Donald Trump © Getty

Et si Trump refusait de démissionner ?

Un président qui ne veut pas s’effacer, un scrutin perturbé par la pandémie de coronavirus et des adhérents armés et en colère. Les choses peuvent mal tourner le 3 novembre, et de différentes manières.

Ce dimanche, le candidat démocrate à la présidentielle, Joe Biden, a dénoncé le présumé harcèlement de l’un de ses cars de campagne par des supporters de son adversaire Donald Trump, un incident sur lequel le FBI enquête. Une vidéo postée sur Twitter montre plusieurs camions parés de drapeaux pro-Trump en train d’encercler et ralentir un car Biden/Harris. Des responsables démocrates ont assuré qu’il contenait la candidate au Congrès Wendy Davis, qui a dû interrompre son trajet et annuler deux événements et une conférence de presse, par « mesure de sécurité ». Donald Trump lui-même a relayé la vidéo samedi soir, en commentant: « J’AIME LE TEXAS ».

L’Amérique sera-t-elle toujours une démocratie après le 3 novembre ? C’est une question sérieuse. Gary Gerstle professeur d’histoire américaine à l’Université de Cambridge, ne peut réprimer un profond soupir. « Ces dernières semaines, j’ai commencé à lire des livres sur des démocraties anéanties : l’Allemagne, le Chili, l’Argentine. Je ne le fais vraiment pas pour mon plaisir. Il est bien possible que Donald Trump perde les élections, et essaie de s’accrocher. Peu à peu, nous devons nous demander ce que fera l’armée si on en arrive là.

Si son premier mandat nous a appris quelque chose, c’est bien que Trump cache rarement ses intentions. Ces quatre dernières années, il a fait comprendre plusieurs fois qu’il déteste les pouvoirs et contre-pouvoirs qui limitent le pouvoir du président. Il a chargé son ministre de la Justice de préserver ses amis de poursuites et désire enfermer ses concurrents politiques. Il privilégie la compagnie de leaders autoritaires, exècre les alliés favorables à la démocratie et a qualifié tant la presse que les scientifiques d’ennemis du peuple.

Donald Trump a roué les institutions américaines de coups. Les services de sécurité tels que le FBI ou la CIA ont été soigneusement mis de côté. La ministre de l’Enseignement de Trump, Betsy DeVos a amené le système d’enseignement public au bord de l’effondrement, ses milliards d’économies touchent surtout les plus faibles de la société. Stephen Miller un suprématiste blanc, établit la politique de migration américaine. William Barr, le ministre de la Justice, est persuadé qu’un président doit exercer un pouvoir illimité sans entrave de l’opposition parlementaire.

William Barr
William Barr© DR

La présidence de Donald Trump est une attaque contre les normes démocratiques qui jusqu’à il y a peu semblaient évidentes. « Trump mine le processus démocratique », déclare Gerstle. « Il ne traite pas ses opposants en concurrents honnêtes, mais en criminels. Une démocratie ne peut pas fonctionner si l’acteur principal n’est pas prêt à se concerter et à accepter des compromis avec les gens qui pensent autrement. » Gerstle doit constater que Trump a pu mettre ces normes trop facilement de côté. « La force du système américain a toujours été d’être plus fort que les candidats : si nous élisions le mauvais candidat, nous pouvions rectifier le choix quatre ans plus tard. Si Trump est réélu une seconde fois, je ne sais pas si nous aurons encore cette opportunité. »

Minorités

Évidemment, les États-Unis ne sont pas – encore – une dictature ou un système autoritaire. À plusieurs égards, la liberté d’expression y est plus grande qu’en Europe. Il y a de nombreux médias qui dénoncent les abus, il y a une Justice indépendante, on donne toutes les chances aux entrepreneurs. Mais en même temps, il est important de garder à l’esprit que l’Amérique est une jeune démocratie. Jusqu’au Voting Act de 1965, beaucoup de noirs dans les états du sud n’avaient pas de droit de vote. « Même aujourd’hui aussi, le droit de vote général n’est pas une évidence partout », souligne Nancy Abudu, directeur adjoint des affaires juridiques du Southern Poverty Law Center. « L’Amérique est toujours sur la voie d’une démocratie. Nous n’y sommes pas encore. »

De nombreux états du sud ont tendance à exclure les minorités du scrutin, déclare Abudu. « Ils le font de différentes manières. Dans ces états, les personnes condamnées un jour perdent leur droit de vote. C’est inscrit nulle part dans la Constitution, mais ils continuent tout de même appliquer cette règle non écrite. Comme ils sont surreprésentés dans les statistiques de crime, cette mesure frappe surtout les noirs, et ces derniers votent généralement pour les démocrates. »

L’organisation des élections complique le vote pour les noirs, explique Abudu. « De nombreux états compliquent le vote anticipé. Dans certains districts, il y a trop peu de bureaux de vote, et il faut parfois faire la file pendant des heures pour voter. Tout le monde n’est pas prêt à faire ça. En outre, les élections en Amérique tombent systématiquement un jour ouvrable. Du coup, il est plus difficile pour les noirs et les latinos, qui travaillent souvent en shifts, de voter. » Il est frappant de constater à quel point le parti républicain admet ouvertement sa stratégie qui consiste à empêcher les minorités de voter. L’année dernière, Mitch McConnell, le chef de la majorité républicaine au Sénat américain, qualifiait encore la proposition démocrate de faire de la journée électorale un congé payé, de coup d’état démocrate.

