© belgaimage

Semaine sans viande: pourquoi les éleveurs flamands polluent plus que les wallons

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

En Belgique, les élevages industriels sont bien plus présents en Flandre qu’en Wallonie. Mais des efforts restent à faire des deux côtés.

Il y a quatre ans, Philippe Baret (UCLouvain) et ses chercheurs ont étudié, à la demande de Greenpeace, diverses projections pour l’élevage belge (bovins, porcs, poulets) à l’horizon 2050. Un premier scénario envisageait l’avenir sans changement, en tenant compte des améliorations technologiques pour réduire les émissions de méthane. Résultat: 15% de gaz à effet de serre (GES) en moins et une baisse de consommation de viande de 19%.

Un deuxième scénario se penchait sur l’hypothèse d’un élevage alliant pour deux tiers systèmes extensifs et pour un tiers bio, et aboutissant à une réduction de 48% d’émissions de GES avec un recul de la consommation de 40%.

Dans un troisième scénario, la production de viande était 100% bio, les émissions de GES diminuaient de 58% et on consommait 69% de viande en moins. Les effets sur les émissions d’azote et la biodiversité révélaient grosso modo les mêmes écarts.

A l’époque, l’étude fut fortement critiquée par les associations d’agriculteurs, dont la Fédération des jeunes agriculteurs (FJA), focalisée sur le scénario le plus radical. Pourtant, l’étude démontrait essentiellement que, pour atteindre les objectifs climatiques, il fallait bannir les élevages de porcs et de poulets nourris avec des aliments importés (comme le soja) et privilégier le pâturage pour les bovins. Ce qui est plutôt positif pour l’agriculture wallonne.

En effet, l’essentiel de la viande de porc (95%) et de poulet (84%) est produit en Flandre, principalement de manière industrielle. L’agriculture flamande est, avec celle des Pays-Bas, la plus intensive d’Europe. Les cheptels bovins, eux, sont répartis de manière plus équitable, à une nuance près: 60% des vaches laitières se trouvent en Flandre et 60% des vaches allaitantes, destinées à terminer en steak ou à nourrir des veaux qui termineront en steak, en Wallonie, où l’on privilégie l’élevage sur herbe.

L’agriculture flamande est, avec celle des Pays-Bas, la plus intensive d’Europe.

L’azote, la bombe flamande

«S’il y a de grandes différences entre les deux régions, si les élevages intensifs sont bien plus présents en Flandre, c’est pour des raisons géographiques et pratiques, expose Anton Riera, chercheur à l’UCLouvain, qui a participé à l’étude. Il y a davantage de prairies en Wallonie tandis que le port d’Anvers facilite l’importation d’aliments pour animaux, en particulier le soja, et l’exportation de porcs et poulets flamands.» Deux tiers de la production porcine quittent le pays. Par la Flandre, la Belgique est le sixième exportateur mondial de viande de poulet: 90% de la production est vendue à l’étranger.

Le problème de l’élevage intensif réside dans sa contribution au réchauffement climatique. «Si l’on comptabilise son impact par unité de production, il émet moins de méthane, surtout chez les bovins, car le maïs ou le soja qu’on leur donne entraîne une digestion plus rapide qu’avec du fourrage bien plus lent à transiter dans le rumen des vaches, poursuit Anton Riera. C’est d’ailleurs un argument mis en avant par les défenseurs de l’élevage intensif. Mais si on calcule à l’hectare, les systèmes extensifs sont plus favorables à l’environnement, car ils mobilisent davantage de prairies, moins d’aliments importés et donc moins de pesticides. Sans parler de l’azote.»

Azote. Le mot qui fâche en Flandre. Le fumier et le lisier émettent du protoxyde d’azote qui, avec le méthane, est l’un des deux principaux gaz à effet de serre émis par l’agriculture. On le retrouve aussi dans les engrais synthétiques des grandes cultures céréalières. Lorsqu’il est trop abondant, il pollue l’air, étant bien plus nocif pour le climat que le CO2, mais aussi les rivières et appauvrit les sols. En Flandre, la surproduction d’azote, régulièrement dénoncée par la Commission européenne, est devenue un sujet de tension politique majeur au sein du gouvernement Jambon, entre autres à cause de la résistance du Boerenbond, le principal syndicat agricole flamand dont est historiquement proche le CD&V.

Supérieur à la moyenne européenne

Côté wallon, l’agriculture produit sensiblement moins d’azote. L’élevage intensif y est minoritaire, même pour les exploitations avicoles et porcines où les systèmes à faibles intrants et bio se développent de plus en plus. Le code régional agricole privilégie les fermes familiales. Pour autant, la Wallonie est loin d’être le meilleur élève de la classe européenne en matière d’azote et de GES en général. Et la qualité des eaux laisse toujours à désirer, entre autres à cause des fertilisants azotés et des déjections d’animaux et ce, malgré la succession des plans de gestion. Certes, les élevages extensifs sont la norme, mais la densité en UGB (unité de gros bétail) par hectare reste supérieure à la moyenne européenne. L’UGB permet de comparer les élevages entre eux. Un UGB équivaut à une vache, deux porcs, dix moutons et un peu plus de septante poules pondeuses.

