Johnny inception - © Tempora

Johnny Hallyday, l’histoire belge

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Cinq ans après sa mort, Johnny Hallyday a droit à une grande exposition immersive. Elle se déroule jusqu’au 15 juin, au Heysel, à Bruxelles. Avant Paris, donc. L’occasion de revenir sur l’ancrage belge de l’icône.

Læticia Hallyday est en mission. Cinq ans après la mort de son mari, elle s’est lancée dans une nouvelle tournée médiatique. Sourire marial et voix doucereuse, la jeune veuve a enchaîné interviews radio, longs articles «vérité» dans la presse quotidienne et passages télé. Elle est venue parler, entre autres, du documentaire Johnny par Læticia. Diffusé six mois après le docu Netflix en cinq parties intitulé… Johnny par Johnny, il livre une version plus intimiste et «domestique» de la vie du chanteur. Mais parle peu de musique. Il en est heureusement davantage question dans la grande exposition qui vient de s’ouvrir au Palais 2 du Heysel, à Bruxelles (lire l’encadré ci-dessous).

« Johnny se débrouillait toujours pour aller manger des anguilles au vert, un waterzooi ou même un… schtoempf » (sic)

La veille de son inauguration, Læticia Hallyday était évidemment présente pour la visiter et l’inaugurer. Normal: c’est elle qui en a lancé l’initiative. Pour l’occasion, la presse, y compris hexagonale, a fait le déplacement. Les fans aussi. Déjà, dans les couloirs, certains aficionados se demandent quelle place a été laissée à la vie (et aux unions de Johnny) d’avant Læticia. Mais à vrai dire, pour une fois, la question du jour est bien plus innocente: pourquoi celui qui a eu droit «aux plus grandes funérailles nationales depuis Victor Hugo» est-il d’abord célébré à Bruxelles, et non dans la Ville lumière? – l’expo ne débarquant à la porte de Versailles, à Paris, qu’en janvier 2024.

Une exposition conséquente, initiée par Laeticia Hallyday, venue l’inaugurer à Bruxelles. Le chanteur entretenait un rapport fort et complexe avec la Belgique. – © Tempora

La raison est d’abord «logistique». C’est en effet Tempora qui a produit l’exposition, agence belge à l’origine de précédents parcours, souvent très immersifs, sur d’autres «icônes» culturelles telles Andy Warhol, Magritte (à Liège) ou, plus récemment, Le Petit Prince de Saint-Exupéry (à Brussels Expo). L’ autre explication de la primeur belge est plus «sentimentale». «Johnny avait l’habitude de commencer ses tournées en province», avance d’abord Læticia. Avant d’évoquer son «amour de la Belgique et, en particulier, sa gastronomie. Il adorait les frites, et chaque fois qu’ on venait à Bruxelles, il se débrouillait pour aller manger des anguilles au vert, un waterzooi ou même un… schtoempf» (sic).

Ce que cela fait d’être le père d’une vedette? L’indifférence…

Plats clichés mais aussi typiques d’une certaine Belgique à papa, aujourd’hui disparue. Tout comme s’est rapidement évaporé le père de Johnny Hallyday… Pour rappel, «l’idole des jeunes» est née Jean-Philippe Smet. A Paris, certes, mais d’un père belge bohème qui ne s’occupera jamais de son fils. Dans le parcours de l’exposition bruxelloise, seules quelques photos de jeunesse évoquent en creux cette absence. Mais dans la mythologie Johnny, la disparition du père fera bien souvent office de béance majeure. La première fissure à combler, en se plongeant à corps perdu dans la musique (et ses excès). D’où un rapport souvent contrarié avec la Belgique?

Au nom du père

La langue maternelle de Johnny est le français, mais ses racines paternelles sont bel et bien liées à un pays qui n’en est pas vraiment un. Une terre sans véritable identité nationale: est-ce pour cela que, plus et mieux que les autres, Johnny fut le premier à réussir à infiltrer une culture anglo-saxonne qui n’était pas censée être la sienne?

