Les prescriptions de nature trouvent leur origine dans ce que les Japonais appellent les shinrin-yoku, les bains de forêt. © Getty Images

Immunité, santé mentale… pourquoi les «prescriptions de nature» gagnent du terrain

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Au jardin, dans un parc ou en forêt, les sorties en nature procurent de multiples bienfaits. Au point que les professionnels de la santé commencent à les prescrire.

Au terme d’un rendez-vous chez le médecin, le kiné ou le psychiatre, il pourrait arriver d’en ressortir avec une étrange prescription. Au-dessus du cachet du prestataire, aucun médicament, juste cette seule indication: «Marcher en nature, minimum 4×30 minutes/semaine.» Une telle ordonnance peut paraître simpliste, tant l’initiative est, pour certains, évidente. L’idée même de prescrire de la nature semble tout droit tirée d’un film d’anticipation. Pourtant, l’urbanisation croissante, les écrans et le sentiment d’insécurité n’ont cessé d’éloigner le contact avec la nature du quotidien, hormis un indéniable regain d’intérêt lors des confinements de 2020 et 2021.

De 2008 à 2019, le nombre d’enfants jouant dans l’espace public aurait diminué de 37%, d’après une enquête menée par l’association flamande Kind en samenleving. Une tendance structurelle, puisque celle-ci observait déjà une baisse de 50% entre 1983, l’année de la première étude, et 2008. D’autres travaux menés aux Pays-Bas, à la demande de l’association Jantje Beton, révèlent que 11% des enfants ne jouent jamais à l’extérieur sans la supervision d’un adulte. En Belgique, une enquête réalisée par le bureau Indiville, pour le compte du panel citoyen BPact, indique que près de 80% des enfants belges sondés ne jouent dehors qu’une heure, voire pas du tout, lors d’un jour de semaine ordinaire. Et qu’un parent sur dix ne fait jamais d’activité extérieure avec ses enfants.

Un renfort pour l’immunité

Quelle qu’en soit la forme, le contact avec la nature recèle de nombreux bienfaits pour la santé humaine. Durant l’enfance, il permet de renforcer les défenses immunitaires. En Finlande, des scientifiques ont comparé le système immunitaire de jeunes enfants évoluant dans des cours de garderies d’abord intégralement pavées, puis largement végétalisées. Verdict: en à peine un mois, le contact répété avec la nature (cinq fois par semaine) a permis d’accroître la diversité microbienne de la peau des enfants, contribuant, entre autres, à prévenir l’apparition de maladies auto-immunes (comme le diabète de type 1) ou des allergies.

«Toutes les cours des garderies devraient être transformées en espaces verts, car cela améliorera la régulation du système immunitaire des enfants, recommandaient les chercheurs. De plus, leur motricité et leur capacité de concentration s’amélioreront également.» D’autres recherches ont en effet démontré qu’à tout âge, l’activité en nature s’avère bénéfique en cas de trouble du déficit de l’attention, avec ou sans hyperactivité (TDA/H). Plus largement, les sorties actives en nature contribuent à réduire les risques de maladies cardiovasculaires, diminuent la tension artérielle systolique et aident à l’endormissement.

Regarder un nuage, observer les oiseaux, sentir le vent peuvent faire partie du panel des activités de reconnexion à la nature. © Getty Images

Au service de la santé mentale

Il en va de même pour la santé mentale. D’après les statistiques les plus récentes de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (Inami), quelque 118.000 Belges en incapacité de travail souffraient, en 2021, d’un burnout ou d’une dépression (soit un quart du total). C’est 46% de plus qu’en 2021. Du côté de Sciensano, l’institut national de santé publique, l’enquête «Belgian Health and Well-being Cohort» dresse un constat édifiant, en s’appuyant sur un panel de plus de 7.100 participants (de 18 ans et plus). A la lumière de son dernier bulletin, publié en mars dernier, 20% des répondants disaient souffrir d’anxiété généralisée et 18% de dépression – ces proportions atteignant respectivement 26% et 27% chez les 18-29 ans. En outre, 14% des sondés reconnaissaient avoir pris un sédatif au cours des deux semaines précédant l’enquête.

