Tihange © Belga

Quel avenir énergétique pour la Belgique après 2025 ? « Le nucléaire ne peut pas tout couvrir »

Le Vif

Pour des raisons climatiques et géopolitiques, la Vivaldi a conclu un accord avec Engie afin de prolonger le nucléaire après 2025. Au-delà de cette date, quelle est la stratégie du gouvernement ? Nos deux experts sont clairs : « Il n’y a pas de stratégie sur le long terme ».

Le gouvernement Vivaldi a donc acté lundi la prolongation des réacteurs Doel 4 et Tihange 3 pour dix ans, afin de sécuriser l’approvisionnement énergétique du pays jusqu’en 2035. « Pour moi, ils auraient dû aller plus loin que ça, et décider d’une stratégie claire pour le mix énergétique des cinquante prochaines années », assène Hervé Jeanmart, professeur à l’Ecole Polytechnique de Louvain. « Je salue bien évidemment cette décision, qui est positive à court terme pour notre indépendance au niveau de la production d’énergie. Mais pour moi, le rendez-vous est manqué car si on veut investir dans le nucléaire à plus long terme, c’est maintenant qu’il faut le décider ».

Fabienne Collard, spécialiste des questions d’énergie au sein du Centre de recherche et d’information socio-politique (Crisp), abonde : « L’équation énergétique est loin d’être résolue. Dix ans, ce n’est rien en matière d’énergie. Pour attirer les investisseurs, il faut qu’une vision claire se dégage. Les décisions doivent se prendre sur 30 ou 40 ans ».

Depuis la loi de 2003 consacrant la sortie du nucléaire pour 2025, c’est la troisième fois que les réacteurs sont prolongés en Belgique. « A ce moment-là, se souvient la chercheuse, la problématique des déchets nucléaires était la plus importante. Aujourd’hui, nous sommes dans l’urgence. Le gouvernement n’avait d’autre choix que de prolonger le nucléaire pour 10 ans, afin de sécuriser notre approvisionnement en énergie. »

Un horizon énergétique flou

Il y a un an, la sortie du nucléaire était presque actée. Exit Doel 4 et Tihange 3. Pour compenser, deux centrales au gaz (une aux Awirs et une à Seraing) ont été choisies en 2021 via le CRM, le mécanisme de rémunération de capacité. Mais c’était sans compter sur l’invasion russe en Ukraine, qui a mis en lumière notre dépendance énergétique vis-à-vis de l’étranger. Même si la Belgique n’importe que 6,5% de gaz russe, ce chiffre est à relativiser. Les Etats membres sont souverains en matière énergétique, mais c’est bien l’Union européenne qui sécurise l’approvisionnement en énergie et tente de maintenir des prix abordables sur le marché. Et l’Union dépend à 45% des importations russes de gaz naturel.

Le gouvernement a donc choisi de prolonger deux réacteurs, pour moins dépendre des importations en matière d’énergie à l’avenir. Pour Fabienne Collard, cette vision court-termiste de la politique énergétique n’est pas spécifiquement belge : « C’est l’Union européenne qui donne l’impulsion dans ce domaine. Depuis le début des années 2000, l’objectif annoncé est d’avancer sur le chemin de la transition énergétique. Autrement dit, délaisser les énergies fossiles pour se tourner vers le renouvelable ».  

Le nucléaire, une importance à nuancer

Début janvier, le gestionnaire du réseau électrique Elia a sorti un rapport sur la production d’électricité en Belgique en 2022. Le consulter permet de voir avec quelle énergie est produite l’électricité.

Il s’avère que près de la moitié de notre électricité (47,3%) est produite grâce au nucléaire. La deuxième source importante est le gaz, qui représentait plus d’un quart de la production électrique (26,9%) l’an dernier. A noter aussi la part de plus en plus importante du renouvelable. Si on additionne le solaire et l’éolien (onshore et offshore), on obtient presque 20% du mix électrique. C’est 3% de plus qu’en 2021 et un record national.

Source: Elia

Au niveau de la production d’électricité, le nucléaire est quasi incontournable. Mais qu’en est-il de son utilisation pour nos autres besoins énergétiques ? Pour le savoir, il faut se tourner vers les derniers chiffres du SPF Economie sur la consommation finale d’énergie, qui valent pour l’année 2021.

Source: SPF Economie

L’électricité représente 17,3% de la totalité d’énergie consommée dans notre pays. Elle est largement dépassée par les combustibles fossiles, qui représentent en tout 75,4% de la consommation finale d’énergie, soit plus de trois quart de l’ardoise énergétique.

