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Goncourt 2013: dans les secrets d’un vote

Le Vif

Pierre Lemaitre a reçu le Goncourt 2013 pour Au revoir là-haut. Décryptage d’un scrutin fort serré en compagnie des Dix de chez Drouant.

12h45: Six voix contre quatre au 12e tour… Le verdict est tombé: Pierre Lemaitre, l’auteur d’Au revoir là-haut (Albin Michel), est le lauréat du prix Goncourt 2013, annonce Didier Decoin, micro à la main, devant une forêt de caméras hérissée au rez-de-chaussée de chez Drouant, place Gaillon à Paris.

Quelques applaudissements discrets viennent saluer le favori des pronostiqueurs. Il aura donc fallu 12 tours pour départager Pierre Lemaitre et Frédéric Arden, l’outsider de l’année, dont le roman Arden (Gallimard), a bien failli coiffer au poteau le poulain d’Albin Michel. A peine l’annonce du prix Renaudot proclamé dans la foulée par Franz-Olivier Giesbert (Yann Moix pour Naissance publié par Grasset, distingué dès le premier tour), une dizaine de journalistes (au parfum) font trois pas de côté pour se rapprocher de l’escalier qui mène au Graal, entendez par là au premier étage où sont attablés les Dix couverts.

12h50: Marie Dabadie, la secrétaire du prix Goncourt, descend les escaliers, demande l’accès libre pour le lauréat à venir. Discrètement, quelques journalistes en profitent pour grimper vers le ciel. Nous voici là-haut, les jurés sont quasiment tous debout, sur le palier, à la fenêtre ou discutant deux à deux. L’atmosphère est calme, de ce calme qui précède ou suit les tempêtes. Car, on l’aura vite compris, 12 tours de scrutin ne se déroulent pas sans heurts, sans plaidoyers passionnés, sans grincements de dents… Les uns sont ravis, les autres désabusés comme un Nadal qui vient de mettre le genou à terre devant son compatriote Ferrer ….

13 heures : En petit comité, les jurés se lâchent. « Les délibérations étaient-elles amicales? » A la question, Paule Constant, dont c’était le baptême du feu, répond sans ambages: « Amicales, non, cordiales, oui ». Bref, Paule Constant était une fervente supportrice de Frédéric Verger (« un grand roman »), tout comme Régis Debray qui, tout à son dépit, refuse de parler. « J’écrirai plus tard ce que je pense de tout cela », lance-t-il en tournant le dos. Restent, dans le camp des « Verger »: Edmonde Charles-Roux, qui, assise et souriante, dit son regret, tout en reconnaissant, présidence oblige, de belles qualités au primé; Tahar Ben Jelloun, lui aussi déçu, préfère expliquer tout le bien qu’il pense du livre de Frédéric Arden… Et puis il y a Didier Decoin, celui par lequel la balance a fini par pencher du côté de Pierre Lemaitre. Jusque là, à part un premier tour plus dispersé (une voix pour Karine Tuil de la part de Patrick Rambaud, une pour Jean-Philippe Toussaint estampillée Bernard Pivot), Pierre Lemaitre et Frédéric Verger récoltaient cinq voix chacun. Au 12e tour donc, Pierre Assouline est intervenu pour expliquer combien, eu égard à l’état morose de la librairie, le roman populaire (au bon sens du terme) de Lemaitre serait plus vendeur que l’Arden de Verger, avec quelque 35 000 exemplaires vendus (source edistat.com) d’Au revoir là-haut, au 27 octobre, contre moins de 5000 d’Arden, le grand public n’avait-il pas déjà montré son inclinaison? « Les chiffres ont gagné contre les lettres », se désole Tahar Ben Jelloun. En l’occurrence, les chiffres ont convaincu Didier Decoin, la présidente n’aura donc pas à faire jouer sa double voix (obligatoire au 14e tour). Ainsi va le Goncourt…
13h30: « Mais que fait-il? » Certains jurés commencent à s’impatienter. Enfin, le lauréat débarque (il aura dû au préalable se frayer un chemin dans la jungle du rez-de-chaussée). Emu, il remercie un à un les jurés; sa femme est là, pas loin, répondant aux centaines de messages envoyés en rafale sur son smartphone. Florence Godfernaux, son attachée de presse, rayonne. Francis Esménard et Francis Ducousset, les boss d’Albin Michel, sont tout sourire.

Le champagne peut couler. Bientôt, les bataillons de la presse vont envahir l’étroite salle de restaurant, les flashs crépiter et les rotatives (pour le fameux bandeau rouge) tourner. Vive la littérature!

Par Marianne Payot

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