Face à des chiffres aussi moroses, la nature vient une fois encore à la rescousse. Dans des proportions variables, bon nombre de travaux ont confirmé que la majorité des patients suivis dans le cadre d’un burnout ou d’une dépression estimaient aller mieux après des sorties au vert répétées. Jardiner, se balader en forêt, s’asseoir sur un banc dans un parc… Ces sorties peuvent prendre différentes formes. Toutefois, les modes actifs tels que la marche seraient plus efficaces encore que les autres, d’après une modélisation réalisée par des chercheurs norvégiens. En outre, il apparaît qu’en matière de santé mentale, les sorties en nature profitent bien plus aux personnes qui y sont sensibles qu’à celles qui disent y être plutôt indifférentes.

C’est dans ce contexte que les prescriptions de nature entament une timide percée en Belgique. A Sprimont, le Centre de santé intégrée des carrières (CSIC) les propose depuis un mois. «Le concept est né dans les années 1980, à partir de ce que les Japonais appellent les shinrin-yoku, c’est-à-dire les bains de forêt», retrace Nolwenn Lechien, coordinatrice des projets de santé communautaire au CSIC et auteure d’un récent mémoire sur le sujet, nominé aux Hera Awards 2024, un prix récompensant les travaux abordant le développement durable de manière transversale. «En revanche, les premières références à la prescription de nature sont apparues à la fin des années 1990, à travers ce que les Néo-Zélandais appelaient les green prescriptions: il s’agissait de pratiquer un sport de base, mais en extérieur. Par la suite, ce courant a gagné les Etats-Unis, le Canada, puis l’Europe.»

Faire reconnaître les «soins verts»

Aujourd’hui, les fondations des parcs nationaux des Etats-Unis et du Canada s’apprêtent à les subsidier en conséquence, afin que les patients à qui l’on a prescrit de la nature puissent y marcher gratuitement, poursuit Nolwenn Lechien. En Angleterre, des centres développent le concept de green social prescriptions, c’est-à-dire des sorties en nature à faire en groupe. En Ecosse, d’autres professionnels de la santé mentale ont opté pour une démarche plus ésotérique, avec des activités de reconnexion à la nature telles que regarder un nuage, observer les oiseaux, sentir le vent.

De son côté, le CSIC commence à délivrer des prescriptions de nature, en s’appuyant notamment sur l’expertise d’une naturaliste et sur l’implication de bénévoles (y compris parmi les patients). Balades de remise en forme, découverte de fleurs ou de plantes comestibles, visite de jardins communautaires, initiation à la pleine conscience… Le contact avec la nature peut prendre différentes formes, notamment individuelles: trouver un chêne dans les environs et marcher jusqu’à lui, faire pousser un légume à partir d’un reste de repas, chercher un bois mort et observer ce qui l’abrite… «Outre les bienfaits pour la santé, tout cela aide à redécouvrir le rôle de la nature, qu’on a un peu perdu de vue», résume Nolwenn Lechien.

«En travaillant la terre, les pensées négatives cessent, on se vide l’esprit.»

Benoît Gillain, chef du service psychiatrie de la clinique Saint-Pierre, à Ottignies.

D’autres initiatives voient le jour. En janvier, un collectif composé d’associations et de professionnels de la santé a publié un mémorandum à l’attention des partis politiques fédéraux, pour tenter de faire reconnaître les soins verts par l’Inami. Leur approche: proposer, à des personnes mentalement fragilisées, d’effectuer des tâches auprès d’agriculteurs, de maraîchers, de gestionnaires de forêts… «Le quotidien de ces personnes est à nouveau structuré, cela leur donne un nouvel élan, confiait récemment à Trends le docteur Benoît Gillain, chef du service psychiatrie de la clinique Saint-Pierre à Ottignies, et signataire du mémorandum. En travaillant la terre, leurs pensées négatives cessent, ils se vident l’esprit. Répéter les mêmes gestes, comme arracher des mauvaises herbes dans un champ de betteraves, a le don de faire cesser la rumination mentale

Pourquoi une prescription?