Ce constat n’est pas anodin : « Le nucléaire sert avant tout à produire de l’électricité », pointe Fabienne Collard. « Cela signifie que l’énergie utilisée pour le chauffage, pour l’industrie et pour le transport provient en grande partie des combustibles fossiles, et dans une moindre mesure du renouvelable. J’estime qu’on étouffe le débat énergétique en Belgique en abordant surtout la question nucléaire, qui revêt une dimension politique importante, presque philosophique » (voir encadré).  

Quel futur énergétique ?

Hervé Jeanmart tient à le préciser, « investir dans un type d’énergie, c’est un choix de société. Pour l’après 2035, les décideurs ont deux options : miser sur le nucléaire en créant de nouveaux réacteurs ou importer du renouvelable de l’étranger. Dans tous les cas, le nucléaire ne peut couvrir l’ensemble de nos besoins en énergie ».

Le professeur en polytechnique ne croit pas au scénario du tout renouvelable pour 2050 : « Même avec un parc éolien développé au maximum, nous continuerions à dépendre de l’étranger. La Belgique a une densité de population importante, ce qui limite les possibilités d’installation d’éoliennes ». La solution serait alors d’importer de l’électricité produite à partir du renouvelable chez nos voisins européens.

Quant à l’avenir du nucléaire, Fabienne Collard est catégorique. « L’énergie atomique n’est pas la solution miracle. Au niveau mondial, il y a un peu plus de 400 réacteurs nucléaires. Ceux-ci fonctionnent avec de l’uranium 235, une ressource qui ne sera plus disponible d’ici une centaine d’années ».

Et qu’en est-il des énergies fossiles comme le gaz, le pétrole et le charbon ? Sur ce point, les deux experts se rejoignent : leur utilisation est amenée à baisser de plus en plus. « D’abord au vu des ambitions climatiques affichées au niveau européen, et donc aussi au niveau belge », relève Hervé Jeanmart. « Les énergies fossiles produisent des gaz à effet de serre, qui réchauffent la planète. Continuer à les utiliser serait donc contre-productif pour les gouvernements ». La chercheuse au Crisp va encore plus loin : « Le pic de production du pétrole a eu lieu en 2008, celui du gaz devrait avoir lieu en 2030. Quant au charbon, il est difficilement transportable. »

Prolonger Doel 4 et Tihange 3 est un premier pas nécessaire pour sécuriser l’approvisionnement énergétique belge. Pour autant, le nucléaire ne résoudra pas à lui seul l’équation énergétique. Entamé en 2003, le débat autour du nucléaire devrait continuer à faire couler beaucoup d’encre dans le cahier de la Vivaldi.

Nathan Scheirlinckx

Le nucléaire : 20 ans de sortira…sortira pas

Le nucléaire suscite des débats passionnés en politique. La Belgique ne fait pas exception. « Les partis écologistes ont été fondés dans les années 1980 sur base de l’opposition au nucléaire, qui était alors vue comme une énergie destructrice », rappelle Benjamin Biard, politologue au sein du Crisp. En 1986, la catastrophe nucléaire de Tchernobyl répand un nuage radioactif sur le monde, et avec lui la peur de l’atome s’installe. Une aubaine pour les écologistes, qui entrent au fédéral pour la première fois en 1999. Résultat ? Une loi promulguée en 2003 entérinant la sortie du nucléaire pour 2025. En 2019, les Verts effectuent une percée électorale aux élections. C’est le jackpot : Groen obtient le portefeuille de l’énergie via Tinne Van Der Straeten. « Alors qu’elle négociait avec Engie, elle n’a pas réussi en 2020 à mettre en place une sortie complète et rapide du nucléaire ».

Pourtant, au sein du gouvernement fédéral, la mesure fait presque consensus. « Le Mouvement Réformateur était le seul partenaire de la majorité à s’opposer à cette sortie. Les libéraux francophones ont été confortés dans leur position par, d’une part, la hausse des coûts de l’énergie et d’autre part l’invasion russe en Ukraine, qui a fait craindre une pénurie énergétique ».

Voilà comment le combat historique des écologistes s’est vu réduit à peau de chagrin en un rien de temps. Groen et Ecolo se retrouvent dans une situation inconfortable, qui pourrait même s’aggraver à l’approche des élections. « En 2024, ils pourraient perdre des voix à cause de cet échec cuisant », analyse Benjamin Biard. « D’autant qu’au sein même de ces partis, tout le monde ne s’accorde pas sur cette sortie du nucléaire ».

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