Radek Sikorski
Radek Sikorski © Getty

Radek Sikorski: « Poutine me reproche personnellement la perte de l’Ukraine »

Jeroen Zuallaert

L’ancien ministre polonais des Affaires étrangères,Radek Sikorski, souhaite que la Russie soit déclarée État terroriste. « Nous avons beaucoup de chance en Europe que Joe Biden soit président ».

Aujourd’hui, je passe un test quand j’entends quelqu’un parler russe », raconte Radek Sikorski d’un air espiègle. « Ensuite, je me tiens devant cette personne, je la regarde dans les yeux et je lui dis : Slava Oukraïni » (NDLR: gloire à l’Ukraine) Il rit. « Vous savez immédiatement si vous avez un Russe ou un Ukrainien en face de vous. Et si c’est un Russe, vous savez immédiatement de quel côté il est ». Après quoi il nous confie, le visage grave : « Ne faites ce test que lorsque vous êtes assurés d’une majorité numérique », confie-t-il, le visage grave.

Radek Sikorski s’esclaffe, ce ne sera pas la dernière fois ce matin. Nous rencontrons l’ancien ministre polonais de la Défense et des Affaires étrangères dans son bureau exigu de Strasbourg, où plus tard dans la journée, en sa qualité de député européen, il appellera l’hémisphère à décréter que la Russie est un État terroriste. Pendant son ministère, le maintien des relations avec la Russie était l’une des priorités absolues de Radek Sikorski. Entre-temps, il est persona non grata à Moscou depuis plus de huit ans. En 2014, Sikorski a dirigé la délégation européenne qui a servi de médiateur pendant la révolution de Maidan entre le président ukrainien Viktor Ianoukovitch et l’opposition pro-européenne, qui voulait évincer Ianoukovitch après son refus de signer l’accord d’association avec l’Union européenne. Sikorski jubile. « Je sais que Vladimir Poutine me reproche personnellement d’avoir perdu l’Ukraine. »

Outre son travail parlementaire, Radek Sikorski – défenseur de l’OTAN et partisan de l’adhésion de l’Ukraine à l’UE – est régulièrement invité à donner des conférences des deux côtés de l’Atlantique. Il assistera bientôt à la conférence Nexus d’Amsterdam, où il débattra avec un groupe restreint de personnalités internationales. Il se targue d’avoir prédit l’invasion russe de l’Ukraine il y a plus d’un an.

« Au fond, la situation était déjà claire lorsque Poutine a publié son essai en juillet 2021, affirmant que l’Ukraine n’a pas le droit d’exister », déclare Radek Sikorski. « Lorsque j’ai appris qu’il avait fait de cet essai une lecture obligatoire dans l’armée russe, j’ai compris ce qui allait se passer. Pourquoi ferait-il ça s’il n’avait pas l’intention d’attaquer ? ».

Vous attendiez-vous à ce que l’armée russe s’en sorte si mal ?

Radek Sikorski: j’ai surestimé la force de l’armée russe. (sourires) Tout comme Poutine. Nous pensions tous qu’il avait une armée du 21e siècle, mais apparemment il a une armée du 20e siècle, avec la logistique d’une armée du 19e siècle. De plus, il a attaqué avec une force trop faible. Elle n’aurait pu réussir que si les Ukrainiens n’avaient pas riposté et si le président Volodymyr Zelensky avait fui le pays.

Êtes-vous surpris que Poutine ait autant sous-estimé son adversaire ?

Je suis surpris, car il a tenté la même chose en 2014. Personne ne semble s’en souvenir, mais après l' »Anschluss » de la Crimée, des putschs ont eu lieu dans toute l’Ukraine orientale. Ils ont réussi à Louhansk et Donetsk, mais il y a aussi eu des tentatives ratées à Kharkiv, à Odessa, à  Mykolaïv et à Zaporijjia, car les Ukrainiens les ont repoussés. Poutine l’a apparemment oublié.

En même temps, c’est le schéma classique de la façon dont un empire colonial traite les aspirations à l’indépendance d’une colonie. Au départ, la métropole a un complexe de supériorité et nie l’altérité de la colonie. Pensez à la réaction des Britanniques au 19e siècle lorsque les Irlandais ont voulu l’indépendance : « Comment ça, ces paysans veulent leur propre État. Mais nous parlons la même langue ! » La deuxième étape est celle de la colère : « Comment osent-ils ? Comment ces stupides paysans ne pourront-ils jamais construire leur propre État ? » Et finalement, lorsque la colonie résiste assez longtemps et que le coût pour la métropole augmente, on en vient à la conclusion que tout cela n’en vaut pas la peine. Il en a été de même en Angola, en Algérie et au Vietnam lorsqu’il s’agissait encore d’une colonie française. Malheureusement pour l’Ukraine, la Russie est toujours en phase de colère.