Sachant que la nature est à la portée de presque tous, ne serait-ce qu’en passant du temps dans un jardin ou un parc, faut-il nécessairement une prescription médicale? «Non, évidemment, répond Nolwenn Lechien. Mais des études ont montré que les professionnels de la santé, en particulier les médecins, sont perçus comme des personnes de confiance, ce qui incitera d’autant plus les patients à suivre leurs recommandations. De même, d’autres travaux ont prouvé que l’assiduité avec laquelle un patient suit une indication médicale est plus importante quand celle-ci lui est donnée par écrit plutôt qu’oralement.» Bref, la prescription de nature accroîtrait les chances d’un passage à l’action à la fois significatif et durable.

Si seuls les médecins ont le droit d’émettre des ordonnances médicamenteuses, ce n’est toutefois pas le cas des prescriptions de nature. Le CSIC prévoit d’ailleurs de les élargir au personnel infirmier. «Dans notre pays, les médecins croulent sous le travail, poursuit la coordinatrice. Vu qu’on fait face à des déserts médicaux de plus en plus importants, il me semble pertinent de permettre aux kinés, aux infirmiers et aux psychologues de prescrire de la nature.»

«L’assiduité avec laquelle un patient suit une indication médicale est plus importante quand elle lui est prescrite.»

Nolwenn Lechien, coordinatrice des projets santé communautaire au CSIC.

Malgré un engouement perceptible pour ces prescriptions de nature, elles ne feront probablement pas l’unanimité parmi le corps médical. «Lors des entretiens effectués dans le cadre de mon mémoire, certains étaient plus sceptiques, reconnaît Nolwenn Lechien. Ils estimaient que ce message ne percolerait pas auprès des patients qui consultent seulement pour obtenir leur Xanax. Et que pour d’autres, en particulier dans les centres-villes, aller marcher dans la nature s’apparente à un luxe, par opposition à des priorités comme une alimentation correcte ou parvenir à boucler les fins de mois. J’insiste sur le fait que les prescriptions de nature n’ont pas vocation à remplacer la médecine traditionnelle. Mais elles peuvent être un plus pour les personnes qui ne vont pas bien ou ont besoin de faire plus d’activité physique.»

Outre son lien évident avec les démarches favorables à la biodiversité ordinaire, l’opération En mai, tonte à l’arrêt proposées par Le Vif est aussi un appel à bénéficier des multiples bienfaits de la nature, qui commencent indéniablement au jardin.

EMTA, mode d’emploi

Etape 1
Inscrivez-vous!
A partir du 18 avril

Envie de participer? Rendez-vous sur levif.be/enmaitontealarret.be et remplissez le formulaire d’inscription. Déjà enregistré? Connectez-vous à votre compte pour accéder à votre profil et inscrivez votre jardin. Vous recevrez un e-mail de confirmation.

Etape 2
Laissez pousser et observez
Du 1er au 26 mai

Début mai (ou avant), délimitez une zone de non-tonte sur votre gazon – idéalement la plus grande possible – et laissez-la pousser. Sur votre profil, vous pourrez prochainement enregistrer sa superficie totale. N’hésitez pas à en parler autour de vous et sur les réseaux sociaux (un kit est disponible sur le site de l’opération).

Etape 3
Comptez les fleurs sur 1 m²
Du 24 au 26 mai

Délimitez aléatoirement un mètre carré dans votre zone de non-tonte. Rendez vous ensuite sur levif.be/enmaitontealarret afin d’encoder le nombre total de fleurs que vous y avez compté. Enregistrez cette donnée au plus tard le 26 mai. Instantanément, vous recevrez votre indice nectar personnalisé.

Etape 4
Le 6 juin
Les résultats

Découvrez le bilan global de l’opération (indice nectar total, mètres carrés non tondus, contribution aux populations d’abeilles) dans Le Vif du 6 juin et sur levif.be.

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