Les opposants à la loi sur la sécurité globale ont manifesté le samedi 28 novembre. A Paris, le rassemblement s'est terminé par des affrontements, illustration des tensions sur ce dossier. © getty images

Macron dans le piège de la sécurité

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La vidéo d’une nouvelle bavure ébranle la volonté du gouvernement de protéger les policiers d’images diffusées de façon malveillante. Pataquès politique sur fond de vrai problème de société.

Dans un premier temps, il y a une « proposition de loi relative à la sécurité globale ». Depuis quelques mois, le président Emmanuel Macron investit le domaine régalien qu’il a négligé, lui reproche-t-on, pendant la première partie de son mandat. Et son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, espère par cette législation donner des gages aux forces de sécurité. Elle prévoit une extension des compétences de la police municipale, la création, à Paris, d’un corps de ce type doté de 5 000 agents d’ici à 2024, un meilleur encadrement des sociétés de sécurité privée…

Dans un deuxième temps, il y a la diffusion de la vidéo d’un tabassage en règle par des policiers d’un Parisien, Michel Zecler, 41 ans, producteur de musique, dans le hall d’entrée de son studio du XVIIe arrondissement, le samedi 21 novembre. Que lui reprochait-on? De ne pas avoir porté de masque sur le seuil de son lieu de travail et de dégager une odeur de cannabis… Dans leur procès-verbal, les pandores affirment que l’homme les a menacés et qu’ils pensaient se trouver dans un espace d’entrée public. Des accusations que les images filmées démentent.

Le sort incertain de l’article 24

Si cette vidéo et d’autres, réalisées par des riverains, montrant la poursuite des coups sur le trottoir, n’existaient pas, comment Michel Zecler aurait-il pu prouver sa bonne foi et obtenir le classement sans suite des accusations portées contre lui? C’est là où la « petite » histoire ébranle le « grand » dessein de Gérald Darmanin et d’Emmanuel Macron puisque la fameuse loi sur la sécurité globale, en son article 24, prévoit de pénaliser la diffusion malveillante d’images de policiers… Il avait déjà suscité la contestation de l’opposition de gauche à l’Assemblée nationale, d’une partie de la société civile, des journalistes… La vidéo des violences policières à Paris va donner un nouveau souffle à cette critique et provoquer un énorme embarras dans les rangs du parti présidentiel La République en marche (LREM). La diffusion intervient le jeudi 26 novembre, soit deux jours après l’adoption par l’Assemblée nationale de la proposition de loi de sécurité globale. Un vote au cours duquel trente députés LREM se sont abstenus et dix l’ont rejetée.

Le discours musclé des politiques et de la hiérarchie […] exacerbe l’impression d’un sentiment d’impunité.

Devant la montée de la contestation, illustrée par les critiques politiques y compris à droite et par des manifestations rassemblant au moins 130 000 personnes dans plusieurs villes, dont Paris, l’exécutif décide de reculer et de revoir au minimum la formulation de l’article 24. D’abord, le Premier ministre Jean Castex et le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin suggèrent de la confier à une commission indépendante. Mais, face à la colère que cette idée provoque parmi les députés et sénateurs de tous bords dépossédés de leurs prérogatives, le chantier est finalement repris en main par le groupe LREM à l’Assemblée nationale et, ironie de l’histoire, par son chef de file, Christophe Castaner, qui n’est autre que… le prédécesseur de Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur.

L'article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale embarrasse désormais le ministre de l'Intérieur Darmanin et le président Macron.
L’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale embarrasse désormais le ministre de l’Intérieur Darmanin et le président Macron.© getty images

Ainsi, les oracles prédisent désormais à l’article 24 de la loi sur la sécurité globale un évidement de sa substance ou sa dilution dans l’article 25 de la législation contre le séparatisme, autre chantier régalien lancé par Emmanuel Macron, qui prévoit de sanctionner la diffusion d’informations sur une personne « dans le but de l’exposer, elle ou des membres de sa famille, à un risque immédiat d’atteinte à la vie, à l’intégrité physique ou psychique ». Cette disposition répond à l’acharnement opéré sur les réseaux sociaux contre le professeur d’histoire-géographie Samuel Paty, assassiné par un extrémiste islamiste à Conflans-Sainte-Honorine, le 16 octobre dernier. Quelle que soit la solution privilégiée, elle ne sera pas à l’honneur de la présidence d’Emmanuel Macron.

Des problèmes structurels?