La propagande russe dépeint les Ukrainiens comme un peuple fraternel, mais les traite en même temps de nazis. Comment expliquez-vous ce double message ?

(ricanements) C’est une sorte de relation toxique : aime-moi, ou je te tue ! Dis que tu es mon frère, ou je te tue !

Mais quelle est la logique ? Cela ne semble pas particulièrement attrayant pour les Ukrainiens.

Les histoires de la Russie et de l’Ukraine sont évidemment liées dans une certaine mesure, principalement en raison de la conquête russe. Imaginez un couple qui divorce, mais dont aucun des deux partenaires n’a assez d’argent pour acheter un nouvel appartement. Mais entre-temps, la femme a un nouveau partenaire, qui est plus riche et plus gentil. Et l’ex brutal fait des difficultés : « Tu es peut-être divorcée, mais tu n’as pas droit à un meilleur compagnon. »

En 2014, vous avez dirigé la délégation européenne lors de la révolution de Maidan. Rétrospectivement, il semble étonnant de constater la facilité avec laquelle Ianoukovitch a été destitué.

Vous devez vous rendre compte que deux processus se déroulaient en même temps. Tout d’abord, il y a eu notre médiation entre Viktor Ianoukovitch et l’opposition. Cela a été un succès : Viktor Ianoukovitch a accepté de raccourcir son mandat. Mais le processus le plus important est que Viktor  Ianoukovitch a perdu le soutien de son propre Parti des régions. Finalement, son parti lui a montré la porte.

A Moscou, la révolution de Maidan est interprétée comme un coup d’État.

Pour un coup d’État, il faut des tanks, des soldats qui occupent les bâtiments du gouvernement et les stations de télévision. En 2014, rien de tout cela n’est arrivé. Le parlement ukrainien – élu démocratiquement lors d’élections équitables – a voté la destitution de Viktor Ianoukovitch. Les députés de son propre parti ont également voté. Affirmer que la révolution de Maidan était un coup d’État est de la pure propagande du Kremlin.

En même temps, l’Europe a peut-être fait aux Ukrainiens des promesses qu’elle ne pouvait ou ne voulait pas tenir.

L’accord d’association a totalement transformé l’Ukraine. Soudain, pour toute future loi ukrainienne, la référence était l’Europe, et non le monde post-soviétique. L’Ukraine se concentre désormais sur le marché européen unifié, ils ont les passeports biométriques, les Ukrainiens peuvent voyager sans visa. Le pays ne s’est jamais modernisé aussi vite que ces dernières années.

Mais nous n’avons pas été en mesure de leur offrir la sécurité.

L’Ukraine ne s’est jamais sentie en sécurité. De leur point de vue, ils sont en guerre depuis 2014.

Juste avant la guerre, les politiciens ukrainiens n’envisageaient pas vraiment une attaque russe à grande échelle.

C’était une erreur compréhensible. Le gouvernement ukrainien ne voulait pas provoquer de panique au sein de la population et avait peur de provoquer la Russie. Je pense que Zelensky a commis deux erreurs à l’époque. Première erreur : il n’a pas organisé une mobilisation d’essai pour signaler qu’il savait que la Russie allait attaquer. Deuxième erreur : il n’a pas imposé à l’industrie de défense ukrainienne un régime de production de munitions 24 heures sur 24.

Peut-être que les pays européens auraient-ils alors le sentiment que l’Ukraine a provoqué la Russie, et auraient-ils été moins enclins à l’aider ?

Voyez-vous, en août 1939, la Pologne a arrêté sa mobilisation, à la demande de ses alliés occidentaux. Ils avaient peur de provoquer l’Allemagne nazie. Ainsi, le 1er septembre, lorsque l’Allemagne nazie a envahi le pays, la Pologne n’était pas mobilisée. Je n’ai pas besoin de vous dire comment ça s’est terminé.

C’est une dure leçon.

