Les miliciens du Hamas ont été «aidés» par nombre de civils lors du massacre du 7 octobre dans les alentours de Gaza. © getty images

Israël-Hamas : contre la déshumanisation, « rendre la vie plus désirable que la mort »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Retour sur le massacre du Hamas et, au-delà de l’horreur, sur des actes de bravoure et des gestes de solidarité entre communautés. Pour ne pas céder complètement à la déshumanisation.

«Les assassins se sont acharnés à détruire les corps, que ce soit avec des armes explosives sur des civils sans défense – lance-roquettes antichars, grenades thermobariques… –, en utilisant tout ce qui leur passait par les mains ou en incendiant les maisons, les morts et de trop nombreuses fois les vivans – dont la trachée engorgée de cendres traduit parfois une agonie abominable.» Telle est la conclusion des médecins légistes qui, en Israël, ont examiné les corps des 1 140 personnes assassinées le 7 octobre dans l’attaque du Hamas, qui ne fut pas juste un épisode de plus dans le conflit israélo-palestinien mais un tournant dramatique.

C’est notamment pour lutter contre le «négationnisme en direct» qui a sévi, et sévit toujours, dans les pays musulmans sur ce massacre commis il y a cinq mois qu’une équipe des journalistes de l’hebdomadaire Le Point, sous la direction de Jérémy André, a voulu documenter ce déchaînement de violences dans Un pogrom au XXIe siècle. Israël 7 octobre 2023 (1). Suite de témoignages de rescapés ou de proches de victimes, le récit chronologique décrit, comme dans le kibboutz de Be’eri, «les familles entières torturées et assassinées, les femmes éventrées ou à l’évidence violées, les têtes décapitées, les corps (dont un bébé) défigurés ou carbonisés».

Arabes israéliens sauveurs

Il y a aussi des scènes étonnantes entre des assaillants et leurs victimes qui, malgré le gouffre de violence qui les sépare, partagent des bribes d’une histoire commune. Le récit de l’attaque, par cinq terroristes dans la ville d’Ofaqim, à 25 kilomètres de Gaza, de l’habitation de Rachel et David Edri, des sexagénaires, est éloquent. «Dans la maison, les coups pleuvent sur Rachel et David. Savta (“mamie”, en hébreu) Rachel gagne du temps. Parlant arabe, cette Juive marocaine achète la clémence des tortionnaires à coups de gâteaux, de thé. Elle bavarde avec eux. “Vous me faites penser à ma mère”, lui confie l’un d’eux. Il faudra l’intervention d’une section d’assaut des Yamam, la force spéciale antiterroriste d’Israël, à 3 heures du matin le dimanche, pour éliminer ce commando.»

La survie de plusieurs participants au festival de musique Supernova, le 7 octobre, est due à la bravoure de secouristes improvisés.
La survie de plusieurs participants au festival de musique Supernova, le 7 octobre, est due à la bravoure de secouristes improvisés. © getty images

Comme souvent, le drame engendre son lot d’actes de bravoure. Des dizaines de sauveteurs improvisés sont intervenus dans «l’enveloppe de Gaza» le jour du massacre pour suppléer les services de secours débordés. Ils ont limité l’hécatombe au péril de leur vie, à l’image de Yaïr Golan, un ancien chef d’état- major adjoint de Tsahal et ex-député, qui a sillonné le désert pour secourir des jeunes au gré des signalements par des proches de la localisation de leur refuge (lire l’encadré). L’assistance à personnes en danger a pu aussi provenir d’Arabes israéliens, comme Youssef Zyadney, un chauffeur de taxi de Rahat, ville bédouine du sud d’Israël, parti rechercher des clients qu’il avait déposés au festival Supernova, théâtre du plus grand massacre du 7 octobre. Ou l’ambulancier Awad, membre du centre Givat Haviva d’éducation à la paix, qui, mobilisé sur le même lieu, décida de continuer à porter secours aux blessés, pensant que sa qualité d’Arabe israélien le mettrait à l’abri de la violence des miliciens du Hamas et qui fut froidement assassiné.

Si les cibles avaient été militaires

Cas inspirants et exceptionnels puisque ce tournant dans l’histoire du Proche-Orient a d’évidence éloigné un peu plus encore Israéliens et Palestiniens. On s’en rend compte à la lecture du livre des deux journalistes Benoît Christal et Gallagher Fenwick, 7 octobre 2023 Israël Gaza. L’affrontement des tragédies (2), même si certaines personnalités, parmi les nombreuses interviewées dans l’ouvrage, ce qui fait sa richesse, n’ont pas renoncé au dialogue. Ministre de la Culture de l’Autorité palestinienne entre 2013 et 2014, Anwar Abou Eisheh, lui qui ne voterait jamais de sa vie pour le groupe islamiste, ne peut s’empêcher de clamer que «nous sommes tous Hamas aujourd’hui, devant tous ces morts, et toutes ces souffrances à Gaza à cause des attaques et de cette campagne de haine contre le peuple palestinien». Au gré des témoignages recueillis par les deux auteurs, émergent pourtant des voix qui s’écartent de cet unanimisme. Ainsi, ce jeune photographe palestinien, soucieux de préserver son anonymat, qui a renoncé à pénétrer en territoire israélien le 7 octobre dans la foulée des miliciens du Hamas et des civils, et qui, les voyant revenir avec des otages, s’émeut: «On est Palestiniens! On ne va pas kidnapper des civils! Seulement des soldats!» Le propos amène en effet à se demander, si le Hamas s’était «contenté» d’attaquer des postes militaires et de kidnapper des soldats, en quoi la nature du conflit en aurait été changée… On n’en serait pas assurément à ce stade de haine réciproque.