En toile de fond de ce pataquès politique, se pose la question récurrente des violences policières en France. Sur les quatre agents impliqués dans le tabassage de Michel Zecler, trois ont été mis en examen pour « violences volontaires avec interruption temporaire de travail inférieure à huit jours par personne dépositaire de l’autorité publique avec arme en réunion et accompagnées de propos à caractère raciste » et pour « faux en écriture publique, violation de domicile et dégradation de bien ». Rapidement après la diffusion des images, leur ministre de tutelle a condamné leurs agissements, annoncé leur suspension, et, un peu hâtivement, prédit leur révocation. Il s’agissait pour Gérald Darmanin d’éteindre l’incendie survenu au plus mauvais moment.

Des images accablantes pour les policiers qui ont agressé le producteur de musique parisien.
Des images accablantes pour les policiers qui ont agressé le producteur de musique parisien.© Belgaimage

Quelques jours auparavant, le lundi 23 novembre, il avait déjà été mis en cause pour l’évacuation musclée, par des policiers, d’un camp de migrants installé place de la République, à Paris. Une opération qui visait à dénoncer l’absence de réponse structurelle à leur problème de logement. La mésaventure de Michel Zecler aggravait son cas et questionnait la nature de ces violences policières.

Sont-elles le fait de comportements individuels inacceptables ou le résultat de problèmes structurels au sein de la police et de la gendarmerie? Sont-elles consciemment ou inconsciemment favorisées par l’autorité administrative ou politique? Gérald Darmanin, héritier revendiqué de l’action de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur, y contribue-t-il? Ces questions méritent débat. Un chef de service de la police faisait cette confidence au Figaro: « Le discours musclé des politiques et de la hiérarchie, même mâtiné de rappels déontologiques, exacerbe l’impression d’un sentiment d’impunité dans les rangs (de la police), expliquait-il. En l’occurrence, le préfet de police de Paris, Didier Lallement, connu pour ses méthodes et ses propos carrés, pourrait servir de fusible si le dossier pourrissait.

Si l’arme non létale n’est pas dangereuse, pourquoi se priver de ses effets hautement efficaces?

Armes non létales questionnées

Certains vont plus loin dans leur dénonciation de la stratégie des politiques et responsables des forces de sécurité. Ils puisent leurs arguments dans la violence qui a accompagné les opérations de maintien de l’ordre face aux manifestations des gilets jaunes de l’automne 2018 au printemps 2019. On se souvient du nombre élevé de blessés, éborgnés ou victimes d’une main arrachée dans leurs rangs auxquelles elles avaient donné lieu. L’usage excessif ou à mauvais escient d’armes non létales, notamment le LBD 40 lanceur de balles en caoutchouc, avait alors été questionné. Pour Paul Rocher, économiste et professeur à Sciences Po Paris, « la décision d’accorder une place grandissante à ces armes dans le maintien de l’ordre reflète l’ambition de la classe dominante d’assurer son hégémonie à un moment particulièrement décisif, où elle tente de réaliser une transformation structurelle de la France – un projet à fort potentiel de contestation ».

« Du point de vue des gouvernements, l’attractivité des armes non létales vient précisément de la promesse de la quadrature du cercle: maintenir l’ordre sans infliger de blessures irréversibles », énonce Paul Rocher dans son essai Gazer, mutiler, soumettre (1). Sauf que selon lui, le recul de dangerosité permis par les armes non létales, qui est lui-même sujet à caution, serait contrebalancé par un surcroît de recours à la répression. « Contrairement à l’idée selon laquelle la police est censée réagir par la répression exclusivement en réponse à des actes hostiles des manifestants, la disponibilité d’une arme non létale légitime un comportement agressif sous n’importe quelles circonstances. Si l’arme n’est pas dangereuse, pourquoi se priver de ses effets hautement efficaces? »

Réformer la police des polices

La succession ces derniers mois de cas de violences policières ne permet plus à l’exécutif français de faire l’autruche, même si la population est bien consciente qu’elles s’inscrivent dans un contexte où les violences exercées à l’encontre des policiers se sont aussi multipliées. Des images de l’un d’entre eux rudement agressé lors la « marche des libertés » à Paris, le samedi 28 novembre, l’ont rappelé. Le président Macron a donc exhorté son gouvernement à trouver des remèdes aux dérives, délétères pour la profession, de certains flics. La formation devrait être renforcée. La diffusion des images des caméras- piétons dont ils seront de plus en plus équipés sera autorisée. Et l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), la police des polices chargée d’enquêter sur les dysfonctionnements internes, pourrait se transformer en instance indépendante. Ce ne serait pas le moindre des progrès dans ce chantier de longue haleine tant l’impunité des policiers fautifs semble être récurrente et miner la capacité de la profession à revoir certains de ses comportements.

(1) Gazer, mutiler, soumettre, Politique de l’arme non létale, par Paul Rocher, La fabrique, 200 p.

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