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Indexation des pensions : corbeilles avantageuses, privilèges du passé et système discrétionnaire

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Tous pensionnés à la même enseigne ? En Belgique, pas vraiment. Si la référence de l’indice pivot s’applique à tous les régimes, d’importantes disparités ressortent entre salariés et fonctionnaires (et même entre fonctionnaires eux-mêmes). Un manque d’harmonisation d’un système « discrétionnaire », qui favorise des « privilèges du passé ». La dette publique n’en avait pas vraiment besoin.

Pour la première fois en 2023, les pensions augmentent. De 2%, dès ce mois de novembre. L’attente a été longue pour certains pensionnés, qui avaient connu six indexations des pensions (suite à six dépassements de l’indice pivot) l’année dernière, en raison d’une inflation record. Retour dans les clous, donc, pour 2023.

En Belgique, le dépassement de l’indice pivot s’applique aux pensions de tous les régimes : salariés, indépendants et fonctionnaires. « Si le dépassement a eu lieu au mois d’octobre, l’indexation des pensions a lieu au mois +1 après le dépassement de l’indice pivot, donc en novembre », rappelle Jean-Luc Vannieuwenhuyse, expert juridique chez SD Worx. Pour rappel, l’indice pivot est l’indice de référence qui, une fois dépassé, enclenche une indexation des pensions de 2%. Il s’agit d’un taux fixe dont le dépassement se base sur l’indice des prix à la consommation.  

Indexation des pensions – L’enveloppe bien-être pour les salariés : un système « discrétionnaire »

Pour mieux cerner la façon dont les pensions sont indexées en Belgique, il convient de distinguer deux systèmes.

« Il y a d’une part le régime pour les salariés et les indépendants. Celui-ci consiste à indexer sur base de l’indice lissé, l’objectif étant de maintenir le pouvoir d’achat pour le pensionné, sur base de l’inflation », explique Pierre Devolder, professeur de finances (UCLouvain), expert du système de pensions belge.  « Cette méthode n’est pas si mauvaise, car elle induit une certaine protection, pour le retraité, face à l’évolution des prix. »

Mais l’indexation n’est pas la seule source d’augmentation des pensions. Un petit coup de pouce, nommé « l’enveloppe bien-être », peut venir s’ajouter pour les anciens salariés. Le système résulte d’accords entre le gouvernement et les partenaires sociaux, et reste donc très aléatoire. « L’idée de l’enveloppe bien-être est de compléter l’indexation liée à la hausse des prix avec une liaison à la hausse des salaires », étaye Jean Hindriks, président de l’Economics School of Louvain. En d’autres termes, le but est que les pensions suivent non seulement l’évolution des prix, mais aussi l’évolution des salaires actuels, afin que le pouvoir d’achat du pensionné suive le niveau de vie des personnes actives. En quelques sortes, il s’agit d’une indexation au-delà des prix », explique-t-il.

L’enveloppe bien-être est un peu discrétionnaire. Globalement, elle manque de transparence et de garanties pour les pensionnés.

Pierre Devolder

« L’enveloppe bien-être est un peu discrétionnaire. Globalement, elle manque de transparence et de garanties pour les pensionnés, critique Pierre Devolder. Tout cela cadre aussi avec un problème de soutenabilité de notre régime de pension, dont le coût est croissant. Vu l’état de nos finances publiques, cette enveloppe bien-être pourrait donc disparaître à tout moment. »

La péréquation pour les fonctionnaires : des corbeilles plus généreuses que d’autres

Le deuxième système, qui concerne les fonctionnaires retraités, est « beaucoup plus avantageux ». Outre l’indexation, les fonctionnaires retraités profitent d’une liaison aux salaires des fonctionnaires en fin de carrière. « On parle alors d’une péréquation annuelle, avec un système de corbeilles qui consiste non seulement à indexer les pensions, mais aussi à les faire suivre à l’évolution d’une rémunération moyenne des fonctionnaires actifs en fin de carrière. Chaque année, un taux de péréquation complémentaire est donc décidé », relève Pierre Devolder.  

Il y a une vraie liaison entre les salaires des fonctionnaires en fin de carrière et la pension des fonctionnaires retraités.

Jean Hindriks

Ainsi, seize corbeilles sont établies pour définir le groupe auquel le fonctionnaire pensionné appartient (enseignant, police, pouvoir fédéral, etc.). Au sein de chaque corbeille, un calcul de l’évolution des salaires (traitements) en vigueur de lors des derniers départs à la pension est établi. Ils sont comparés tous les 4-5 ans. Si le salaire réel (hors inflation) a augmenté de 5%, la pension est alors revalorisée sur cette base-là. « Il y a donc une vraie liaison entre les salaires des fonctionnaires en fin de carrière et les pensions », commente Jean Hindriks. Cette péréquation n’est que le reflet de la hausse des salaires en fin de carrière et avantage clairement les fonctionnaires ».

Cependant, de fortes disparités peuvent apparaître selon les corbeilles. « En 2021, la revalorisation était de 5% pour la Région Bruxelles-Capitale, de 1,9% en communauté française, mais de 0% pour l’autorité fédérale. Les écarts sont donc énormes. Des corbeilles sont plus généreuses que d’autres », exemplifie Jean Hindriks.

Harmonisation d’un système « moyenâgeux »?

Face à ces écarts entre salariés et fonctionnaires, la question de l’harmonisation doit être posée. « Le fait est qu’un fonctionnaire a une pension en moyenne deux fois plus élevée qu’un salarié. Ainsi, l’indexation leur est également beaucoup plus avantageuse, fait remarquer Jean Hindriks. Les fonctionnaires retraités profitent donc de l’indexation classique, à laquelle on ajoute des revalorisations sur base de l’évolution de salaires. Il est interpellant de revaloriser davantage ceux qui ont déjà une pension plus élevée. De plus, les fonctionnaires profitent d’un départ à la retraite plus précoce. Il y a donc un triple avantage. »

Il est interpellant de revaloriser davantage ceux qui ont déjà une pension plus élevée.

Jean Hindriks

« Ce système est un peu moyenâgeux, prolonge Pierre Devolder. Il est difficile de justifier le fait de favoriser une personne et pas une autre, sous prétexte que la première officiait dans les services publics. Logiquement, il faudrait uniformiser les deux systèmes ».

Pour Jean Hindriks, il s’agit donc de trouver un mécanisme de liaison de bien-être qui assure une égalité de traitement. « Avec les revalorisations, les fonctionnaires pensionnés profitent de privilèges du passé. Ils étaient légitimes lorsque les salaires de la fonction publique étaient inférieurs au domaine privé. Mais cet écart n’est plus d’actualité. L’harmonisation des pensions est d’ailleurs une promesse de la Vivaldi qui n’a pas été réalisée. »

« C’est pour cela qu’on commence à parler d’indexations partielles ou avec plafonnement, conclut-il. Cela permettrait de revaloriser par le bas, et pas par le haut. Cette simple règle permettrait une convergence entre les différents régimes. Moins revaloriser permettrait aussi de mieux répartir le coût du vieillissement et de restreindre son poids sur la dette publique. »

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