Cependant, le système électoral américain souffre également d’un déficit démocrate. Le Collège électoral, vers lequel chaque état détache un certain nombre de grands électeurs, donne un poids plus lourd aux plus petits états ruraux, où les républicains sont bien représentés. Par conséquent, ce n’est pas nécessairement le candidat qui obtient le plus de voix. Tant Hillary Clinton en 2016 qu’Al Gore en 2000 ont gagné ce que l’on appelle le popular vote, mais ont tout de même perdu l’élection. Le déséquilibre est encore plus important au Sénat où chaque état peut détacher deux sénateurs. 70% des sénateurs sont élus par environ 30% des Américains. « Le Sénat est un instrument de blocage pour faire de la politique de pouvoir », déclare Gerstle.

En outre, il y a la question de la Cour suprême. Depuis la nomination de la conservatrice Amy Coney Barrett, la Cour détient une majorité clairement conservatrice. Il est donc possible que la Cour entrave de nombreuses lois progressistes – en matière de droits d’avortement et d’assurance maladie par exemple. En même temps, la Cour suprême est une des rares institutions en laquelle une majorité d’Américains continue à garder confiance. « En l’essence, l’Amérique n’est pas une construction démocratique, mais légale », déclare Ken Kennard, spécialiste de l’Amérique. « Tout en Amérique est sous le signe de la loi. Les textes légaux sont la seule façon d’unir les états. Le jour où la Constitution sera abolie, ce sera le chaos en Amérique. »

En même temps, la Constitution ne mentionne nulle part le nombre de juges de la Cour suprême. Si les démocrates acquièrent une majorité au Sénat, Joe Biden pourrait nommer des juges supplémentaires pour rendre une majorité progressive à la Cour. Pour l’instant, Biden ne fait état d’aucun court packing. Cette stratégie est en effet risquée. « Les démocrates paieraient de toute façon un prix politique », met en garde Charles Lipson, professeur émérite en sciences politiques à l’Université de Chicago. « Tous les présidents pourraient alors nommer de nouveaux juges à la Cour, de sorte que son parti ait toujours une majorité. Ce serait une évolution fâcheuse qui mine la légitimité de la Cour. » Lipson souligne que Biden n’aurait même pas besoin d’aller aussi loin pour faire plier la Cour à sa volonté. Il évoque Franklin Delano Roosevelt, le dernier président à tenter d’étendre la Cour mais qui n’a pas été jusqu’au bout. « En un certain sens, les menaces en politique fonctionnent mieux si on ne les exécute pas », déclare Lipson. « Après la menace de Roosevelt d’étendre la Cour, la Cour suprême n’a plus jamais entravé une de ses lois. »

Amy Coney Barrett
Amy Coney Barrett© Reuters

Intimidation

Cependant, l’offensive la plus inquiétante de Trump est sa façon d’attaquer le scrutin lui-même. Depuis des mois, il prétend que les élections seront falsifiées à grande échelle, et prévient qu’il n’acceptera pas une éventuelle défaite. « Donald Trump est le premier candidat à la présidentielle à ne pas vouloir garantir de transition pacifique », déclare Robert Rowaland, professeur en rhétorique politique à l’Université de Kansas. « Il parle et agit en autocrate. »

Il est donc loin d’être certain que Trump accepte sa victoire. C’est extrêmement inquiétant, car ses adhérents ont un lien émotionnel avec leur président et sont souvent lourdement armés. En outre, Trump est le premier président de l’histoire américaine à exprimer ouvertement son appréciation à l’égard de groupements de racistes blancs. Lorsque différentes milices d’extrême droite se sont rassemblées à Charlottesville, Trump discernait des ‘fine people’ parmi les manifestants, y compris quand ils paradaient dans la ville ornés de crois gammées et de symboles de Ku Klux Klan. Lors du premier débat électoral face à Biden, Trump a refusé de se distancier des Proud Boys, un groupement extrémiste et fasciste qui exalte les violences policières. Début octobre, le FBI a déjoué un complot de suprématistes blancs visant à enlever Gretchen Whitmer, la gouverneure démocrate du Michigan. Cela n’a pas empêché Trump d’exciter ses sympathisants lors d’une réunion au Michigan pour ‘mettre Whitmer sous pression’.