Jean-Philippe Smet naît en 1943, dans une Europe arrosée par le plan Marshall et la culture américaine. Sa mère, Huguette Clerc, est actrice et mannequin. Son père, Léon Smet, est un comédien-danseur-chanteur de cabaret, né à Schaerbeek. Toujours officiellement marié d’une union précédente, il a déjà 35 ans (et douze de plus qu’Huguette) quand déboule le petit Jean-Philippe. Après huit mois, Léon prend la tangente. Désormais seule, Huguette est toujours plus accaparée par son travail: elle confiera le gamin à sa tante paternelle.

Hélène née Smet a déjà 56 ans et deux filles, Desta et Menen, danseuses classiques, quand elle prend en charge son neveu. La suite est connue. Le petit Jean-Philippe suit ses cousines partout, notamment à Londres, où Desta rencontre et épouse Lee Lemoine Ketcham. Le danseur américain, mieux connu sous le nom de Lee Hallyday, deviendra la première vraie figure paternelle de Johnny, qui grandit en véritable enfant de la balle: suivant la plupart du temps les cours par correspondance, il accompagne sa cousine et son mari en tournée. Dès 9 ou 10 ans, il se retrouve même à occuper la scène avec sa guitare entre deux numéros – au début de l’exposition, une photo noir et blanc de l’époque, reproduite en grand format, le montre en train de poser en chemise et foulard de cowboy, tenant fièrement sa guitare country.

Johnny Hallyday, le plus belge des Français. Et Brel, le plus français des Belges. Duo complice, logique et improbable à la fois.
Johnny Hallyday, le plus belge des Français. Et Brel, le plus français des Belges. Duo complice, logique et improbable à la fois. © getty images

Et Léon Smet? Il est retourné à Bruxelles. Celui qui, dit-on, a dansé à La Monnaie, reçu les compliments de Cocteau et frayé avec les surréalistes (il a tourné dans Monsieur Fantômas d’Ernst Moerman, en 1937) a ouvert une école dramatique que fréquentera notamment Serge Reggiani. Mais Smet est instable, difficile à gérer, souvent excessif, surtout avec l’alcool. Au début des années 1960, il retrouve une première fois son fils, celui qui sous le nom de Johnny déclenche alors l’hystérie dans la jeunesse française avec ses déhanchements empruntés à Elvis. La télé est là pour filmer la rencontre entre la star et le monsieur déjà âgé, mais encore élégant. Vingt ans plus tard, la séquence est un peu différente. Interrogé dans un caberdouche bruxellois, Léon Smet arrive seul, claudiquant, canne à la main. De manière assez ironique, il porte un béret franchouillard. Mais c’est avec un accent bien belge, bière à la main, presque comme une parodie du célèbre sketch des Snuls (Les Chapeaux), qu’il répond au journaliste: «Ce que cela fait d’être le père d’une vedette? L’indifférence…»

© Tempora © dr

Plus personne n’a cet accent-là

En 1965, entre deux terrains de guerre, le grand reporter de la RTBF Raoul Goulard interviewe Johnny Hallyday et lui demande de la même manière: «Qu’est-ce que c’est pour vous, être une vedette?» A l’époque, le chanteur vient tout juste de terminer son service militaire et son retour sur scène est un peu «comme la remise en jeu d’un titre»…

Après la Fête de la bière de Strasbourg et la Foire aux vins de Colmar, il débarque à Ostende pour un concert au casino. La ville de celui qui deviendra Arno, chanteur bien belge pour le coup, quand bien même il fera aussi carrière en France. En 1965, Arno Hintjens a 16 ans. Comme Johnny, il a aussi «muté» en entendant pour la première fois Elvis. Mais lui s’est directement abreuvé à la source, sans passer par les yéyés. Plus tard, en 2004, Arno expliquera avoir écrit sa chanson Chanteur de charme en pensant à Johnny. Il a même envoyé le titre au «taulier», mais n’a jamais reçu de réponse. Le rapprochement entre les deux s’arrête là. Ou presque. L’un effaçait son bégaiement en chantant, l’autre a soigné son zézaiement (complètement disparu après quelques enregistrements). D’une certaine manière, les deux ont aussi partagé le même costume d’«idiot savant». Avec panache dans le cas d’Arno, à son corps défendant, il faut bien l’avouer, dans celui de Johnny Hallyday.

