Roald Dahl en 1988
Roald Dahl en 1988 © Getty

La réécriture de l’œuvre de Roald Dahl, un crime contre la littérature?

Celine Bouckaert
Celine Bouckaert Journaliste au Vif

Les éditions britanniques Puffin Books ont décidé de supprimer le vocabulaire risquant d’être considéré comme offensant dans les livres de Roald Dahl, l’auteur britannique de Matilda, Charlie et la Chocolaterie ou encore James et la Grande Pêche. La démarche suscite l’indignation au Royaume-Uni, et ailleurs.

En 2020, Puffin Books, la section jeunesse des Penguin Books, a engagé des sensitivity readers pour purger les propos sexistes, homophobes, grossophobes, racistes de l’œuvre de l’écrivain pour enfants décédé en 1990. Le nombre de termes modifiés est vaste, touchant à des questions considérées comme sensibles: race et ethnicité, genre, poids, apparence physique, santé mentale, violences, etc. Un personnage « énormément gros » est devenu « énorme ». « Un truc fou » est devenu « un truc bizarre ». Quant à Mrs Twit dans Les Deux Gredins, elle n’est plus ni laide et bestiale, mais « bête ».

Selon The Daily Telegraph, les éditeurs auraient apporté des centaines de modifications. Dans Sacrées sorcières (1983), après un passage sur les sorcières chauves sous leurs perruques, les éditeurs expliquent aux enfants qu’il y a « beaucoup d’autres raisons pour lesquelles les femmes pourraient porter des perruques et il n’y a certainement rien de mal à cela. » Et Matilda, grande lectrice, ne lit plus Rudyard Kipling et Joseph Conrad, mais Jane Austen et John Steinbeck.

« De la censure absurde »

Immédiatement, l’information a suscité une levée de boucliers. « Roald Dahl n’était pas un ange », a réagi sur Twitter l’écrivain britannique Salman Rushdie, icône de la liberté d’expression victime d’une violente agression il y a six mois, « mais c’est de la censure absurde ».

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Fin 2020, la famille de Roald Dahl avait en effet présenté des excuses pour les propos antisémites tenus par l’auteur il y a 40 ans. L’écrivain avait notamment fait des déclarations ouvertement antisémites dans une interview au magazine britannique New Statesman en 1983, légitimant l’antisémitisme et semblant trouver des justifications aux crimes d’Hitler.

La patronne de PEN America Suzanne Nossel, organisation rassemblant 7.000 écrivains pour la liberté d’expression, a jugé que « l’édition sélective pour faire que les mots de la littérature se conforment à des sensibilités particulières pourrait représenter une arme nouvelle dangereuse« .

La rédactrice en chef adjointe du journal conservateur Sunday Times, Laura Hackett, a déclaré qu’elle garderait ses éditions originales de Roald Dahl, afin que ses enfants puissent « les apprécier dans toute leur gloire méchante et colorée ».

Le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, a également donné son avis : il estime que les mots doivent être « préservés » plutôt que « retouchés », a indiqué son porte-parole.

« Si Dahl nous offense, ne le réimprimons pas », a quant à lui estimé l’écrivain Philip Pullman lundi sur la BBC, soulignant que des millions de ses livres orignaux resteraient en circulation pendant de nombreuses années quels que soient les changements effectués dans de nouvelles éditions.

Certains avancent que Roald Dahl a réécrit lui-même certains passages de Charlie et la Chocolaterie. Ainsi, dans la version de 1964, les Oompa Loompas étaient « une tribu de Pygmées minuscules » venus d’Afrique pour travailler dans la chocolaterie contre une rémunération en fèves de cacao. En 1973, Dahl les a transformés en créatures originaires de « Loompaland » à la « peau blanche rosée ».

Le passage en revue a été lancé en 2020 avant le rachat en 2021 par Netflix du catalogue de l’auteur pour enfants. « Lors de nouveaux tirages de livres écrits il y a des années, il n’est pas inhabituel de passer en revue le langage utilisé et de mettre à jour d’autres éléments comme la couverture et la mise en page », a affirmé le porte-parole de la Roald Dahl Company, soulignant la volonté de conserver histoire, personnages, et « l’irrévérence et l’esprit affûté du texte original ». La Roald Dahl Company a par ailleurs indiqué avoir travaillé avec Inclusive Minds, un collectif pour l’inclusion et l’accessibilité de la littérature pour enfants.

« Un roman de Roald Dahl réécrit n’est plus un roman de Roald Dahl »

En France, Gallimard Jeunesse a fait savoir qu’il n’était pas question de réécrire les livres de Roald Dahl. « Un roman de Roald Dahl réécrit n’est plus un roman de Roald Dahl », a affirmé la traductrice et chroniqueuse Bérengère Viennot sur le média en ligne Slate. L’hebdomadaire culturel Télérama a pointé du doigt le « risque d’effacer au passage la bienveillante irrévérence » de l’auteur à l’humour décapant.

Pour le magazine en ligne Slate, il s’agit de censure. « Sous couvert d’adaptation, il s’agit bien là de censure, nul ne peut s’y tromper. Cette démarche est inacceptable à de nombreux titres. Tout d’abord, c’est un crime contre la littérature. Tous les écrivains choisissent et pèsent leurs mots ».

Interrogé par Le Figaro, Hubert Heckmann, maître de conférence à l’Université de Rouen et auteur du livre Cancel ! – De la culture de la censure à l’effacement de la culture, estime pour sa part que les éditeurs de Roald Dahl s’attaquent aux enfants et insultent leur intelligence. « En gommant toute trace de négativité dans les histoires qu’on leur fait lire, on présente aux enfants l’image d’un monde aseptisé, faux, dénué du moindre intérêt. Les héros de Roald Dahl sont des enfants, révoltés contre la bêtise, qui échappent, notamment par la lecture, à leur sort et à la médiocrité », déclare-t-il. (Avec AFP)

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