Le premier réflexe de l’Occident est toujours d’éviter la violence et d’appeler au calme. C’est un noble instinct. Mais rétrospectivement, l’Ukraine aurait dû se défendre beaucoup plus fort en 2014. Si elle l’avait fait, Poutine aurait peut-être compris que vaincre l’Ukraine ne serait pas si facile. Malheureusement, l’armée ukrainienne était alors aussi corrompue que l’armée russe l’est aujourd’hui.

Les dirigeants occidentaux ont-ils tort de dire qu’ils ne veulent pas provoquer la Russie?

Les Européens, les Américains et moi-même sommes tous convaincus qu’il ne doit pas y avoir de guerre directe entre les forces de l’OTAN et la Russie. Cela comporterait des risques énormes. Tout ce que vous pouvez faire alors est de combattre par procuration : aidez les Ukrainiens à résister à la Russie.

Comparée à l’Amérique, l’Europe contribue remarquablement peu au soutien de l’Ukraine.

C’est encore pire si l’on rapporte ces chiffres au PIB (soupir). Il fallait s’y attendre en partie. Les Américains viennent de Mars, les Européens de Vénus. L’Amérique a la plus grande armée du monde, nous sommes une superpuissance économique. Si notre partenariat consiste à fournir un soutien financier et des armes à l’Amérique, je ne pense pas que ce soit un mauvais accord. (Réfléchit) Nous avons beaucoup de chance en Europe d’avoir Joe Biden comme président. Imaginez que dans quelques années, l’Amérique ait un président moins atlantiste, ou qu’elle se batte en Asie de l’Est. Qu’allons-nous faire-nous alors ?

Faut-il craindre l’élection présidentielle américaine de 2024 ?

Si nous ne parvenons pas, en tant qu’économie de 17 000 milliards d’euros, à assurer notre propre sécurité, nous vivrons dans la peur à chaque élection américaine. Il y a plus d’un exemple de civilisations richissimes qui ont été envahies par des voisins plus pauvres, mais agressifs.

Vous trouvez que l’Europe devrait décréter que la Russie est un état terroriste. Pourquoi ?

Il existe deux définitions de ce qu’est un État terroriste. Première définition : un État qui répand la peur par le recours à la violence pour atteindre des objectifs politiques. Deuxième définition : un État qui attaque intentionnellement des cibles non militaires dans une situation de guerre. La Russie répond aux deux.

N’est-ce pas une discussion purement symbolique ?

Cela n’a de sens que si nous allons un peu plus loin. En Amérique, on peut utiliser le système juridique pour saisir des fonds publics si un pays est reconnu comme un État terroriste. Décréter que la Russie est un État terroriste devrait signifier que les devises russes à la Banque centrale européenne peuvent être utilisées pour indemniser les victimes de la terreur russe – en Ukraine et à l’étranger.

Pensez-vous que les pays occidentaux ont commis une erreur en cherchant à se rapprocher de la Russie ces dernières années ?

Je ne reprocherai jamais à un pays d’essayer de nouer de bonnes relations avec la Russie. En diplomatie, vous essayez toujours d’encourager quelqu’un à emprunter la voie de la coopération et de l’intérêt commun. J’ai aussi essayé ça en tant que ministre des Affaires étrangères. Mais en Pologne, nous avions toujours un plan B. Nous consacrons deux pour cent de notre PIB à la défense depuis de nombreuses années. De nombreux pays occidentaux n’ont recherché que l’ouverture et ont laissé de côté ce moyen de pression.

Que pensez-vous de l’argument selon lequel cette guerre a été en partie causée par l’expansion de l’OTAN ?

Ah, l’école de pensée réaliste ! (rires) J’ai récemment participé à un débat avec le politologue américain John Mearsheimer, le pape des réalistes. Les organisateurs du débat avaient préalablement effectué un sondage auprès du public, qui a montré qu’une majorité était initialement du côté de Mearsheimer. Je peux dire avec une certaine fierté qu’à l’issue du débat, près des deux tiers du public étaient de notre côté.

Quel est votre problème avec le réalisme ?

Le principal travers des réalistes, c’est qu’ils réduisent toute causalité dans les relations internationales à un seul élément : la sécurité militaire. Le raisonnement est donc que vous pouvez éviter les conflits si tout le monde est militairement en sécurité et voit ses intérêts nationaux servis. Le problème, bien sûr, est que dans la vie réelle, les pays ne sont pas motivés uniquement par des intérêts nationaux. L’idéologie, l’émotion et les intérêts personnels entrent en jeu. L’Iran du shah avait des intérêts nationaux différents de ceux de l’Iran des ayatollahs, même s’il s’agissait littéralement du même territoire. Les réalistes ne semblent pas comprendre que les intérêts de Poutine et ceux de la Russie ne coïncident pas. L’intérêt de la Russie est de se moderniser et de préserver son intégrité territoriale. L’intérêt de Poutine est de rester au pouvoir le plus longtemps possible.

