La pension à 67 ans en Belgique: «Une fiction avec un effet d’aspirateur»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

La sortie d’Alexander De Croo sur le départ à la retraite à 67 ans, qu’il juge « purement théorique », a relancé le débat sur l’âge de fin de carrière en Belgique. « D’une certaine façon, la pension à 67 ans, c’est une fiction », juge Pierre Devolder, professeur à la Louvain School of Management et expert des questions liées aux retraites. « Ceci dit, le fait d’augmenter l’âge légal de la retraite insuffle un effet d’aspirateur sur tout le système ».

67 ans, un âge « purement théorique » pour partir à la retraite, comme le soutient Alexander De Croo ? Sur le plateau de VTM Nieuws, le premier ministre rallumé la mèche du débat sur l’âge du départ en pension. Dans un élan rassuriste, il y a précisé que la grande majorité des Belges n’aurait pas à travailler jusqu’à l’âge de 67 ans. « C’est un concept théorique, qui concerne les gens qui ont étudié pendant longtemps et qui ont commencé à travailler tard », a justifié le libéral.

En Belgique, l’âge légal du départ à la retraite est actuellement fixé à 65 ans. Il passera à 66 ans d’ici 2025, puis 67 ans à l’horizon 2030. Mais selon De Croo, il faut nuancer ces chiffres. « Il y a une différence entre l’âge légal de la retraite à 65 ans et l’âge auquel la plupart des gens la prennent », a-t-il tempéré. « La grande majorité des gens aujourd’hui prennent leur pension entre 62 et 63 ans. »

Actuellement, seuls 10 % des travailleurs prennent effectivement leur retraite à l’âge légal, selon les chiffres avancés par le premier ministre. Une statistique largement minimisée par De Croo (voir les chiffres du SPF Pension ci-dessous).

Pension: gap entre départ théorique et effectif

« Si on compare l’âge théorique et l’âge réel de la retraite, on est encore loin des 67 ans », avance Pierre Devolder, professeur à la Louvain School of Management et expert des questions liées aux retraites. « En Belgique, on navigue actuellement autour de 62-63 ans comme âge moyen de départ », dit-il, corroborant ainsi la moyenne avancée par Alexander De Croo. « L’âge légal de la retraite doit davantage être considéré comme une balise. Dans beaucoup de cas, les gens partent plus tôt », avance-t-il.

Cependant, pour l’expert, cette différence entre départ théorique et départ réel est assez marquée en Belgique. « Dans le passé, on avait un gap beaucoup plus important, avec parfois plus de cinq ans de différence entre l’âge légal et le départ effectif. Cette marge est en train de se réduire. Car les conditions pour partir de manière anticipée sont beaucoup plus strictes. Mais il y a des pays dans lesquels cet écart est encore beaucoup plus réduit qu’en Belgique. Comme l’Allemagne ou la Suède, par exemple. Aux Pays-Bas, l’âge de la retraite est directement lié à l’espérance de vie, et augmente de manière dynamique », développe Pierre Devolder.

Au vu de cette différence marquée entre théorie et réalité, augmenter l’âge théorique se répercute-t-il dans les faits ? « D’une certaine façon, les 67 ans, c’est une fiction », lance Pierre Devolder. « Ceci dit, le fait d’augmenter l’âge de la retraite insuffle un effet d’aspirateur sur tout le système, qui fait que l’âge effectif est lui aussi retardé, petit à petit. Les politiques repoussent également cet âge théorique dans le but d’habituer les esprits à un départ progressivement plus tardif. »  

Si l’âge demeure le critère numéro 1 pour le départ à la retraite en Belgique, c’est surtout la durée de carrière qui déterminera si les conditions pour une pension décente sont réunies. « En général, il faut compter entre 42 et 43 ans de carrière pour pouvoir prendre sa retraite à 63 ans. C’est là tout le débat entre l’âge de retraite et la durée de carrière. Faut-il imposer un âge fixe pour tout le monde ou une durée fixe de carrière ? », se questionne le professeur de l’UCLouvain.

Pour Devolder, on ne peut pas dire que l’âge fixé en Belgique soit totalement inutile. « Il sert de balise, de phare. Et lorsqu’il est adapté, il fait bouger l’âge effectif progressivement, qui avance en parallèle. »

Pension: que disent les chiffres actuels ?

Contacté, le SPF Pension nous a fournis des statistiques précises quant à l’âge de départ à la retraite en Belgique. Et le moins que l’on puisse écrire, c’est que des différences notables existent entre fonctionnaires, salariés et indépendants.Selon les chiffres de 2021 -les plus récents actuellement à disposition– seuls 21,3% des fonctionnaires travaillent effectivement jusqu’à 65 ans. Ils sont par contre 52,6% chez les salariés et encore plus nombreux parmi les indépendants (65,8%).

En outre, à peine 2% des fonctionnaires ont travaillé au-delà de 65 ans. Ils sont un peu plus nombreux à avoir dépassé l’âge légal chez les salariés (4,79%) et les indépendants (13,16%).

Sont exclus de ces chiffres: les pensionnés qui bénéficient d’une pension dans un régime spécial, d’une pension étrangère, d’une pension pour inaptitude physique (fonctionnaires), ou d’une pension de conjoint divorcé.

« Les indépendants partent à la retraite à un âge beaucoup plus proche de l’âge légal, alors que, curieusement, les fonctionnaires partent beaucoup plus tôt. C’est un peu surprenant », note Pierre Devolder.  

De plus, les personnes qui ont des carrières plus courtes ou plus hachées auront tendance à devoir travailler plus longtemps pour avoir une pension adéquate et/ou une pension minimale, ce qui provoque « des inégalités en fonction des situations. »

Des régimes de faveur « illogiques »

Les régimes spéciaux, dont bénéficient la police ou l’armée, par exemple, représentent encore un autre point de friction. Alexander De Croo a d’ailleurs qualifié ces exceptions d’illogiques. « Ces régimes particuliers permettent de partir beaucoup plus tôt que 60 ans, dans certains cas. C’est important, mais cela ne représente pas non plus une grande partie de la population », nuance l’expert en pension.

Pour lui, afin de réduire les inégalités et les privilèges, se baser davantage sur la durée de carrière serait plus adéquat. « Pour quelqu’un qui commence à 18 ans, c’est injuste de le faire travailler jusqu’à 67 ans, par rapport à un universitaire qui va commencer à 25 ans. Il faut évidemment tenir compte d’une certaine forme de pénibilité, de la longueur de la carrière, etc. Mais il y a toujours un certain nombre de métiers, qui, grâce à des acquis du passé, ont droit à des régimes de faveur. Ces derniers n’ont plus de raisons d’être. Ce sont des privilèges, clairement. »

Toujours est-il que l’allongement du temps de travail est une tendance qui se vérifie dans de plus en plus de pays. « Les gens devront partir à la retraite plus tard de façon progressive. Cela s’observe de manière plus ou moins douloureuse, comme en France. La tendance, elle est là. » Pierre Devolder conclut : « En Belgique, il ne faut pas s’accrocher au chiffre des 67 ans, car peu de gens travailleront en réalité jusqu’à cet âge. Mais l’effet d’entraînement induit par ce report n’est pas à sous-estimer. »

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