La Belgique, caverne d’Ali Baba pour un départ à la retraite précoce? «Les gens peuvent faire leur petit marché»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Une prépension précoce déguisée ? Le RCC -le régime de chômage avec complément d’entreprise-, qui doit favoriser le retour des séniors sur le marché de l’emploi après un licenciement tardif, est pointé du doigt en Flandre. Une étude démontre l’inefficacité du système : moins de 1% des personnes inscrites à ce régime retrouvent effectivement du travail, alors qu’elles doivent théoriquement se rendre disponibles. « On a accumulé trop de formules pour quitter le marché du travail avant la retraite », pointe Pierre Devolder (UCLouvain), mais « supprimer ce système ne résoudrait rien », ajoute l’économiste Jean Hindriks. Pour Selena Carbonero (FGTB), « on attaque le problème du mauvais angle ». La réforme des pensions, impatiemment attendue d’ici l’été, devra trancher. Et uniformiser un système devenu trop complexe ?

Il représente une minorité des personnes inscrites dans les systèmes de fin de carrière –à peine 5%- et pourtant, il suscite de nombreuses interrogations. En Flandre, le RCC -le régime de chômage avec complément d’entreprise– s’attire les foudres de plusieurs experts. Une récente étude démontre que parmi plus de 6.000 inscrits au RCC au nord du pays, seuls 0,62% retrouvent du travail. Théoriquement, le système n’est pas une retraite anticipée. Psychologiquement, il est souvent perçu comme tel. « En réalité, c’est une porte de sortie définitive du marché du travail », constate Jean Hindriks, président de l’Economics School of Louvain et expert du système des pensions.

Initialement, le RCC avait pour but d’éviter les conflits sociaux. Jean Hindriks contextualise : « Les personnes âgées qui sont victimes d’une restructuration et qui basculent au chômage ont droit à ce régime. Si elles n’ont pas encore l’âge de partir en préretraite. Mais les chiffres le montrent : beaucoup ignorent qu’ils sont encore censés être disponibles et proactifs dans la recherche de travail. En réalité, le RCC s’est transformé en une sorte de prépension avant la période de pension anticipée. »

Retraite: « Un incitent non-négligeable à arrêter le plus tôt possible »

Pour Pierre Devolder (UCLouvain), expert du financement des pensions, ce faible taux illustre la difficulté globale de remettre les séniors au travail. « Une fois que les gens sont dans ce système de RCC, ils considèrent, à tort ou à raison, qu’ils sont déjà en pension. La confusion semble globalisée : les bénéficiaires assimilent le régime comme une retraite anticipée, alors que ça ne l’est théoriquement pas. »

Jean Hindriks ajoute : « Ces années passées en salle d’attente sont considérées comme prestées. Et sont donc comptabilisées dans votre pension comme si vous aviez travaillé. C’est un incitant non-négligeable à arrêter le plus tôt possible, puisqu’il n’y aucun avantage financier à continuer. »

Le RCC est un incitant non-négligeable à arrêter sa carrière le plus tôt possible, puisqu’il n’y aucun avantage financier à continuer.

Jean Hindriks

L’économiste va même plus loin, désignant la Belgique comme le pays où, financièrement, le travailleur a le moins à y gagner en travaillant au-delà de 60 ans. « C’est caractéristique de notre pays. Et donc, les travailleurs partent à la retraite au premier âge possible. Cela pose aussi des questions quant à l’organisation et l’intensité du travail. Il serait simpliste de dire qu’il faut juste fermer les portes de sortie. »

Selena Carbonero, secrétaire fédérale de la FGTB, dénonce le constat de l’étude flamande, qui, selon elle, n’est pas valable. « Dans le sens où on ne mesure pas l’efficacité du RCC en fonction du nombre de personnes qui sont remises à l’emploi. »

Elle précise : « Si on venait à supprimer ce système, comme le préconise l’étude, cela pourrait engendrer un effet contre-productif et mettre en péril le taux d’emploi des travailleurs âgés de plus de 55 ans. Cela permettrait aux employeurs de se soustraire à la seule mesure qui les responsabilise quant au maintien à l’emploi des seniors. Car ils doivent payer un complément aux allocations de chômage en cas de licenciement. En réalité, cette mesure a un effet dissuasif et permet de maintenir à l’emploi de nombreux travailleurs âgés. Demander la suppression de ce régime est très réducteur. »

En réalité, le RCC a un effet dissuasif auprès des employeurs et permet de maintenir à l’emploi de nombreux travailleurs âgés. Demander la suppression de ce régime est très réducteur. 

Selena Carbonero

« Supprimer ne résoudrait rien », abonde Jean Hindriks. « La vraie question qui se pose, c’est quel est le profil exact de ces personnes et pourquoi n’arrive-t-on pas à les remettre à l’emploi ? ». Le président de l’Economics School of Louvain développe : « La réalité est qu’en Belgique, on manque de force de travail. On peut donc se poser la question de savoir si on peut se permettre de laisser partir autant de gens de façon précoce, sachant qu’il n’y a pas de relève. Il faut investir dans la réactivation », plaide-t-il.

Juxtaposition de techniques pour une fin de carrière prématurée

Selon Pierre Devolder, supprimer le système de RCC n’est pas indispensable, car il correspond tout de même à des nécessités sociales, dans certains cas. « Mais il est temps de mettre sur la table tous les systèmes existants et rétablir un nouveau package plus équilibré. Il existe trop de routes de sortie, le désordre règne. »

Le professeur de l’UCLouvain dénonce une juxtaposition de techniques pour partir à la retraite de façon prématurée. « On a accumulé les formules pour sortir du marché de l’emploi. Outre la RCC, on peut également citer les maladies de longue durée et les – vraies – pensions anticipées. C’est le résultat de l’héritage du passé. Si on grossit un peu le trait, en Belgique, les gens peuvent faire leur petit marché avec les différentes formules qui existent. Un tri est donc nécessaire. Pour obtenir un système plus uniforme. Il règne un certain fatalisme, et un manque d’incitation pour le retour au travail. Les gens considèrent que s’ils sont écartés du marché du travail après 55 ans, leur carrière est finie. »

On a accumulé les formules pour sortir du marché de l’emploi de façon précoce. Un tri est nécessaire.

Pierre Devolder

Pour Selena Carbonero, ce manque d’incitation pour le retour au travail n’est pas le problème principal. « Car des politiques de contrôle et d’accompagnement sont déjà mises en place. D’autant plus que, selon une étude de la FGTB, les politiques de sanction ne font qu’éloigner les personnes les plus fragiles de l’emploi. Il faut appréhender la question autrement et d’abord s’assurer de bonnes conditions de travail. »

Par ailleurs, la syndicaliste estime qu’il faudrait d’abord confronter les employeurs à la problématique. « Pourquoi n’engagent-ils pas plus de travailleurs âgés ? C’est aussi à eux de prendre leurs responsabilités, car beaucoup de stéréotypes circulent encore sur le travailleur seniors. Vivre avec une allocation de chômage et un petit complément de l’employeur ne permet pas une aisance financière. En soi, cet élément est déjà un incitant à retrouver du travail », avance-t-elle.

Attendue d’ici l’été, la réforme des pensions ne pourra pas passer à côté de la question du RCC. « Viser un meilleur taux d’activité des seniors est un pion central de la réforme, et repenser le RCC est une pièce du puzzle très importante pour y parvenir », conclut Pierre Devolder.

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