Pensez-vous donc que l’élargissement de l’OTAN ne joue aucun rôle dans la guerre actuelle avec l’Ukraine ?

Plus que cela, la guerre en Ukraine est la réfutation totale de la théorie réaliste. Fin février, Zelensky et Poutine ont conclu, par des voies non officielles, un accord selon lequel l’Ukraine resterait neutre. Olaf Scholz a personnellement garanti qu’il bloquerait l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN pendant son mandat de chancelier. Cela a donné à Poutine un moratoire de plusieurs années. Les réalistes affirment donc que Poutine devait attaquer l’Ukraine en raison de la possibilité hypothétique que l’Ukraine se qualifie pour l’adhésion à l’OTAN dans quelques années. Ce n’est pas sérieux ? En outre, selon la théorie réaliste, Poutine devrait également attaquer la Finlande et la Suède, car elles aussi deviendront bientôt membres de l’OTAN et partageront une frontière avec la Russie. Mais Poutine lui-même a déclaré qu’il n’avait aucun problème avec l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN. (catégoriquement) Poutine n’attaque pas l’Ukraine à cause de l’OTAN. Il attaque l’Ukraine parce qu’il veut l’Ukraine. Peut-il être plus clair ?

Volodymyr Zelensky le 24 août 2022

Donc vous ne croyez pas que nous devrions donner une porte de sortie à Poutine ?

La solution est très simple. La meilleure façon d’éviter une guerre nucléaire est que la Russie ne la déclenche pas. La meilleure façon d’arrêter la guerre est que la Russie se retire de l’Ukraine. Il n’y a aucune chance que l’Ukraine envahisse le territoire russe si la Russie se retire. Voilà la porte de sortie.

Ce n’est pas ainsi que les réalistes voient une issue. Ils parlent de concessions territoriales.

Le monde ne manque pas de Chamberlain de poche prêts à échanger la liberté des autres contre leur tranquillité d’esprit.

Entre-temps, l’Ukraine a annoncé qu’elle ne négocierait plus avec Poutine. C’est une bonne idée ?

Eh bien, Poutine a eu un accord sur la neutralité ukrainienne fin février. Mais qu’a-t-il fait depuis ? Il a annexé le territoire ukrainien et l’a placé sous la juridiction russe. Zelensky se rend compte que la parole de Poutine ne vaut rien. Lors de l’invasion de la Crimée en 2014, Poutine a déclaré que les « petits hommes verts » n’étaient pas des soldats russes. À la fin de l’année dernière, il a déclaré que la Russie ne prévoyait pas d’invasion et qu’elle ne faisait que s’entraîner. Moins de 24 heures après avoir dit qu’il n’attaquerait plus les villes ukrainiennes, il a attaqué toutes les grandes villes ukrainiennes avec des drones. Confieriez-vous la sécurité de votre pays à la signature de cet homme?

Quand avez-vous perdu la confiance de Poutine ?

Lors de l’annexion de la Crimée. J’admets qu’en 2008, lorsque la Russie a envahi la Géorgie, je n’étais pas encore convaincu. Mon vieil ami Mikheil Saakachvili (NDLR: alors président de la Géorgie) a alors malheureusement commis l’erreur de tirer le premier coup de feu. On lui a clairement dit à l’époque que la Géorgie ne serait pas autorisée à rejoindre l’OTAN s’il tirait le premier coup de feu. Je comprends qu’on l’ait provoqué à le faire. En tant que dirigeant démocratiquement élu, il est difficile de ne pas réagir lorsque votre population est bombardée.

Au cours de votre ministère, vous avez dû composer principalement avec Dmitri Medvedev, le président prétendument libéral qui parle aujourd’hui de génocide pur et simple.

Ah oui, Dmitri Medvedev. Quand il était président, une blague circulait à Moscou: il y a deux partis politiques au Kremlin: le parti Poutine et le parti Medvedev. (sourires) Et Medvedev n’a pas encore décidé à quel parti il appartient. Ces jours-ci, j’ai l’impression que Medvedev essaie de convaincre les faucons de son parti qu’il peut être un digne successeur. (subtilement) Pour la deuxième fois.

