Dave Sinardet, politologue (VUB). © belga

Chaos politique en Flandre sur le dossier azote : « Le discours de la N-VA contre la Vivaldi est décrédibilisé »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

En Flandre, le dossier azote provoque une crise politique mouvementée, dont l’issue est incertaine. Dans tous les cas de figure, elle laissera des marques. Peut-être même jusqu’au fédéral. « Le discours de la N-VA contre la Vivaldi est décrédibilisé », décrypte le politologue Dave Sinardet (VUB).

1. Comment en est-on arrivé là ?

Dave Sinardet : « En réalité, le dossier azote fait débat depuis un certain moment. L’année dernière, un premier rapport a déjà beaucoup fait parler. Avec, notamment, beaucoup de contestation de la part des milieux agricoles. Sammy Mahdi, qui a récemment pris la tête du CD&V, veut davantage profiler le parti. Notamment sur la question de la Flandre rurale, pour autant qu’elle existe encore. Aux Pays-Bas, on observe des dynamiques similaires concernant le même dossier. La pression de l’Union Européenne pour diminuer les rejets d’azote a également favorisé l’émergence de tensions. »

2. Pourquoi le CD&V est-il si attaché à cette question en Flandre ?

Dave Sinardet : « La stratégie du CD&V est un peu nouvelle, mais historiquement, le parti a toujours été très proche du Boerenbond (une association catholique flamande qui défend les intérêts des agriculteurs, NDLR.). En ce sens, ce n’est pas une surprise que les chrétiens-démocrates flamands défendent leurs intérêts. Ils veulent se profiler très fortement sur le dossier. Pour les intérêts des agriculteurs, mais aussi ceux de la Flandre rurale de façon générale. Sammy Mahdi s’est également positionné de la sorte dans d’autres dossiers. »

3. Flandre: en quoi la situation est-elle particulière pour la N-VA ?

Dave Sinardet : « Sur le sujet agricole, la concurrence est féroce avec la N-VA. Les nationalistes flamands sont dans une posture un peu bizarre, car Zuhal Demir (ministre flamande de l’Environnement, NDLR.) donne l’impression, dans ce dossier, de plus défendre les intérêts de la nature que de l’agriculture. Les écologistes et les socialistes peuvent donc se retrouver dans ce projet de la N-VA. Ce n’est pas nécessairement confortable pour la N-VA, qui se profile contre les Verts par principe. On est donc dans une situation paradoxale. »

4. Les nationalistes flamands s’en retrouveront-ils fragilisés ?

Dave Sinardet : « Le discours de la N-VA contre la Vivaldi est décrédibilisé. Car on voit qu’ils ne font pas nécessairement mieux au gouvernement flamand. Cela rend également moins crédible tout leur discours sur le confédéralisme. Cette crise ne profite pas du tout à la N-VA, c’est certain. »

5. Quelles sont les options possibles dans l’optique d’une sortie de crise ?

Dave Sinardet : « Actuellement, on a une paralysie. La question est de savoir comment ils vont en sortir. On retrouve des similitudes avec la chute du gouvernement Michel, qui était liée au Pacte des migrations. Là aussi, la question était de savoir si la N-VA allait se mettre dehors elle-même ou allait être mise dehors. On est un peu dans cette même logique du bouc émissaire.

Au niveau régional, on ne peut pas avoir d’élections anticipées. Ce n’est légalement pas possible.

Ce qui est faisable, et qui a d’ailleurs été fait au niveau wallon en 2017, c’est changer la majorité par une autre. Dans ce cas de figure, le gouvernement actuel tomberait. C’est théoriquement possible, mais difficile dans la pratique. Avec Vooruit, la majorité serait un peu trop courte. Et il n’y a pas de raison que Vooruit rejoigne un gouvernement qu’il a toujours critiqué. Si on rajoutait les écologistes, ça deviendrait alors complètement fou. Changer de majorité, ce n’est donc pas une option probable.

L’option la plus crédible -à moins qu’un accord soit finalement trouvé- ce serait de continuer comme gouvernement minoritaire. L’expérience serait intéressante car elle pourrait renforcer la démocratie parlementaire. Mais établir un gouvernement minoritaire ne fait pas du tout partie de la culture politique belge. L’option est souvent considérée comme impraticable. Elle peut avoir des avantages, mais dans le contexte actuel, un an avant les élections, ce n’est pas idéal. »

6. Un gouvernement d’affaires courantes sonnerait comme un aveu d’échec pour la N-VA…

Dave Sinardet : « C’est une solution, mais elle est en effet connotée très négativement d’un point de vue gouvernemental. Vu le contexte, ce serait un blâmage énorme pour Jan Jambon et la N-VA. Car pour l’instant, ce gouvernement flamand n’a pas du tout réussi à rencontrer les attentes. La gouvernance de la N-VA est loin d’être satisfaisante pour l’opinion publique.

Le gouvernement précédent n’était pas un grand succès, même s’il n’y pas eu de crises énormes. Geert Bourgeois a souvent été qualifié de trop terne, il n’arrivait pas réellement à profiler sa législature. On l’a exilé en Europe contre son gré pour le remplacer par Jan Jambon. Or, tout le monde, -même au sein de la N-VA-, est d’accord pour dire que Jambon, c’est encore pire que Bourgeois. »

7. Ce blocage est-il parti pour durer ?

Dave Sinardet : « On est dans une sorte de chaos politique. La crise n’a pas commencé aujourd’hui. Elle s’est juste accentuée. Si un accord est finalement trouvé avec le CD&V, la crise pourrait être résolue rapidement. Mais la confiance entre le CD&V et la N-VA est clairement rompue. Et trouver un accord ne signifierait pas pour autant un renouveau. Cela va laisser des traces. Mais continuer permettrait à tout le moins de prendre des décisions dans d’autres dossiers. »

8. Cette crise flamande peut-elle se répercuter sur le fédéral d’une façon ou d’une autre, avec les élections 2024 en ligne de mire ?

Dave Sinardet : « Tout est lié, comme les élections sont simultanées en Belgique. Mais cela pourrait d’abord avoir une influence claire sur la coalition du gouvernement flamand après les élections de 2024. Il apparait assez clairement qu’une une coalition entre la N-VA et Vooruit sera formée après 2024. Il y a déjà une sorte de pré-accord. La question est de savoir quel serait le troisième partenaire. Logiquement, on aurait d’abord pensé au CD&V, vu les mauvaises relations entre la N-VA et l’Open VLD. Mais vu la rupture de confiance totale entre la N-VA et le CD&V, c’est plutôt l’Open VLD qui pourrait se positionner comme troisième parti.

On voit que le Vld essaie un peu de revenir dans les grâces de la N-VA au niveau flamand. Il se profile comme partenaire loyal et critique davantage le CD&V que la N-VA dans ce dossier azote. S’il y a la possibilité de former un gouvernement à trois, ce sera donc plutôt avec le Vld, Vooruit et la N-VA.

Ce qui pourrait effectivement avoir un impact au fédéral, si on essaie d’y appliquer cette même coalition. Les libéraux flamands ont tendance à davantage vouloir intégrer la N-VA au fédéral, plus que dans le passé. »

Flandre
Jan Jambon

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