Taxer plus les entreprises pour financer la rénovation des infrastructures: l'option défendue par Joe Biden a été relativement bien accueillie. © belga image

Joe Biden, instigateur d’une nouvelle ère d’interventionnisme étatique?

Maxence Dozin
Maxence Dozin Journaliste. Correspondant du Vif aux Etats-Unis.

Joe Biden veut financer son programme de rénovation des infrastructures par une hausse de l’impôt des sociétés. Mais celui-ci a déjà été beaucoup plus élevé.

Le président Joe Biden se profile-t-il, trois mois après le début de son mandat, comme l’instigateur d’une nouvelle ère d’interventionnisme étatique? Héritier, comme son prédécesseur démocrate Franklin Roosevelt au début des années 1930, d’une crise nationale d’ampleur inédite, financière et sanitaire cette fois, l’ancien sénateur du Delaware semble se positionner comme un président de grands chantiers, estimant qu’une « fenêtre est ouverte pour une modernisation dans la durée du pays ». Profitant d’une conjoncture politique favorable, alors que les Etats-Unis sont largement en avance sur leurs objectifs de vaccination, Joe Biden, après avoir proposé 1 900 milliards de dollars pour soutenir l’économie et lutter contre la pandémie, a annoncé, le 31 mars, un nouveau plan de 2 250 milliards pour, entre autres, rénover les infrastructures vieillissantes du pays.

Même s’il irrite la droite, le nouveau taux d’imposition des sociétés proposé est raisonnable au regard de ce qu’il était sous Barack Obama.

Cet enjeu fait l’objet d’un vaste consensus au sein du public américain, 80% de sondés s’y déclarant favorables. Le président a par ailleurs promis une enveloppe de 1 000 milliards de dollars supplémentaires pour aider les familles les plus précarisées, et notamment dans le cadre des programmes d’aide alimentaire, alors qu’un ménage américain sur dix signale être en situation de précarité dans ce domaine. Ces nouvelles mesures seront financées par une augmentation des taxes sur les entreprises.

Défenseur des classes moyennes et inférieures

Dans la foulée de l’annonce de son plan, le président a appelé le Congrès à « faire preuve d’initiative pour proposer amendements et modifications à ce dispositif », encourageant « à ne pas tomber dans le piège de l’inaction ». Le nouveau plan de 2 250 milliards de dollars, dont les dépenses seront ventilées sur huit années, porte principalement sur une rénovation des infrastructures, et notamment sur celle des dix mille ponts que compte le pays. Mais d’autres chantiers sont concernés. Un tiers de cette somme consolidera un réseau routier et ferroviaire vieillissant, un autre tiers développera les réseaux de communication numérique, les chaînes d’approvisionnement industrielles et la politique de logements publics. Le dernier tiers servira essentiellement à améliorer le secteur de l’aide à domicile. Sur l’ensemble des dépenses prévues, près de 40% concernent directement le social. Joe Biden se pose donc plus que jamais en défenseur des classes moyennes et inférieures.

Si une partie du camp démocrate se félicite de ces annonces, à l’instar de Bernie Sanders, président du comité sénatorial des dépenses publiques, certains à la gauche du parti, notamment la députée de la chambre basse Alexandria Ocasio-Cortez, estiment que ces efforts budgétaires ne sont « pas suffisants ». Du côté républicain, en revanche, si l’on estime « partager l’avis du président » sur la nécessité de moderniser les infrastructures, on se montre farouchement opposé à l’ampleur des dépenses. Le sénateur conservateur du Missouri, Roy Blunt, a résumé un sentiment largement répandu chez les conservateurs en estimant que « les dépenses d’infrastructures, même si elles sont en tête des priorités, cachent bien d’autres dépenses – estimées à 70% – qui n’y sont aucunement liées. »

D’autres sénateurs républicains ont insisté sur l’absence de volonté réelle du président de travailler de manière bipartisane et dénoncé son empressement à « détricoter tout de go les mesures prises par les républicains sous Donald Trump ». Ils visaient là la décision du président de financer ses plans par une hausse du taux d’imposition des sociétés. Celui-ci avait été ramené en 2017 de 35% à 21%. Joe Biden entend le porter désormais à 28%. Professeur de finances publiques à l’université de Georgetown, Mark Carl Rom considère que, « même s’il irrite la droite qui a fait des crédits d’impôt pour les entreprises une de ses priorités sous Trump, le nouveau taux d’imposition proposé est raisonnable au regard de ce qu’il était sous Barack Obama. » « De plus, analyse-t-il, le secteur entrepreneurial, qui n’est certes jamais désireux de payer des taxes plus que de raison, a tout à gagner d’une modernisation à grande échelle des infrastructures du pays, qu’elles soient routières ou qu’elles concernent les moyens de communication électronique. »

Une approbation pas acquise

Sous la présidence de Bill Clinton ou, bien avant, sous celle de Ronald Reagan, le taux d’imposition des sociétés américaines était supérieur à ce qu’il est aujourd’hui. Il a atteint au début des années 1950 un pic de 50% pour décliner progressivement par la suite. La technique de crédit d’impôt pour les plus fortunés (entreprises ou personnes physiques) visant à appuyer la théorie du ruissellement des richesses en partant du haut, qui a connu un pic sous Trump, n’est donc pas fondamentalement remise en question sous Biden.

Comme le souligne le professeur Mark Carl Rom, « le président devra tout de même faire appel à toute son ingéniosité pour convaincre les deux chambres d’adhérer à ses vues. Même au Sénat, où les démocrates détiennent la majorité par voix de préférence, convaincre les cinquante élus du parti ne sera pas une mince affaire. » Un soutien conservateur à ses plans d’investissement étant plus que jamais exclu, il appartiendra à Joe Biden de fédérer de son camp pour faire du début de son mandat une réussite, alors qu’il a annoncé considérer la possibilité d’en briguer un second.

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