Récemment, au cours d’un salon du livre, j’ai vécu un événement cocasse.
Il a réveillé en moi une émotion ressentie quinze ans plus tôt. Appel d’un numéro inconnu. J’hésite puis finis par répondre… et stupéfait, j’apprends que mon premier roman sera publié. Cet inconnu deviendra mon premier éditeur. La phrase qu’il a prononcée avant d’entamer les discussions résonne toujours dans ma tête: «On a adoré votre livre, mais vous devez savoir que la publication du premier ne garantit pas celle du second.» Je compris à travers cette mise en garde que rien n’était joué. Un premier roman publié n’est en aucun cas gage qu’un deuxième suivra. Ces paroles eurent sur moi un effet des plus stimulants. Merci, cher premier éditeur.
Un premier roman publié n’est en aucun cas gage qu’un deuxième suivra.
Dès lors, je me suis senti investi d’une mission. Avant, j’écrivais pour moi-même. Lorsque mon premier livre est paru, il m’a semblé que je venais d’acquérir un nouveau statut. J’étais entré sans vraiment le vouloir dans la grande famille des écrivains. J’existais aux yeux d’autrui, non seulement en tant qu’être humain mais aussi en tant qu’écrivain. L’euphorie ne dura que quelques semaines. Mon livre laissa place à d’autres nouveautés aux étals des librairies. J’ai compris que ce nouveau statut si grisant pouvait disparaître du jour au lendemain. Il me faudrait entretenir la flamme, sans cesse l’alimenter de nouvelles publications.
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Au cours de ce salon, j’avais été convié à une réunion avec les organisateurs. Alors que je marchais dans une allée pour m’y rendre, un auteur qui attendait quelque lecteur avec une impatience mal dissimulée me harangua tel un marchand de fruits et légumes au marché matinal. Je me suis approché pour lui expliquer qu’une réunion importante avec les organisateurs m’attendait dans l’immédiat, mais que je ne manquerais pas de revenir une fois celle-ci terminée. Quand enfin j’ai pu remplir ma promesse, il me fit comprendre sans ambages qu’il méritait une meilleure attention de ma part et que j’étais un malotru de l’avoir tant fait poireauter. Il s’est empressé de me démontrer en quoi son œuvre était exemplaire et même, disait-il avec emphase, révolutionnaire.
– C’est votre premier? ai-je demandé innocemment.
– Oui, oui, mon premier. Il est là, sous mes yeux, dans mes mains, et je n’en reviens pas encore!
– Je l’aurais parié, tant vos yeux pétillent de fierté!
– Et attention, ce n’est pas le dernier! J’ai plein d’idées en tête.
C’est tout ce que je pouvais lui souhaiter. Mais la phrase de mon éditeur ne cessait de rebondir dans ma tête.
Ayant fermement décidé de ménager mon portefeuille ce jour-là, j’ai simplement noté ses coordonnées et les références de son ouvrage. Vexé, il a refusé les miennes. «Je suis venu ici pour vendre un livre dans lequel j’ai investi toutes mes économies…» Certes, il devait répondre à des impératifs financiers mais était-ce le rôle de l’écrivain? Qui étais-je pour le juger? Il n’avait pas eu la chance de rencontrer l’éditeur capable de lui remettre les pieds sur terre. Je n’ai pas osé le lui montrer mais sur le coup, j’ai été très choqué par son attitude. Pensait-il avoir écrit un tel chef-d’œuvre qu’il aurait dû enthousiasmer chaque lecteur? La publication de son premier livre avait-elle tué toute objectivité en lui?
A bord du train qui me ramenait à Bruxelles, je n’ai eu de cesse de m’interroger. En quoi donc le fait d’être publié avait-il modifié mon propre regard sur moi-même?
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