Quid de la récession tant redoutée? Va-t-elle probablement avoir lieu, ou pas?

Baisse de l’inflation mais récession imminente ? Les prévisions de deux économistes

Le Vif

Inflation élevée, chronique d’une récession annoncée… L’invasion de l’Ukraine par la Russie en est évidemment la source, provoquant de grandes souffrances humaines et la flambée du coût des énergies dans le monde entier. Depuis, ces prix diminuent, entraînant une baisse de l’inflation. Mais quid de la récession tant redoutée? Va-t-elle probablement avoir lieu, ou pas? Paul De Grauwe et Peter Vanden Houte partagent ici leurs réflexions.

En 2022, l’inflation a atteint un seuil de 11,27%. Au moment de cet entretien, à la mi-avril 2023, elle était de 6,9% en Europe et de 6% aux USA.

L’inflation a atteint un niveau très élevé en 2022. Va-t-elle continuer à baisser en 2023?

Paul De Grauwe: «L’inflation n’est pas agréable, c’est évident, mais nous en avons déjà eu des épisodes par le passé. Dans les années 1970, l’inflation a ainsi longtemps tourné autour des 10%. La période inflationniste d’aujourd’hui sera sans doute moins longue. Les banques centrales réagissent plus vite pour la contenir. Et n’oublions pas que c’est l’augmentation du coût des énergies suite à la guerre en Ukraine qui en a été l’une des causes principales. Si les prix de l’énergie ont fortement baissé entretemps, ceux de l’alimentation restent en revanche très élevés.»

Peter Vanden Houte: «Quelques baisses de prix, comme celle de l’énergie, font en effet diminuer l’inflation. Les prix des matières premières agricoles comme le blé, l’huile de maïs et de tournesol, qui avaient fortement augmenté suite à la guerre, diminuent à nouveau. Le coût des denrées alimentaires va suivre avec un léger retard, car l’énergie est un des éléments de ce coût. Et si nous avons acheté de nombreux biens durant la pandémie, ce sont maintenant les services qui pèsent sur nos modèles de consommation. L’inflation pourrait donc durer plus longtemps, en raison notamment de la pénurie sur le marché du travail dans le secteur des services, avec pour conséquence une augmentation des salaires.»

Peter Vanden Houte, économiste en chef d’ING Belgique.
Peter Vanden Houte, économiste en chef d’ING Belgique. © National

L’inflation va-t-elle revenir au niveau que les banques centrales préconisaient avant la pandémie?

Peter Vanden Houte: «Avant la pandémie, les banques centrales estimaient qu’une inflation de 2% était idéale pour le maintien d’une croissance économique suffisante. La pénurie structurelle du marché de l’emploi et l’érosion de la globalisation de l’économie «au profit» d’une production locale – plus chère – compliquent le retour à ce niveau, notamment suite au protectionnisme croissant des grands blocs économiques.»

Paul De Grauwe: «Les chiffres ne sont pas sacro-saints et je me demande si ces 2% sont idéaux ou même nécessaires. On peut tout aussi bien ambitionner une inflation de 3% car il y a fort peu de différence entre une inflation à 2 et à 3%. En fait, certains économistes estiment qu’une fourchette de 2 à 5% ne présente aucune différence économique réelle.»

«Donc, s’il est difficile d’atteindre les 2%, pourquoi ne pas se contenter de 3%? Persévérer est dénué de sens si des problèmes structurels nous en empêchent. De plus, une inflation de 3% est plus éloignée d’une inflation nulle, qui peut être problématique. L’Allemagne a longtemps constitué une économie modèle, à l’inflation stable. Or, pendant des années, jusqu’à l’introduction de la zone euro, cette inflation dépassait les 3%, en moyenne.»

Paul De Grauwe, professeur à la London School of Economics and Political Science. © National

Peter Vanden Houte: «Effectivement, et depuis, on a assoupli cet objectif idéal, du moins en Europe. Le premier objectif, très sévère, était inférieur à 2% mais les banques centrales préconisent désormais une inflation autour de 2%. Abandonner la limite de 2% comporte le risque potentiel que les acteurs économiques doutent du sérieux de cet objectif si l’inflation fluctue trop. Cela peut entraîner de l’incertitude et éventuellement une augmentation du taux d’intérêt réel, c’est-à-dire le taux d’intérêt nominal moins l’inflation.»

La récession annoncée depuis un certain temps par tant d’économistes va-t-elle se produire? (La récession est une diminution du Produit intérieur brut – PIB – pendant deux trimestres consécutifs)

Peter Vanden Houte: «Je suis surpris qu’elle se fasse attendre malgré le choc énergétique subi par l’Europe. Pour l’instant, nous échappons à la récession grâce à la baisse des coûts énergétiques, qui augmente le pouvoir d’achat. En même temps, le taux d’emploi européen, même s’il n’est pas brillant, semble annoncer une croissance économique. Reste à voir quelle sera la (vitesse de) réaction de l’économie face au durcissement monétaire des banques centrales.»

«La Chine s’est départie de sa stratégie zéro Covid et a rouvert les portes de son économie. Cela a d’abord provoqué une explosion des contaminations (et de l’immunité de groupe), mais les Chinois recommencent à sortir, à consommer, voyager… La consommation augmente mais d’autres composantes de la croissance, comme l’immobilier, restent faibles. Le rétablissement pourrait se renforcer et s’étendre au second semestre.»

«Le taux d’embauche est excellent aux USA. Fait à la fois surprenant et positif, bien que la banque centrale américaine (Federal reserve ou Fed) ait augmenté les taux, les entreprises trouvent toujours des taux de financement relativement bon marché, ce qui est favorable à la croissance économique. La situation de la Silicon Valley Bank a induit un certain stress financier, mais on ignore encore dans quelle mesure et combien de temps cela peut avoir un impact sur cette croissance. L’immobilier résidentiel, sensible aux taux, en pâtit déjà.»

Quel était le problème de la Silicon Valley Bank?

Peter Vanden Houte: «Le secteur technologique californien était en plein malaise. Les startups trouvant moins de capitaux à risques, elles ont puisé dans leurs réserves bancaires, en l’occurrence la Silicon Valley Bank. Or, pendant une longue période à un taux faible, les banques ont gagné moins. Certaines ont cherché des rendements supplémentaires en investissant dans des obligations à long terme. La Silicon Valley Bank l’a fait mais a dû vendre ces obligations prématurément, avec de fortes pertes, lorsque ses clients technologiques ont eu besoin d’argent. La banque a donc annoncé devoir augmenter son capital, ce qui a suscité la méfiance.»

© Getty Images/iStockphoto

Paul De Grauwe: «En effet, mais nous devons être conscients du fait que toute banque est fragile. En anglais, on dit A bank borrows short and lends long, soit «une banque emprunte à court terme mais prête à long terme». Le moindre doute quant à la solvabilité d’une banque peut inciter tout le monde à réclamer son argent, ce qui est fatal. La Silicon Valley Bank a été victime de cette méfiance. En cas de run on the bank, les banques centrales peuvent intervenir et assurer des liquidités. La Fed l’a fait trop tard dans le cas de la Silicon Valley Bank.»

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