On ne tue pas une idéologie avec des armes.

Ainsi, la notion de déshumanisation est endossée par Miri Eisin, la directrice de l’Institut international du contre-terrorisme à l’université Reichman, près de Tel-Aviv: «Nous n’avons pas compris combien l’idéologie génocidaire était ancrée, et j’insiste sur le terme de génocide. Pendant des années, nous n’avons entendu parler que de délégitimation d’Israël. Nous n’avons pas saisi la profondeur de la déshumanisation à notre égard. Ce n’est qu’en déshumanisant à ce point votre ennemi que vous pouvez planifier ce genre d’attaque, exécuter ainsi des gens et leur faire subir des choses inhumaines», analyse-t-elle à propos des Palestiniens qui ont conçu et exécuté le massacre du 7 octobre.

© UNION DISTRIBUTION – UD

Vivre pour la Palestine

«La distance mêlée à la rancœur facilite le processus de déshumanisation de l’autre qui ne devient plus qu’une lointaine coquille vide sur laquelle on appose des étiquettes, des mots-valises, vides de sens, constate dans la foulée Gallagher Fenwick en conclusion de 7 octobre 2023 Israël Gaza. L’affrontement des tragédies. Chacune des deux sociétés va devoir choisir entre deux voies. L’une d’elles est la poursuite du statu quo, l’autre nécessitera de faire émerger des dirigeants capables de réhumaniser l’ennemi. C’est la première étape pour bâtir le respect et la confiance qui sont nécessaires pour mettre fin au cycle de la violence.»

«Il faut rendre la vie en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et à Gaza plus désirable que la mort», exhorte encore le journaliste. Il est rejoint par Gershon Baskin, l’Israélien qui négocia avec le Hamas la libération du soldat israélien Gilad Shalit détenu entre 2006 et 2011. «On ne tue pas une idéologie avec des armes. On tue une idée et une idéologie avec de meilleures idées et une meilleure idéologie. Il faut donner aux Palestiniens une raison de vivre pour la Palestine, et pas seulement de mourir pour elle.»

(1) Un pogrom au XXIe siècle. Israël 7 octobre 2023, sous la direction de Jérémy André, Flammarion Le Point, 144 p.

(2) 7 octobre 2023 Israël Gaza. L’affrontement des tragédies, par Benoît Christal et Gallagher Fenwick, éd du Rocher, 208 p.

Yaïr Golan, alternative à Netanyahou?

Auréolé du prestige du sauveur de plusieurs Israéliens le jour du massacre du Hamas, Yaïr Golan, l’ancien chef d’état-major adjoint de Tsahal, est tenté par l’action politique. Ce ne serait pas une nouveauté puisqu’il a été député du petit parti de gauche Meretz (aujourd’hui disparu) entre 2019 et 2022. Mais son ambition serait tout autre puisqu’il n’écarte pas la possibilité de proposer une alternative à Benjamin Netanyahou. Il a créé le «mouvement civique Hitorerut («réveil» ou «lumière», en hébreu). Il a été interrogé par Benoît Christal et Gallagher Fenwick en novembre dernier dans le cadre de leur livre 7 octobre 2023 Israël Gaza. L’affrontement des tragédies. Morceaux choisis qui ébauchent peut-être un programme politique.

Sur les failles israéliennes le 7 octobre. «Il y a donc un échec politique et un échec militaire, car nous avons pensé que le Hamas n’était pas assez fort pour lancer une attaque aussi sophistiquée. Et nous pensions avoir suffisamment de troupes bien entraînées pour faire face. C’était faux.»

Sur l’objectif de guerre. «Détruire le Hamas, c’est le premier but de cette guerre. C’est réaliste et nécessaire. Nous devons éliminer la branche militaire du Hamas et l’empêcher à l’avenir de retrouver ses capacités.»

Sur l’avenir des relations avec les Palestiniens. «Nous contrôlons aujourd’hui la vie de millions de Palestiniens en Cisjordanie. Cela est très mauvais pour Israël. Je pense qu’il faut définir nos frontières et nous séparer des Palestiniens. Il n’y a pas d’avenir dans l’annexion de millions d’entre eux. La pensée messianique de notre place au Moyen-Orient est dangereuse. Nous devons donner aux Palestiniens leur indépendance civile, tout en gardant entre nos mains la responsabilité de la sécurité, parce que nous ne pouvons pas nous fier aux Palestiniens. Je ne vois pas en ce moment, dans l’arène politique palestinienne, une volonté de vivre côte à côte en paix.»

© National

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