La campagne de Trump a également lancé plusieurs appels pour envoyer des « observateurs électoraux » vers les bureaux électoraux. « Dans beaucoup d’états, tout citoyen peut contester le droit de vote d’un autre citoyen », déclare Nancy Abudu. « Dans de nombreux états, de telles menaces auront peut-être peu d’effet, mais si vous êtes noir, et vous vivez dans une communauté rurale de suprématistes blancs et lourdement armés, ce genre de menace peut dissuader les gens d’aller voter. Plusieurs organisations se préparent à contrer d’éventuelles manoeuvres d’intimidation. »

Il n’est pas du tout certain que l’onconnaisse le gagnant des élections le 3 novembre. Ce qui est certain, c’est que le mandat du président se termine le 20 janvier selon la Constitution, et que le nouveau président doit être assermenté ce jour-là. Cependant, on ignore ce qui se passera si le résultat n’est pas établi d’ici là. Que se passera-t-il si deux candidats se présentent à l’inauguration ? « Le problème, c’est que la Constitution part d’une transition de pouvoir pacifique, mais ne prescrit pas de transition pacifique », observe Lawrence Douglas, juriste à l’Amherst College, dans son livre Donald Trump. Will He Go?

Il semble entendu que le résultat sera contesté. Dans différents états, les républicains ont entamé des procès contre les manières alternatives de voter, étendues par la crise de coronavirus. En mai, Trump a nommé un nouveau patron à la poste américaine, qui a commencé par économiser. Du coup, le risque existe que de nombreux votes par correspondance ne seront comptabilisés que tard. S’il n’y a pas de victoire nette, et que de nombreux votes par correspondance ne sont comptés que plus tard, cela peut donner de l’eau au moulin de Trump pour attaquer le résultat des élections. Si Trump réussit à convaincre que ces votes par correspondance sont frauduleux, plusieurs scénarios catastrophes sont possibles. « Plus on attend le résultat définitif, plus la situation devient dangereuse », souligne Gerstle.

Un résultat électoral ne peut être qu’attaqué au niveau national. Un tribunal local doit se prononcer, mais la Cour suprême qui a le dernier mot. Il est loin d’être certain que les juges conservateurs soutiendront automatiquement Trump. Mais en même temps, l’histoire apprend que les juges suprêmes ne sont pas insensibles à leurs mécènes politiques. Lorsque la Cour suprême s’est prononcée sur les résultats en Floride lors des élections de 2000, les juges conservateurs ont soutenu George W. Bush, et les juges progressistes Al Gore.

Pélosi présidente?

En 2000, Al Gore a légitimé la victoire de Bush, en reconnaissant sa défaite. Il n’est pas certain que Trump soit assez gracieux. En outre, le temps joue à l’avantage de Trump. La Constitution prévoit en effet une série de deadlines stricts. Le 14 décembre au plus tard, les 538 grands électeurs du Collège électoral doivent voter. Pour cela, ils doivent savoir le 8 décembre quel candidat a remporté leur état. Trump pourrait donc essayer de reporter le comptage des votes par correspondance de sorte qu’ils ne soient pas comptés à temps.

Douglas esquisse aussi le scénario où un état clé se voit doter d’un gouverneur démocrate et d’un parlement républicain, qui désignent chacun leur propre gagnant. Ce n’est pas clair qui d’entre eux décide le cas échéant. Ce sera alors sans doute à la Chambre des représentants nouvellement élue de décider du résultat. Dans le cas improbable qu’il n’y ait pas de gagnant désigné le 20 janvier, Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants, sera nommée présidente.

Nancy Pelosi, chef des démocrates au Congrès
Nancy Pelosi, chef des démocrates au Congrès© REUTERS/Kevin Lamarque

Cependant, même si Biden gagne largement, ou si la Cour suprême attribue la victoire à Biden, il est possible que Trump refuse de démissionner. Le système américain n’a pas de procédure claire pour ce scénario. « Le ministre de la Justice devra alors probablement démettre le président de ses fonctions », estime Gary Gerstle. « Il n’est pas clair si William Barr est prêt à le faire. Barr s’est montré un allié fidèle du président qui se comporte plus comme son avocat personnel que comme un protecteur d’une procédure honnête. » Si Barr n’est pas prêt à se retourner contre Trump, la question se pose d’une intervention de l’armée américaine. « C’est l’ironie profonde de cette élection », déclare Claire Potter, professeure en histoire politique et ancienne conseillère de la campagne de la candidate démocrate Elizabeth Warren. « Aujourd’hui, les Américains de gauche comptent sur l’armée pour préserver la démocratie. »

Beaucoup dépend de la façon dont le Parti républicain réagira à une éventuelle contestation. Les républicains soutiendront-ils Trump dans son opposition, même s’il perd nettement ? De nombreux ténors républicains détestent leur président. Et pourtant, ces quatre dernières années, l’establishment du parti semblait prêt à tout tolérer de Trump. Cette attitude changera-t-elle ? Les républicains sont-ils guéris de Trump, et accordent-ils plus d’importance à la survie du système américain démocratique ? Ou soutiendront-ils Trump en cas de véritable prise de pouvoir?

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