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Un roman sinon rien : la sélection de la rédaction

Le Vif

La famille, le corps, la masculinité toxique, le genre, l’éco-anxiété, la violence… La rentrée littéraire tire dans tous les sens et c’est tant mieux. Même si l’offre se rétracte, on peut facilement se perdre dans la jungle des 490 nouveaux titres. La rédaction débroussaille le terrain avec une première sélection de quarante ouvrages.

Prudence semble être le mot d’ordre des éditeurs en cette rentrée 2022. «Seuls» 490 nouveaux romans (francophones et traductions confondus) prendront d’assaut les libraires pour ce rituel typiquement français. Un nombre en baisse alors que le Covid n’avait pas (trop) affecté le secteur de l’édition. Mais la pénurie prolongée du papier, les reports attendus dans les dépenses des ménages et la flambée des prix de l’énergie ont poussé les éditeurs à une plus grande sélectivité, sans heureusement se priver de la sève des premiers romans, qui seront nonante à tenter leur chance. Qu’importe au fond pour le lecteur si c’est 490 ou 510, il devra de toute façon se frayer un chemin dans ce maquis. Pour lui faciliter la tâche, la rédaction a passé quarante romans (sans compter les polars et les BD) au banc d’essai. Des valeurs sûres, des petits nouveaux, quelques déceptions et beaucoup de bonnes surprises. La littérature est une vieille dame qui a encore un redoutable crochet.

1 Arpenter la nuit

Premier roman

Par Leila Mottley, Albin Michel, 416 p.

A chaque rentrée, sa pépite littéraire afro-américaine. Cette année, elle s’appelle Leila Mottley, elle a 19 ans et elle livre un premier roman incandescent, politique et furieusement émouvant. Porté par une voix poétique, Arpenter la nuit raconte la descente en enfer de Kiara, jeune fille noire d’Oakland qui a grandi trop vite dans un environnement délabré et se retrouve prise au piège de la prostitution et du racisme. Un vibrant hommage à tous ces invisibles qui ont en commun «des rêves immenses mais une petite vie».

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2 Crossroads

Par Jonathan Franzen, L’Olivier, 704 p. (parution le 23/09).

Fidèle à son sujet de prédilection, la famille, l’auteur de Freedom s’attache dans ce premier volet d’une ambitieuse trilogie à la figure de Russ Hildebrandt, pasteur libéral dans l’Illinois dont le couple bat de l’aile, le tout sur fond de guerre du Vietnam et d’émergence du mouvement hippie. Une fresque à combustion lente où les tourments individuels font écho à la crise morale que traverse le pays. Quelque chose nous dit qu’on a là du bois narratif dont on fait les grands romans américains.

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3 Où es-tu, monde admirable?

Par Sally Rooney, L’Olivier, 384 p.

Comment rebondir après le succès phénoménal de Normal People? Réponse: en reprenant le principe de la chronique rohmérienne des relations amicales et amoureuses, mais appliqué ici à quatre trentenaires, deux amies séparées de longue date mais entretenant une intense correspondance et leurs amants respectifs. De quoi donner encore plus d’épaisseur à cette radioscopie introspective de la crise de la modernité. Quelque chose comme les jeux de l’amour et du hasard à l’heure de l’effondrement…

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4 Le Bord du monde est vertical

Premier roman

Par Simon Parcot, Le mot et le reste, 160 p.

Se revendiquant «proche des univers de René Daumal […] ou Bérengère Cournut» (lire page 72), Simon Parcot est un passionné de montagne. Dans ce premier roman, il décrit une expédition d’alpinisme réunissant des êtres humains et non humains bien décidés, comme les personnages du Mont Analogue de Daumal, à grimper le plus haut possible au-dessus de la Vallée des glaces. Une épopée profondément humaine, aussi ambitieuse que réussie.

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5 Zizi Cabane

Par Bérengère Cournut, Le Tripode, 240 p.

Romancière que l’on pourrait qualifier d’écologiste, scrutant le destin des hommes au regard de leurs relations chamaniques à la nature, Bérengère Cournut s’était plongée en territoire hopi dans Née contente à Oraibi, puis inuit avec De pierre et d’os, qui lui valut le prix du roman Fnac. Retour en France avec ce Zizi Cabane: la chronique mystique, faussement naïve, d’une petite tribu familiale marquée par la disparition soudaine et inexpliquée de la mère, vraisemblablement rendue aux éléments.

