Donald Trump comparait ce mardi devant un tribunal pénal américain © Belga

Pourquoi, même inculpé, Donald Trump pourra briguer un second mandat de président

Celine Bouckaert
Celine Bouckaert Journaliste au Vif

L’ancien président américain Donald Trump comparait ce mardi en justice pour une affaire de versement et de remboursement de 130.000 dollars à l’actrice et réalisatrice de films X, Stormy Daniels. Quelles sont les implications de cette inculpation ? Entretien avec Serge Jaumain, professeur d’histoire contemporaine à l’ULB.

L’ancien président américain, qui rêve de reconquérir la Maison-Blanche, se présente à un tribunal pénal pour la lecture de l’acte d’accusation par un juge. Comme les autres prévenus, il est brièvement et symboliquement placé « en état d’arrestation », sera photographié et verra ses empreintes digitales relevées. Une inculpation inédite dans l’histoire des Etats-Unis.

A quel point l’inculpation d’un ancien président est-elle inédite aux Etats-Unis ?

Serge Jaumain : C’est évidemment historique qu’un ancien président soit inculpé de cette manière. Il va rencontrer le juge et prendre ses empreintes digitales, des photographies comme n’importe quel prévenu. C’est un coup de tonnerre dans l’histoire des Etats-Unis, même si Donald Trump nous a habitués à une série de premières. De ce côté-là, il n’y a pas de surprise.

Cette inculpation empêchera-t-elle Donald Trump de briguer un second mandat ?

Non, car les règles pour être candidat président sont très simples aux Etats-Unis. Il faut être citoyen américain, habiter dans le pays depuis 14 ans, avoir plus de 35 ans et ne pas avoir été élu deux fois président. A part cela, rien n’empêche Donald Trump d’être candidat, ce qui signifie que même s’il est inculpé, et qu’il finit par se retrouver en prison, il pourrait très bien rester candidat. Il existe d’ailleurs un exemple: en 1920, Eugene Debs, un socialiste pacifiste qui s’est présenté cinq fois aux élections présidentielles, a fait campagne depuis sa prison. En 1918, il avait pris position contre l’intervention américaine dans la Première Guerre mondiale. Suite à ses déclarations, il a été emprisonné et il s’est présenté aux élections de 1920 du fond de sa prison à Atlanta. Il a obtenu un peu plus de 900 000 voix. Il est donc tout à fait possible que Trump brigue un second mandat. Ceci dit, je pense que nous sommes très loin de la prison, car la procédure sera longue, sauf si Donald Trump reconnaît sa culpabilité, auquel cas les choses iraient très vite, mais ce serait étonnant. Ses avocats utiliseront probablement toute une série d’artifices, mais même s’il se retrouve en prison, il pourra participer à la campagne. Bien entendu, ce serait beaucoup plus difficile en termes de moyens. Il ne pourrait pas organiser de meetings. Mais rien ne lui interdirait de rester candidat.

Quel impact son inculpation aura-t-elle sur les électeurs républicains ?

L’impact sur une partie des électeurs républicains risque d’être important, car ce serait une manière de remobiliser sa base traditionnelle qui lui est d’une fidélité à toute épreuve. Bien entendu, un certain nombre d’électeurs républicains ont déjà pris leurs distances. Ce qui est surtout ennuyeux pour le parti républicain, c’est que les principaux candidats potentiels vont devoir se prononcer. Le principal opposant de Donald Trump, Ron DeSantis, le gouverneur de Floride qui pourrait remporter les primaires, a déjà déclaré que ce qui était en train de se passer était anti-américain. Les autres candidats à la primaire républicaine marchent sur un fil, car d’un côté ils ne voient peut-être pas d’un mauvais œil l’inculpation de Trump, mais d’un autre côté, s’ils ne le critiquent pas, et restent très discrets par rapport à cette inculpation, ils risquent de perdre une partie des électeurs trumpistes dont ils ont besoin pour gagner. C’est une situation très compliquée pour le parti républicain. Trump reste tout de même un candidat potentiel pour les primaires: il pourrait toujours obtenir l’investiture. Cependant, l’élection de Trump s’éloigne chaque jour un peu plus. La possibilité qu’il redevienne un jour président semble compromise. Par ailleurs, le bilan actuel de Joe Biden n’est pas si mauvais qu’on pourrait le penser. Les Américains regardent aussi le bilan économique, ils connaissent le bilan de Trump à ce niveau-là.

Cette inculpation est-elle une aubaine pour le président actuel Joe Biden ?

Oui et non. D’une part, c’est évidemment un mauvais coup pour les républicains de manière générale. D’autre part, il est problématique dans la situation politique actuelle d’avoir une telle attention médiatique pour cette affaire, qui détourne le regard des Américains de l’évolution politique globale. Il est inédit de voir parler les médias d’un ancien président pendant aussi longtemps. Trump continue à faire la une de l’actualité, et pas de la manière la plus positive, ce qui continue d’être assez triste pour l’image de la classe politique aux Etats-Unis. A cet égard, Biden ne doit pas se réjouir trop fortement de ce qui arrive. Cette inculpation renforce aussi la cassure au sein de société américaine entre des groupes de plus en plus opposés. Trump a contribué à radicaliser le débat dans la société politique américaine.

Cette inculpation va-t-elle conforter Trump dans son image de victime ?

Cette image de victime est essentielle pour lui, car s’il a annoncé bien à l’avance sa candidature à la primaire républicaine, c’est aussi une manière de se protéger contre la justice. C’est une façon de présenter toutes les procédures judiciaires contre lui comme une stratégie pour l’empêcher d’être candidat. Et c’est un discours qui fonctionne bien, évidemment. Il l’utilise de manière assez efficace, même si, et c’est une particularité de la Justice américaine, il vient d’être inculpé par un grand jury, mais derrière ce dernier, il y a le procureur de Manhattan qui est un démocrate. Donc, c’est évidemment assez simple pour Trump de dire : ‘Vous voyez, ce sont les démocrates qui m’attaquent et qui essaient à nouveau de m’empêcher de parler et de redevenir président’. Ce discours sert les thèses complotistes actuelles.

Donald Trump risque-t-il réellement de se retrouver en prison ?

Le risque existe, mais à mon avis, s’il va en prison, ce ne sera pas demain. La procédure risque d’être très longue. Ici, c’est « juste » une inculpation. Après, il faut que le cas soit jugé par un jury, et que celui-ci soit anonyme, et là ce sera compliqué, car Trump compte un certain nombre de partisans, et puis il aura la possibilité de faire appel, voire de s’adresser à la Cour suprême. Bien entendu, ici, c’est seulement une des procédures qui le visent, c’est celle qui en quelque sorte a été le plus rapide, mais il a évidemment aussi d’autres procès potentiels sur le bras, qui pourraient également le conduire en prison, même s’il en est encore loin.

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