D’abord vu comme une passade, liée à une mode éphémère («Des vedettes, on en fabrique aujourd’hui au moins une par jour», déclare encore à l’époque Raoul Goulard), ensuite ringardisé pour ses penchants variétés, Johnny Hallyday n’a pas toujours été cette icône française devenue aujourd’hui quasi intouchable. Avant de faire la couverture de Télérama, ou de tourner avec Godard, il a aussi été «beaufisé», raillé et, au fond, moqué comme… la figure du Belge l’a longtemps été (non pas à coup de «une fois», mais sur le mode «ah que…», rendu célèbre par les Guignols).

La célèbre Cobra bleue de Johnny. Une couleur essentielle pour le chanteur, que l'on retrouve également dans ses tenues de scène.
La célèbre Cobra bleue de Johnny. Une couleur essentielle pour le chanteur, que l’on retrouve également dans ses tenues de scène. © Tempora © dr

Alors oui, ce n’est peut-être pas forcer le trait que de dire que Johnny Hallyday était quelque part le plus belge des Français. Comme Brel a été le plus français des Belges. L’un et l’autre seraient comme les deux faces d’une même pièce. Autre format musical, même énergie scénique. «On était très proches. Pour moi, Jacques Brel était un chanteur de rock», a expliqué un jour Hallyday, qui a souvent repris Brel. Notamment lors d’un concert à Bruxelles, en 2016. Quatre jours après les attentats terroristes à Zaventem et au métro Maelbeek, le chanteur est sur la scène du Palais 12, pour sa tournée intitulée… Rester vivant. Alors que la psychose règne encore sur la ville, et que les artistes annulent leur venue les uns après les autres, Johnny Hallyday a maintenu son show. Un concert qu’il terminera en entonnant l’hymne «brélien», Quand on a que l’amour…

En juin 2017, il donnait son dernier concert belge, à nouveau au Palais 12, à quelques dizaines de mètres du Palais 2 où a lieu aujourd’hui l’exposition qui lui est consacrée. Malade, Johnny Hallyday montait alors sur scène aux côtés de ses potes Eddy Mitchell et Jacques Dutronc, pour la tournée Les Vieilles Canailles. Comme d’habitude, il en profitait pour déclarer sa flamme aux Belges et aux «BruXellois», prononçant le x comme une coquetterie anachronique, venue tout droit des années 1960. Ultime pied de nez à des racines familiales qu’il n’aura jamais pu tout à fait embrasser.

Suivez l’(audio) guide

Produite par Tempora, scénographiée par Clémence Farrell (qui avait déjà pris en main l’expo On the Wall consacrée à Michael Jackson au Grand Palais et adapté DavidBowie Is à la Philharmonie de Paris), Johnny Hallyday, l’exposition ne manque pas de cachet. A la fois accrocheuse, comme pouvaient l’ être les prestations du chanteur, et populaire, elle joue volontiers sur le côté immersif (l’audioguide est indispensable). Relativement complet – de la musique au cinéma, de la passion pour les Etats-Unis à la solitude d’un artiste devenu vedette à 20 ans –, le parcours n’évite pas le fétichisme inhérent à ce genre de célébration (la collection de couteaux, une vitrine étalant passeports, pièces d’identité et autres permis de port d’arme). Mais sans s’ appesantir, et en remettant toujours le curseur sur l’essentiel. Soit la musique et la manière dont Jean-Philippe Smet a su la sublimer.

Johnny Hallyday, l’exposition, à Brussels Expo, Palais 2, jusqu’au 15 juin.

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