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6 Débarquer

Par Hugo Boris, Grasset, 198 p.

Auteur de l’impressionnant Trois grands fauves, en 2013, puis du subtil Police, en 2016 (auréolé du prix Eugène Dabit du roman populiste et adapté au cinéma par Anne Fontaine), Hugo Boris propose ici les portraits en miroir d’un vétéran américain du D-Day et d’une jeune mère, guide touristique, au bord de la rupture à la suite de la disparition soudaine du père de ses deux enfants. Lancés dans la recherche éperdue de ceux qui les animaient, ces deux-là heurtent leurs solitudes avant d’apprendre à aligner leurs points communs.

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7 Que reviennent ceux qui sont loin

Par Pierre Adrian, Gallimard, 192 p.

Avant ses 30 ans, Pierre Adrian avait reçu le prix François Mauriac de l’ Académie française pour La Piste Pasolini, puis le prix Roger Nimier pour Des âmes simples. Beau palmarès pour un jeune homme très circonspect à l’égard de la modernité comme elle va, contempteur des errements de sa génération. Dans ce nouveau roman, c’est à un personnage entre deux âges qu’il donne vie, de retour estival dans la maison familiale pour mesurer la friabilité de ce qui est, la violence de ce qui s’éteint.

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8 Léopard noir, loup rouge

Par Marlon James, Albin Michel, 704 p. (parution le 3/10).

Après sa Brève histoire de sept meurtres à tiroirs, Marlon James met sa verve au service d’une trilogie fantastique. Dans une Afrique fictionnelle, grevée par la violence et peuplée de créatures mythiques, Pisteur a été mandaté pour retrouver – mort ou vif – un enfant possiblement héritier du trône. Mais lui comme les autres mercenaires de cette mission ne sont pas au bout de leurs surprises. Entre un rhizome à la Marvel et des rebonds dignes de Game of Thrones, l’auteur jamaïcain jongle avec les codes épiques.

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9 Cher Connard

Par Virginie Despentes, Grasset, 352 p.

La plus punk des écrivains français signe un roman épistolaire brassant à grands coups de punchlines énervées, en vrac, la masculinité toxique, la vieillesse et l’addiction. De l’autrice de King Kong Théorie, on s’attendait à un peloton d’exécution pour le patriarcat. Mais VD surprend en faisant le pari d’un dialogue cash mais bienveillant entre Rebecca, la star de cinéma jouisseuse et égoïste, et Oscar, l’écrivain à succès accusé de harcèlement par une militante féministe radicale. Un contre-pied vivifiant à la dynamique haineuse à l’œuvre sur les réseaux sociaux.

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10 Qui sait

Par Pauline Delabroy-Allard, Gallimard, 208 p.

Qu’y a-t-il derrière un nom? Enceinte, heureuse en couple et étrangement détentrice pour la première fois d’une carte d’identité à 30 ans, la narratrice, Pauline, s’interroge sur les prénoms énigmatiques qui sont administrativement accolés au sien: Jeanne, Jérôme, Ysé. Entre quête d’identité empêchée par des fausses pistes, surgissement de fantômes, lignée de femmes et puits creusés à même la fiction, l’autrice de Ça raconte Sarah slalome avec grâce, recomposant au fil des épiphanies son propre puzzle.

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11 Au moins nous aurons vu la nuit

Premier roman

Par Alexandre Valassidis, Gallimard/Scribes, 112 p.

Dans une ville engluée dans une torpeur néfaste, le jeune Dylan disparaît de façon trouble. Alors que les rumeurs – notamment autour de sa famille – fusent, le narrateur, qui était proche de lui, cherche à élucider cet effacement soudain et sonde les liens qui les unissaient, tissés à même la nuit et la solitude. Déjà publié comme poète (entre autres aux éditions Cheyne) sous le nom de Louis Adran, Alexandre Valassidis signe un premier roman hypnotique et sciemment poreux où il cultive l’art de l’esquive.

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12 Houston-Osaka

Premier roman

Par Bryan Washington, JC Lattès, 400 p.

A Houston, Benson et Mike sont en couple depuis quelques années mais s’interrogent sur la nature du ciment qui les lie encore. En prenant la décision de partir à Osaka faire ses adieux à son père mourant, Mike contraint son compagnon à une cohabitation singulière avec sa mère japonaise, quasiment inconnue, venue leur rendre visite. En faisant osciller sa narration entre le point de vue de l’un et de l’autre, Bryan Washington tresse un roman qui interroge à cœur l’intimité, mais aussi le chagrin ou les traumas.

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13 La Nuit des pères

Par Gaëlle Josse, Noir sur blanc/Notabilia, 192 p.

Documentariste des profondeurs marines, Isabelle a fui son village natal des Alpes à cause d’un père mal aimant et cruel en mots. Mais la santé de cet ancien guide de montagne est vacillante, et Olivier, le frère aimé, la convie à renouer leurs liens malgré la rancœur passée. Gaëlle Josse (Une Longue Impatience, Une femme en contre-jour), toujours juste, sonde dans ce court mais intense roman les marques indélébiles que l’histoire dépose sur les êtres et, par ricochet tragique, sur leurs proches.

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14 Hommes

Par Emmanuelle Richard, L’Olivier, 256 p.

Volontaire dans un château après la mort de ses parents, Lena Moss y rencontre Aiden, un Texan avec qui elle a une liaison ambivalente – entre désir, dégoût et désintérêt – et qui manque de l’étrangler. Des années plus tard, elle apprend que l’homme est recherché pour violences commises sur plusieurs femmes. Lena devrait-elle témoigner de cet épisode terrifiant qu’elle a voulu enfouir? Emmanuelle Richard (La Légèreté, Pour la peau) explore autant le danger qui rôde que les impensés qu’il crée.

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15 Mon bel animal

Par Marieke Lucas Rijneveld, Buchet-Chastel, 416 p.

Après Qui sème le vent (portrait hérissé d’une enfance aux Pays-Bas, International Booker Prize), Marieke Lucas Rijneveld met le curseur encore plus résolument sur le trouble avec un texte obsessionnel. Le vétérinaire de son premier roman est fasciné viscéralement par la jeune fille d’un de ses clients (une adolescente solitaire aux pensées aiguës, comme décrochées du réel, qui se croit responsable du 11-Septembre). Il confie ce désir immoral dans un journal au flux continu et vertigineux.

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16 Performance

Par Simon Liberati, Grasset, 252 p.

Usé par les drogues, rongé par les dettes, un romancier de 71 ans est engagé comme scénariste pour une minisérie consacrée aux Rolling Stones. A ses côtés, son amante, muse et mannequin de 23 ans qui n’est autre que sa belle-fille… Tels Bonnie et Clyde, le couple fait route vers le tournage en Espagne, empruntant le même trajet que Keith Richards et sa bande. Expert dandy, spécialiste des célébrités à la dérive, Liberati orchestre un chant du cygne rock’n’roll. «Comme souvent je tentais le diable.»

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17 Stardust

Par Léonora Miano, Grasset, 220 p.

A 23 ans, Léonora Miano (Contours du jour qui vient, La Saison del’ombre) n’était pas l’autrice reconnue d’aujourd’hui mais une jeune mère célibataire, SDF et sans papiers. Stardust, reflet de ces années 1990 où elle fut accueillie dans un centre d’hébergement et d’urgence avec sa petite fille, met la lumière sur l’extrême précarité des femmes réfugiées, engluées dans le vortex administratif et l’instinct de survie dont elles doivent faire preuve. Ce fut le premier texte qu’elle chercha à faire publier.

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18 Tibi la Blanche

Par Hadrien Bels, L’Iconoclaste, 256 p.

Après l’épatant Cinq dans tes yeux où son regard dardait sur Marseille, sa gentrification, Hadrien Bels pose ses valises à Dakar. A deux jours des résultats du bac, Tibilé la Blanche et ses amis ne rêvent que de visa pour la France. Dans un contexte de crise sanitaire et de climat politique tendu, avec une tchatche incroyable, ce roman bigarré adresse des coups de chicotte au statut conjugal du couple formé par le Sénégal et la patrie des droits de l’homme. En bref, c’est compliqué.

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19 Le Trésorier-payeur

Par Yannick Haenel, Gallimard/L’Infini, 432 p.

Entremêlant les destins de l’écrivain philosophe Georges Bataille et d’un homonyme employé de la Banque de France à Béthune, Haenel entraîne ses lecteurs dans une expérience de la fascination où vie et œuvre se confondent. Comme un adepte cherchant l’équation de l’univers, épousant le credo de l’apologie de la dépense, l’auteur de Tiens ferme ta couronne signe un roman drôle, puissant, déraisonnable, entre vertiges sexuels et élans de pure miséricorde. «Quand on jouit, on vide les coffres.»

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20 Paris

Par Yann Moix, Grasset, 256 p.

Après Orléans, Reims et Verdun, voici le dernier volume de la tétralogie autobiographique où Yann Moix s’apprête désormais à conquérir Paris. Enfin, c’est pas gagné… Entre bars, bitures et kebabs, l’auteur de Naissance attend son heure et son œuvre. Tandis qu’il s’épanche sur son sujet préféré, fidèle à lui-même, le nouveau Moix devrait diviser. Les amateurs trouveront leur lot de saillies anxieuses ou bondissantes où s’agite la ritournelle des femmes inaccessibles. Podium ou strapontin? On y revient.

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21 Taormine

Par Yves Ravey, éd. de Minuit, 144 p.

Au bord de la séparation, un couple atterrit en Sicile pour un séjour touristique. Empruntant un chemin de terre battue, leur voiture de location s’égare au milieu de nulle part. Soudain, le choc: un coup violent contre la carrosserie. «Ici, d’après ce que je comprends, il faut s’attendre à tout…» Désossant le roman noir, Yves Ravey ausculte la mécanique des rapports humains, les grains de sable logés dans les conversations, l’engrenage inexorable des mauvaises décisions. Econome, précis, haletant.

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22 Le Magicien

Par Colm Tóibín, Grasset, 608 p.

Au travers d’un feuilleton romanesque foisonnant, Colm Tóibín retrace la vie de Thomas Mann, rebaptisé «le magicien» par ses proches. Assistant à la naissance de La Mort à Venise et de La Montagne magique, se déploie une existence au parcours extra- ordinaire, gorgée de livres comme autant de refuges. Engagé face à la montée du nazisme, se débattant avec ses penchants homosexuels et une famille nombreuse aux caractères exaltés, le prix Nobel de littérature arpente son destin de gloire comme un long chemin d’exil.

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23 Billy Summers

Par Stephen King, Albin Michel, 560 p. (parution le 21/09).

On ne sait pas encore s’il s’agit de l’un des meilleurs King de ces dernières années (après les efficaces mais guère surprenants L’Outsider ou L’Institut), mais ça sent bon puisque le «roi» (re)trouve le chemin du thriller noir sans un soupçon de surnaturel avec ce Billy Summers, tueur au grand cœur – il n’abat que les salauds – qu’on pourrait croire sorti d’un serial de Lee Child. Un sniper survivant de l’Irak, un dernier job, une vengeance, de la rédemption, des petits villes américaines… Billy the King?

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24 Un bon Indien est un Indien mort

Par Stephen Graham Jones, Rivages, 334 p. (parution le 21/09).

Un titre fort pour un roman qui ne l’est pas moins: hantés par l’esprit d’une femelle caribou, dix ans après avoir massacré un troupeau, quatre Amérindiens de la communauté des Black Feet, coincés dans une réserve du Montana, vont basculer dans la folie et l’épouvantable. Peut-être le vrai coup d’envoi de la carrière de Stephen Graham Jones en français, après le plus complexe Galeux, paru il y a deux ans. Lui-même Black Feet, il a déjà signé une vingtaine de romans aux Etats-Unis, entre pulp, polar, horreur et culture amérindienne contemporaine.

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25 V13

Par Emmanuel Carrère, P.O.L, 368 p.

Quelle place pour l’humain dans l’horreur d’un attentat? Où surgit l’humanité dans ce qu’elle a de plus beau et de plus abject, entre la vie et la mort? Emmanuel Carrère a suivi, pour différents quotidiens, le procès des attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Des chroniques rassemblées et publiées dans V13. On attend beaucoup du regard que l’écrivain français, adepte d’une écriture qui mêle le «je» au monde, peut porter sur l’incompréhensible, celles et ceux qui le commettent, celles et ceux qui y survivent.

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26 Oh, Canada

Par Russell Banks, Actes Sud, 336 p. (parution le 7/09).

Pour son nouveau roman depuis Lointain souvenir de la peau (2012), l’immense Russell Banks (82 ans) écrit une sorte de biographie fictive d’un documentariste engagé qui quitta son Amérique natale pour le Canada et échapper ainsi à la guerre du Vietnam. En fin de vie, le cinéaste se confie face caméra et révèle qu’il n’était pas celui qu’on croyait. Oh, Canada est un grand roman sur le mensonge et l’art de la dérobade.

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27 Quand tu écouteras cette chanson

Par Lola Lafon, Stock, 180 p.

En août 2021, Lola Lafon passe une nuit au musée Anne Frank, à Amsterdam. Elle s’y confronte au vide, au silence, à l’absence. L’ «Annexe» est habitée par le fantôme d’une jeune fille, devenue symbole du drame de la Shoah. Une présence amenant l’autrice à porter son regard sur la barbarie des hommes, la judéité, l’héritage tragique des survivants, les migrations, l’irrévérence des jeunes filles et l’écriture, réaffirmant Anne Frank l’écrivaine, ce qu’elle s’est efforcée de devenir pour l’éternité.

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28 La Vie clandestine

Par Monica Sabolo, Gallimard, 320 p.

Monica Sabolo décide d’écrire «quelque chose de facile et d’efficace». En choisissant d’enquêter sur le mouvement terroriste français d’extrême gauche Action directe, elle pense avoir trouvé le sujet le plus éloigné d’elle. Elle se trompe et nous entraîne dans des récits parallèles haletants: les méfaits, parfois sanglants, d’AD dans la France des années 1980 d’un côté, la jeunesse meurtrie de l’autrice, enfant abusée, de l’autre. Son roman le plus intime. Peut-être bien son meilleur.

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29 L’Ile haute

Par Valentine Goby, Actes Sud, 288 p.

Réfugié dans un petit village des Alpes annexé par les Italiens, Vadim, petit Parisien asthmatique, souffre, en cette année 1942, d’une autre «tare»: il est juif. Il découvre auprès de ces montagnards, économes en mots mais pas en générosité, la montagne qui deviendra, sous le regard coloré de l’enfant caché, son île du haut. Valentine Goby (Kinderzimmer, Murène) n’a pas son pareil pour décrire avec justesse et sensibilité le lien unissant un personnage atypique à un paysage.

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30 Les Tourmentés

Premier roman

Par Lucas Belvaux, Alma, 348 p.

Ce qui devait être un film est devenu un roman, qui pourrait atterrir finalement sur grand écran. Le cinéaste belge Lucas Belvaux (Des hommes, 38 témoins) signe un premier livre choral dont le point de départ fait froid dans le dos. Un ancien soldat cabossé accepte d’être littéralement le gibier d’une riche veuve. Mais la partie de chasse n’aura peut-être pas l’effet escompté, chacun des tourmentés du titre trouvant dans cette aventure humaine un chemin de résilience. Premier essai transformé.

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31 Le Livre des sœurs

Par Amélie Nothomb, Albin Michel, 198 p.

Lauréat du Renaudot 2021 pour l’excellent hommage au père qu’était Premier sang, le métronome belge de la littérature française creuse dans sa livraison annuelle son sillon affectif pour les liens familiaux avec une histoire de sororité fusionnelle. Ici, parents et enfants vivent quasiment chacun de leur côté, la romancière ne manquant pas de souligner la suprême intelligence des bambines. Mais le ton du conte et la phrase courte de l’autrice ne sont pas parvenus à nous toucher.

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32 Consolée

Par Beata Umubyeyi Mairesse, Autrement, 368 p.

Dans le Rwanda des années 1950, sous tutelle belge, Consolée se sent comme une plante dotée d’une «sève de misère». Arrachée à sa famille, on l’envoie à Save, institution pour «enfants mulâtres», où on entend lui inculquer les bienfaits de la civilisation. Des années plus tard, dans un Ehpad du Sud-Ouest, il faudra l’obstination de Ramata, art-thérapeute d’origine sénégalaise (elle-même sujette à des barrières tangibles), pour faire la lumière sur cette existence chamboulée par la ségrégation.

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33 Chien 51

Par Laurent Gaudé, Actes Sud, 304 p.

Dans une Grèce du futur, en faillite consommée, dépecée par le grand capital, un policier déclassé s’engouffre dans une enquête de meurtre. Mais à chaque détour de rue, c’est le grand consortium charognard des Etats en déliquescence qui apparaît. Laurent Gaudé choisit un style plus tendu et l’anticipation pour nous parler du monde menacé d’aujourd’hui, réchauffement climatique et capitalisme cynique compris.

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34 Le Commerce des allongés

Par Alain Mabanckou, Seuil, 304 p.

Le héros du nouveau roman d’Alain Mabanckou s’appelle Lewi Ekimakingaï, ce qui signifie «la mort a eu peur de moi». Pourtant, c’est en fantôme observateur qu’il observe sa veillée funèbre et remarche dans les pas de son existence. L’ auteur de Mémoires de porc-épic hante sa ville natale de Pointe-Noire, plongeant avec ses habitants dans ses rues comme dans son passé, les blessures de l’histoire et les inégalités sociales à vif.

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35 La Revanche du prépuce

Par Philippe B. Grimbert, Le Dilettante, 222 p.

L’euthanasie de Simon a mis fin à des souffrances et à une histoire commune entre un géniteur, juif laïc et militant d’extrême gauche, et son fils Paul. Les funérailles sont l’occasion de retrouvailles familiales et amicales. Les différends exploseront plus tard. Paul choisit de s’en extraire un temps, mais les traumatismes du passé viendront chambouler sa retraite. Dans cette saga familiale, Philippe B. Grimbert (39,4 et Panne de secteur) conserve une plume pleine d’humour et d’ironie.

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36 Vivance

Par David Lopez, Seuil, 288 p.

Après la France pavillonnaire et urbaine de Fief (prix du Livre Inter en 2018), David Lopez, inspiré et inspirant, nous emmène en balade champêtre sur le porte-bagage de Séville, le nom de son vélo dans la vraie vie. Bucolique, poétique, généreux, introspectif et autobiographique, Vivance est bien plus qu’un hymne à la vie. Le livre fait office de respiration salutaire et invite au voyage, à la rencontre et aux plaisirs simples de la vida.

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37 Vers la violence

Par Blandine Rinkel, Fayard, 378 p.

Blandine Rinkel s’interroge avec justesse sur ce qu’il nous reste de la violence de nos pères, la façon dont on se construit en ayant reçu la cruauté mais aussi la joie en héritage, explorant l’ambiguïté de l’amour filial. Le récit décale la réflexion, explore un angle laissé pour mort: la dangerosité des femmes. Souvent traitée sous le mode de la colère, la violence est ici constitutive du personnage de Lou, qui apprend à l’exprimer autrement plutôt qu’à la retourner contre elle-même.

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38 Anarchy In The U.S.E

Par John King, Au Diable Vauvert, 512 p. (parution le 8/09).

Changement de cap chez cet observateur avisé de la société britannique à travers des romans furieux, drôles et attachants (Football Factory, Aux couleurs de l’Angleterre…): John King propose rien de moins qu’un (grand) roman d’anticipation dans la lignée du 1984 d’Orwell, avec un petit air de Philip K. Dick période Blade Runner. Dans un futur proche, l’ultrasécuritaire et fascisante United States of Europe est au bord du chaos. Le reste est à l’avenant!

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39 Le Goûter du lion

Par Ito Ogawa, Picquier, 272 p.

Le nouveau roman de l’autrice de La République du bonheur entraîne le lecteur dans la mer intérieure de Seto, sur l’île aux citrons. C’est là le cadre qu’a choisi Shizuku pour vivre ses derniers jours, parmi les pensionnaires de la Maison du Lion, un havre de paix et de douceur où il convient de savourer chaque instant. A commencer par ces goûters du dimanche ayant le don de raviver les souvenirs de l’enfance, l’attente de la mort se muant, sous la plume délicate d’Ito Ogawa, en ode à la vie

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40 L’Ecole de Topeka

Par Ben Lerner, Christian Bourgois, 416 p.

New-Yorkais, les Gordon se sont installés il y a bien longtemps au Kansas pour travailler dans une clinique psychiatrique renommée. Jonathan y reçoit des ados en difficulté tandis que Jane se démène avec les revers de la notoriété que lui a valu un best-seller féministe. Quant à leur fils, Adam, il tente de trouver un équilibre entre les valeurs progressistes de ses parents et les codes impitoyables de sa génération. Un roman puissant au chevet de la classe moyenne blanche et de ses inquiétudes.

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