L’association de défense de la biodiversité Natagora déplore que la nouvelle PAC (politique agricole commune) wallonne 2023-2027 n’incite pas plus que la précédente à diminuer la densité des élevages. «Sur le papier, cela semble bien, mais, en réalité, on donne d’un côté ce qu’on retire de l’autre», analyse Emmanuelle Beguin, experte PAC au sein de Natagora. La FJA confirme. En effet, une nouvelle mesure, dite écorégime, de la PAC wallonne favorise le maintien de prairies permanentes, en accordant des primes progressives selon la charge en bétail, qui commencent à 3 UGB par hectare. «En général, on considère qu’on peut parler d’élevage extensif en deçà d’1,8 UGB par hectare, éclaire Anton Riera. Au-delà, les animaux doivent passer plus de temps à l’étable et être nourris par des aliments extérieurs à la ferme.» Par ailleurs, les primes à l’autonomie fourragère, prévues par une mesure agroenvironnementale et climatique de la politique agricole wallonne, ont été significativement réduites.

La PAC, un peu comme les COP

«Les prairies sont donc mieux protégées dans la nouvelle PAC, mais pas l’autonomie fourragère, regrette Emmanuelle Béguin. Cela reflète le jeu politique qui consiste à lancer de beaux slogans pour la préservation du climat ainsi que la biodiversité, mais, dans la réalité, le statu quo prévaut. On rétribue les bonnes pratiques déjà existantes des agriculteurs, ce qui est bien. Mais l’enjeu de la transition écologique, c’est celui du changement. Un peu comme pour les COP: un discours volontariste mais des actes mous, et pas de contrainte à l’échelon national.»

Cette politique régionale, trop mièvre au vu des enjeux climatiques, s’explique aussi par la résistance du monde agricole qui se dit noyé sous les normes européennes. Nombre d’agriculteurs-éleveurs ne sont par ailleurs pas justement rémunérés. Et la population des agriculteurs est vieillissante. Ce n’est d’ailleurs pas propre à la Belgique, mais général à l’Europe. En Wallonie, l’âge moyen d’un chef d’exploitation s’élève à 55 ans. «La plupart sont donc relativement âgés, constate Philippe Baret. Ils ont souvent une position conservatrice, en se disant à quoi bon changer avant la retraite. On observe que les jeunes sont bien plus intéressés que leurs aînés par nos scénarios de recherche.»

Les formations pour les agriculteurs sont d’ailleurs davantage centrées qu’auparavant sur la préservation de l’environnement. «Il n’y a pas de cours spécifique sur les questions environnementales et climatiques, mais ces notions sont développées transversalement dans les matières scientifiques et l’apprentissage des pratiques agricoles, stipule Etienne Baijot, le directeur de “l’école des fermiers’’, (Epasc) à Ciney. Il y a une évolution progressive depuis dix ans.» L’école dispose aussi d’une ferme didactique de 146 hectares, avec 180 bovins, trentre moutons et un millier de poulets bio, censée être, toujours selon le directeur, «le reflet de ce que doit être l’agriculture d’aujourd’hui tout en donnant des pistes pour celle de demain».

L’Epasc développe, depuis peu, des partenariats avec le secteur de la recherche agronomique. Les agriculteurs et éleveurs en devenir sont-ils réceptifs? «La caractéristique de nos écoles est qu’on enseigne à des étudiants qui sont déjà initiés aux métiers agricoles, continue Etienne Baijot. Beaucoup, pas tous, ont des parents agriculteurs. Ils ont observé leur manière de faire, avec des différences de l’un à l’autre. Le premier travail de l’enseignant est celui du détricotage.»

55

ans. L’âge moyen d’un chef d’exploitation agricole en Wallonie.

Arrêter de subsidier les animaux?

Les aides couplées de la PAC accordées au monde agricole concernent, entre autres, les animaux. «Il y a là un paradoxe, soulève Philippe Baret. Même si les systèmes extensifs sont mieux soutenus, tous les systèmes d’élevage sont encore subsidiés, y compris les grosses exploitations intensives rentables. Certes, il y a un plafond (NDLR: 145 bovins maximum par unité de travail), mais il est temps de se demander s’il ne faut pas arrêter de subsidier les animaux et être plus ambitieux en matière de primes accordées aux actions environnementales des agriculteurs.» Cela risque d’alimenter les prochaines négociations de la PAC, mais la résistance sera sans doute féroce. «Supprimer les aides couplées aux élevages et lier les aides à l’hectare reviendra à accorder des primes à l’aveugle, prévient Florian Poncelet (FJA). Cela encouragera le labourage des prairies, qui est mauvais pour les émissions de CO2, et aussi les ventes illégales d’herbe.»

Lire plus de:

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire