désinhibition de l’horreur », qui n’épargnerait pas l’Europe.

En première analyse, l’attentat commis par le Tunisien Abdessalem Lassoued le 16 octobre à Bruxelles s’inscrit dans un contexte spécifique, les relations tendues entre la Suède et des nations musulmanes après une série d’autodafés et autres piétinements de coran. L’étonnement, en l’occurrence, émane de l’endroit où il a été perpétré, la Belgique, qui a involontairement fourni, en accueillant la Suède en match de qualification pour l’Euro 2024, une opportunité pour traduire la haine de la liberté d’expression scandinave d’un islamiste en assassinats, plus facilement qu’un coreligionnaire n’aurait pu le faire en Suède-même ou contre les intérêts suédois dans les Etats musulmans. Ces cibles-là bénéficient de mesures de protection plus importantes que trois malheureux supporters sur le chemin du Heysel. Ce constat démontre une fois encore le caractère internationaliste du djihadisme et sa détermination à atteindre ses objectifs.

Arras, Bruxelles, Conflans-Sainte-Honorine: à chaque fois, un acte solitaire

A première vue, l’assassinat du professeur Dominique Bernard par le Russe d’origine ingouche Mohammed Mogouchkov, le 13 octobre dans le lycée Gambetta-Carnot d’Arras, dans le nord de la France, s’inscrit dans un cadre singulier. Il mêle l’idéologique islamiste à la détestation de l’Etat français, l’influence d’une parentèle extrémiste à un ressentiment personnel, et sans doute aussi une part de mimétisme avec l’acte d’un autre fondamentaliste originaire du nord du Caucase, le Tchétchène Abdoullakh Anzorov, assassin de Samuel Paty, trois ans plus tôt presque jour pour jour, à Conflans-Sainte-Honorine.

“Combattants” de l’Etat islamique

Rien ne relie organiquement Mohammed Mogouchkov, 20 ans, et Abdessalem Lassoued, 45 ans. Mais les deux hommes se sont réclamés de l’Etat islamique, groupe djihadiste sunnite dont la structure au Moyen-Orient s’est effondrée dans la chute de son califat en 2019. Preuve, s’il en fallait encore, que “le djihadisme, avant d’être des attentats, ce sont des idées”, comme le rappelait le spécialiste du terrorisme islamiste Hugo Micheron dans son dernier essai, La Colère et l’oubli (Gallimard, 2023, 400 p.)

Tous les deux ont posté des vidéos de revendication sur les réseaux sociaux préalablement à leur acte, l’assaillant de Bruxelles poussant le “zèle” jusqu’à en diffuser une seconde, une fois sa “mission accomplie”. Mohammed Mogouchkov et Abdessalem Lassoued ont aussi fait état dans leurs messages numériques d’une préoccupation pour la cause palestinienne. Une “allusion très marginale”, a précisé une source au sein des enquêteurs français à propos du premier. Sans qu’un lien direct puisse être établi avec l’attaque de la place Sainctelette, a expliqué en substance le porte-parole du parquet fédéral Eric Van Duyse, le soir du lundi 16 octobre à propos d’Abdessalem Lassoued. La guerre au Proche-Orient ne serait donc qu’un élément périphérique dans la motivation des assaillants d’Arras et de Bruxelles.

Le contexte entourant les attentats est lourd

Ce contexte-là n’est pourtant pas anodin. Il est un marqueur extrêmement prégnant des relations entre les Arabes et les Occidentaux, entre les musulmans et les chrétiens. Comme argumentation qui distillerait le doute sur le pouvoir actuel de contagion de la violence proche-orientale, on peut rappeler que le mouvement palestinien n’a plus recouru au terrorisme en Europe depuis des décennies. C’était l’arme des groupes nationalistes dans les années 1970 et 1980. Elle ne l’est plus. Elle n’a en revanche jamais cessé d’être utilisée sur le territoire israélien.

A contrario, deux évolutions peuvent infléchir cette tendance. La guerre déclenchée le 7 octobre atteint et atteindra une dimension peu observée dans la région depuis longtemps. Et la radicalisation du Hamas dans une fuite en avant qui, au vu des massacres de civils en Israël, est assimilable à des pratiques du groupe Etat islamique, est théoriquement susceptible de déboucher sur une nouvelle forme d’action, en Europe aussi.

Djihadisme d’atmosphère

Telles sont les perspectives que l’on peut dresser pour le terrorisme qui serait d’essence strictement palestinienne. Elles ne disent rien de la possibilité que des organisations inscrites dans un djihadisme plus “internationaliste”, comme l’Etat islamique et al-Qaeda, puissent trouver dans la “revigoration” de la confrontation avec Israël un terreau pour remobiliser des fidèles au service du combat contre les “Etats impies” en Occident et les “dirigeants renégats” des pays arabes, au premier chef ceux qui ont pactisé avec Israël dans le cadre des Accords d’Abraham.

Ce serait alors à ce que Gilles Kepel, spécialiste du Moyen-Orient et auteur du récent Prophète en son pays (L’Observatoire, 2023, 296 p.), a appelé le “djihadisme d’atmosphère” qu’il y aurait lieu de se référer. “La troisième génération du djihadisme, celle de Daech, était structurée à la manière […] d’un réseau, une espèce d’organisation réticulaire dont le « califat » entre 2014 et 2019 fut un point nodal, expliquait-t-il dans une interview à la revue Le Grand Continent. Les attentats les plus meurtriers, au Bataclan et à l’aéroport de Bruxelles-Zaventem, ont été propulsés par Daech.

Aujourd’hui, le djihadisme de quatrième génération ne repose pas vraiment sur un réseau institué, mais s’installe dans une atmosphère préexistante dont il est l’aboutissement.” Et en l’occurrence, avec le conflit d’envergure entre Israël et le Hamas et son lot de souffrances, l’atmosphère devrait s’avérer très lourde en Europe. Y compris parce que le cap franchi par le Hamas dans la violence insoutenable est de nature à désinhiber les esprits les plus retors et brutaux. Si la jonction se fait entre le martyre palestinien et le délire sacrificiel daechien, l’Europe peut s’attendre à de douloureux tourments.

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