L’art du shinrin-yoku: « Au Japon, les généralistes vous envoient simplement dans la forêt »
Le monde est sous le charme du shinrin-yoku, l’art japonais du bain de forêt. La nature est-elle notre meilleur médicament ? Et si oui, comment faire en sorte que la nature refasse partie de notre existence urbaine ?
L’histoire apprend que la nature a plusieurs fois servi d’inspiration aux grandes philosophies et considérations de l’humanité. Siddharta Gautama a atteint ses lumières de Buddha à l’ombre d’un arbre, selon la légende Isaac Newton a fait l’une des découvertes majeures de l’histoire de la science sous un pommier, et le philosophe américain Henry David Thoreau a fait une expérience dans la forêt qui a changé sa vie et qu’il décrit dans son livre « Walden ». Et celui qui se rend de temps en temps dans la nature pourra difficilement en nier l’effet bénéfique sur son corps.
Au Japon, on exerce « l’art du bain de forêt » ou le « shinrin-yoku » (« shinrin » est le mot japonais pour « bois » et « yoku »signifie « bain »). Qui se baigne en forêt, plonge tous ses sens dans la nature pour en sortir plus fort et revitalisé. « En 1982, le ministère japonais de la Sylviculture a inventé le shinrin-yoku dans l’idée que si les gens se rendent compte que la nature est bonne pour eux, ils s’occuperont bien de la nature aussi », explique Ingeborg Verplancke, coach en promenades shinrin-yoku. « Les autorités japonaises promeuvent même le shinrin-yoku sous la forme de soins de santé préventifs. Les généralistes y envoient simplement leurs patients dans la forêt. Le pays compte 62 centres reconnus de sylvothérapie qui accueillent 5 millions de visiteurs par an. Les Japonais ont même des mots que nous n’avons pas pour différents sons de forêt, tel que le vent qui murmure dans les arbres, le son de la pluie dans la forêt, le bruissement des feuilles sous les pieds. Nous avons beaucoup à apprendre d’eux, car contrairement aux Japonais, nous nous sommes un peu éloignés de la nature. C’est parce que nous avons peu de forêts, mais aussi parce que nous ne prenons pas le temps. »
Dans leur livre « Shinrin-yoku », les auteurs du best-seller « La méthode Ikigai » Francesc Miralles et Héctor García analysent les conséquences de l’écart grandissant entre l’humain et la nature. Beaucoup de maux dont nous souffrons trouvent leur origine dans notre éloignement de la nature. Ainsi, la dépression, les névroses et autres maladies psychosomatiques prennent beaucoup plus d’emprise sur nous, même si nous avons un niveau de vie enviable. Notre cerveau n’est pas équipé pour vivre dans des villes très peuplées avec le nombre élevé de stimulus, de sons et de masses humaines. Depuis 2005, il y a aussi un terme médical pour le phénomène : Nature Deficit Disorder (NDD). Comme nous sommes des êtres biologiques, nous sommes physiologiquement adaptés à nous rendre dans certains environnements, à jouer, courir, chasser – bref à être actifs. Mais en réalité, nous passons nos journées assis et à l’intérieur. Nous sommes à ce point soudés aux technologies modernes que nous accordons moins d’attention au monde en dehors de nous. Nous apprenons plus sur la nature en regardant un documentaire de David Attenborough qu’en faisant une promenade dans les bois.
« Nous vivons dans une société de connaissances », ajoute la thérapeute. « Depuis l’enfance, nous sommes stimulés pour réfléchir et agir au lieu de sentir et d’être. Nous sommes des têtes promenantes. Je ne suis pas étonnée que tôt ou tard les gens aient besoin d’un time-out. Je vois le burn-out ou la dépression comme une invitation à rétablir le contact, la solidarité avec votre propre nature. La forêt est un endroit où la solidarité est bien organisée. Les forêts communiquent entre elles. C’est pourquoi on s’y sent très vite chez soi. L’humain se complique souvent beaucoup trop la vie, alors que la nature , c’est la simplicité pure. Les bains de forêt ne sont pas du tout une question de connaissances, ils dépassent notre compréhension. Ils s’adressent à notre sixième sens, c’est une sorte de dimension supérieure. »
Le shinrin-yoku s’est propagé au monde occidental à une allure effrénée. Là où il y a quelque temps, on plébiscitait encore les phénomènes scandinaves « hygge » et « lagom » pour lutter contre le stress et le burn-out, à présent on espère expérimenter les vertus médicinales du bain de forêt.
Que dit la science?
Il y a des siècles, plusieurs civilisations savaient déjà que la nature nous rend plus forts – pensez au culte des arbres celte, – mais entre-temps, il y a aussi une base scientifique. Spécialisé en médecine des bois, le professeur japonais Qing Li a trouvé une partie de l’explication dans les phytoncides. Ce sont des toxines naturelles sécrétées par les plantes pour se protéger. Elles évitent que les plantes pourrissent quand elles sont attaquées par des champignons ou des bactéries, ou mangées par des insectes ou d’autres maladies. Ces phytoncides boostent aussi les cellules tueuses, qui ont la capacité de détruire les cellules cancéreuses. C’est ce que révèle une étude menée à la campagne et en ville, mais aussi des expériences de laboratoire. L’effet favorable sur les cellules immunitaires perdure minimum sept jours après le bain de forêt. En d’autres termes, une promenade dominicale de deux, trois heures dans un parc boisé peut nous protéger contre une semaine de vie en ville. Évidemment, cela ne signifie pas que le bain de forêt soit un traitement contre le cancer. Au Japon, le shinrin-yoku est classé comme une thérapie préventive pour éviter de tomber malade, ou complémentaire pour les patients qui se remettent d’une maladie ou d’une opération.
Le « poison » des arbres favorise aussi d’autres changements physiques bénéfiques pour la santé tels que la baisse du nombre d’hormones de stress, le pouls et la tension et une amélioration de la vigilance et de la variabilité du rythme cardiaque, l’un des principaux indicateurs pour mesurer notre niveau de stress.
Plus qu’une simple promenade en forêt
Pour expérimenter les effets positifs du shinrin-yoku, une promenade hebdomadaire au vert est un minimum. Mais comment se représenter concrètement une promenade ? D’après Francesc Miralles et Héctor García, il est essentiel de s’abandonner à l’expérience. N’utilisez donc pas le shinrin-yoku pour réfléchir à vos problèmes. Le but n’est pas non plus de pratiquer un exercice intense, de bavarder avec des amis, ou d’écouter un thérapeute vous conseiller sur un possible tournant de carrière. Laissez vos préoccupations quotidiennes et futurs rendez-vous et obligations – et certainement votre téléphone – à l’orée de la forêt, et abandonnez-vous à l’ici et maintenant de la forêt afin d’être totalement présent et ancré dans la nature. Les jours après le bain de forêt, vous allez pouvoir puiser dans une réserve précieuse de repos quand le stress s’emparera de vous.
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