Votre ancien collègue ministre des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, fait également toujours partie du régime.

Il n’a pas été un vrai ministre des Affaires étrangères depuis au moins huit ans. Sergei Lavrov est un porte-parole diplomatique pour des politiques sur lesquelles il n’a pas son mot à dire. J’ai entendu dire qu’il a déjà essayé de démissionner trois fois. Malheureusement, démissionner en Russie est un peu plus difficile que chez nous. En Russie, on sert le dictateur, et ceux qui démissionnent sont détruits (catégoriquement) Ce n’est pas une façon de trouver des excuses à Lavrov. Il est complice d’un régime criminel.

Il n’a pas l’air vraiment heureux.

Il est fatigué de son propre cynisme. Il doit savoir comment Joachim von Ribbentrop, le ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne nazie, a fini. Joachim Von Ribbentrop a été condamné à la peine de mort lors du procès de Nuremberg. (pause emphatique) Tout comme Julius Streicher, d’ailleurs, le chef de la propagande nazie.

Des voix s’élèvent du côté ukrainien pour dire que le pays devrait également être autorisé à combattre sur le territoire russe. Pensez-vous que ce soit une bonne idée ?

Non, ce serait absolument inacceptable. C’est aussi précisément la raison pour laquelle l’Amérique ne fournit pas d’armes à longue portée à l’Ukraine. Je comprends que les Ukrainiens estiment avoir le droit de chercher à se venger des attaques russes, mais ce serait une mauvaise stratégie. Notre meilleur espoir de mettre fin à cette guerre réside dans le manque d’enthousiasme des soldats russes. Nous ne voulons pas que les Russes considèrent cette guerre comme la leur.

En même temps, de nombreux voisins européens de la Russie ne sont pas disposés à accueillir les hommes russes fuyant la mobilisation.

C’est une question difficile. Nous voulons évidemment que le moins de Russes possible aillent au front pour se battre, mais nous voulons aussi faire la distinction entre ceux qui soutiennent le régime et ceux qui soutiennent l’opposition. De par ma propre expérience dans la Pologne communiste, je sais combien il est important que les opposants aient la possibilité de voyager. Et d’autre part, il y a la loi américaine qui donne à tout Cubain fuyant vers l’Amérique le droit d’asile. Par conséquent, tous les opposants au régime ont déjà fui. Et la dictature existe toujours. Je pense – aussi improbable et difficile que cela puisse être – que nous devrions encourager l’opposition russe à réfléchir à la manière de rendre leur pays sûr, pour eux-mêmes et pour leurs voisins. La Russie n’a pas besoin de l’Ukraine pour être le plus grand pays du monde. Je sympathise avec tout dirigeant russe qui réfléchit à la manière de décoloniser la Russie.

Ce ne sera pas facile de trouver des dirigeants russes qui ne soient pas impérialistes.

Ils existent: Mikhail Khodorkovsky, Garry Kasparov, Vladimir Kara-Murza, Alexeï Navalny.

En 2014, Navalny a salué l’annexion de la Crimée.

Ah, cette citation d’il y a dix ans. Alexeï Navalny mérite notre respect. Il a publié au début de cette guerre un texte prenant ses distances avec toute forme d’impérialisme.

Alexeï Navalny
Alexeï Navalny © getty

En Europe centrale et dans les États baltes, les dirigeants disent à l’unisson: il ne s’agit pas seulement de Poutine. De nombreux Russes soutiennent ses vues impérialistes.

En effet, je constate que beaucoup de Russes se comportent mal lorsqu’ils sont en Europe. Józef Piłsudski, le Premier ministre polonais des années 1930, a dit un jour qu’en Russie, même les anarchistes sont des impérialistes. (rires) Il n’avait pas tort.

Beaucoup de dirigeants d’Europe de l’Est semblent convaincus que la Russie ne se débarrassera jamais de son impérialisme.

(sévèrement) Nous ne devons pas nous abaisser au racisme. L’impérialisme n’est pas ancré dans l’ADN russe. C’est quelque chose de culturel, et les cultures peuvent évoluer. Mais oui : s’il y a un jour un accord de paix, la Russie devra s’engager d’une manière ou d’une autre à abandonner ces vues impérialistes. Mais en fin de compte, les Russes devront le faire eux-mêmes.

L’OTAN sera bientôt à la recherche d’un nouveau secrétaire général. Avez-vous encore de l’ambition?

Je pense que le prochain secrétaire-général sera une femme. Et il est grand temps.

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