La Bosnienne Dunja Mijatovic est la Représentante de la liberté de la presse à l'OSCE. © EPA

Dunja Mijatovic : « La liberté de la presse est de plus en plus menacée »

Stagiaire Le Vif

Le média Politico dresse le portrait de Dunja Mijatovic, la représentante de la liberté de la presse à l’OSCE. Son constat est clair : en 2016, la situation des organes de presse est encore pire qu’à son entrée en fonction, en 2010. Selon elle, l’Europe est tellement occupée par les questions migratoires et le terrorisme, qu’elle en oublie de protéger les droits de l’homme et de la presse.

Dans ce cadre, lire l’article « La liberté de la presse menacée en Europe »

Demandez à Dunja Mijatovic si les conditions des journalistes se sont améliorées pendant ses six années de mandat en tant que représentante de la liberté des médias à l’OSCE (l’Organisation pour sécurité et la coopération en Europe). Ce que vous obtiendrez n’est qu’un soupir profond, et exaspéré. Ensuite une longue pause.

« Nous vivons actuellement des moments plus difficiles et bien plus dangereux pour les journalistes », déclare Mme Mijatovic à Politico.

Des autocrates dans des pays comme la Russie, la Turquie ou l’Azerbaïdjan réduisent les critiques indépendantes au silence, pendant que des pays plus « démocratiques », comme le Royaume-Uni, proposent de nouvelles lois pour traquer des terroristes, lois qui pourraient être utilisées également contre les organes de presse.

Dunja Mijatovic, une bosnienne de 51 ans, est une des rares voix qui s’élèvent dans la sphère politique européenne pour protéger les droits de la presse : informer honnêtement le public et obliger les dirigeants à rendre des comptes. Elle a été prolongée à son poste le mois dernier.

En tant que « chien de garde » des médias pour l’OSCE, Mme Mijatovic surveille les violations de la liberté de la presse dans 57 Etats membres, et n’hésite pas à tirer la sonnette d’alarme quand des violations sont constatées, en encourageant les gouvernements à prendre des mesures.

Elle a notamment voyagé dans des zones compliquées, comme la Crimée, quelques jours à peine avant son annexion par la Russie, pour lutter contre la censure et les intimidations à l’encontre des journalistes. Au même moment, plusieurs ONG ont déclaré qu’elle n’a pas épargné les pays de l’Europe occidentale, quand leur engagement à respecter l’indépendance des médias était largement devenu insuffisant.

Le champ d’action de Mijatovic sur des gouvernements répressifs reste limité. « Cependant, son rôle est crucial et important, pas uniquement pour le journalisme, mais aussi pour préserver la démocratie et ouvrir les yeux des sociétés en Europe sur les horribles pressions exercées par leurs dirigeants », déclare William Horsley, un ancien correspondant de la BBC, qui officie maintenant en tant que représentant pour la liberté de la presse à l’Association des journalistes européens.

« L’Union européenne devrait montrer l’exemple »

Juste avant de s’entretenir avec le journal Politico, Mijatovic s’est réunie avec ses 16 collaborateurs, dans son bureau, à Vienne, pour la première fois depuis sa « reconduction ». Ils discutent ensemble des priorités pour les douze prochains mois. Et il y a du pain sur la planche.

En Allemagne notamment, avec la récente enquête menée à l’encontre du comédien Jan Böhmermann, pour avoir « insulté » le Président turc Recep Tayyip Erdogan à la télévision. Une affaire qui a alimenté les débats quant à la liberté de parole. En Turquie, Erdogan a d’ailleurs fait taire les médias d’opposition et traduit en justice des journalistes trop « critiques » à son encontre.

Il y a également des séries d’attaques répétées contre les organes de presse dans les Balkans, d’où est originaire Dunja Mijatovic, qui ont un énorme impact sur le journalisme local.

« Il n’y a pas que dans les pays limitrophes de l’Union européenne que des organes de presse subissent de plus en plus de restrictions quant à leur liberté d’informer et leur remise en cause du pouvoir, déclare Mijatovic. Il y a également des violations de la liberté de la presse dans l’Union européenne, qui pourtant devrait montrer l’exemple ».

En Allemagne, par exemple, des attaques ont eu lieu envers des journalistes qui couvraient les manifestations du groupe « anti-islamisation » Pegida. En Italie, des journalistes ont été menacés pendant une couverture sur le crime organisé. En Pologne, il existe actuellement un contrôle accru de l’état sur les médias publics. « Partout sur le Continent, la liberté d’expression risque d’être mise de côté par l’agenda politique « plus urgent », comme la crise migratoire ou la menace terroriste », continue Dunja Mijatovic.

Elle ajoute : « L’UE ne fait pas suffisamment pour contraindre les pays qui veulent rejoindre l’Union (comme la Turquie, la Serbie et la Bosnie) à régler la question des droits de l’homme ».

Plus largement, de nombreux gouvernements, comme celui du Royaume-Uni par exemple, ont proposé des lois pour combattre le terrorisme, qui pourraient compromettre et diminuer les protections des organes de presse indépendants, par exemple en rendant plus compliquée la protection de leurs sources.

« Je pense que c’est un réel danger, précise Mijatovic. Nous allons connaître un effet « boomerang » si nous ne portons pas assez attention au respect des droits de l’homme, et ce, même pendant des temps de crise et de conflits. Un environnement sûr et sécurisé ne peut pas être imaginé sans protéger également les droits de l’homme ».

La liberté de la presse ne cesse de reculer

L’OSCE a créé le poste de représentant pour la liberté de la presse en 1997. Mijatovic est en entrée en fonction en 2010.

« Elle est vraiment la meilleure représentante qu’on a jamais eue, confie Ricardo Gutierrez, le Secrétaire général de la Fédération des journalistes européens. Elle est efficace, ouverte et tout à fait indépendante. Nous avons besoin de plus de personnes comme elle en Europe. Elle n’a jamais eu peur d’irriter et de critiquer les gouvernements puissants quant au traitement qu’ils réservent à leurs médias ».

La Russie a été particulièrement « ennuyée » par ses actions en Ukraine. Quand elle s’est rendue dans ce pays, elle a rencontré des journalistes qui avaient été violemment attaqués par des rebelles pro-Russes.

« Les télévisions locales ont été coupées, seules les chaînes russes étaient diffusées. Ça m’a rappelé ce que j’avais vu dans les Balkans dans les années 1990, quand la région était en guerre, dit-elle. Ici, c’était comme à Sarajevo à l’époque, je revoyais le même mode opératoire ».

Malgré ses actions, les efforts en matière de protection de la liberté de la presse sont encore trop faibles en Europe. Selon elle, la situation dans laquelle se retrouve la presse aujourd’hui est bien pire qu’à son arrivée à l’OSCE, en 2010.

Maxime Defays.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire