Etre plus inclusif, devant comme derrière l’écran, le cinéma s’y engage. © Olivier Pirard

Des outils inclusifs pour le 7e art belge

Comment produire des films d’une plus grande diversité et d’une plus grande inclusivité sans réduire la liberté artistique? Cette question, le cinéma belge se la pose. De nouveaux outils devraient l’accompagner dans ce changement.

Le cinéma, fenêtre ouverte sur le monde, est traversé par les courants qui modèlent notre façon de penser la société. En cette période de remises de prix, où les grandes cérémonies sont interpellées sur l’image qu’ elles renvoient du 7e art contemporain, le milieu du cinéma belge s’interroge lui aussi, à son rythme, sur les questions de représentation des diversités et se soucie, petit à petit, d’être plus inclusif, tant devant que derrière l’écran. Cela passe par une réflexion sur le genre et les genres, sur le racisme, l’homophobie, le classisme, le validisme, autant de mots (encore) soulignés par les correcteurs orthographiques, et qui peuvent parfois susciter une certaine crispation.

Mon rôle: faire en sorte que les scènes aient l’air réalistes à l’image, sans que les gens soient blessés.

Il n’y a pas de solution toute faite pour diversifier et enrichir les imaginaires, mais c’est un mécanisme que l’on peut tenter d’accélérer grâce à certains outils – du processus de création aux conditions de travail – d’autant plus mal reçus par certains qu’ils sont mal compris. Ainsi en va-t-il de la coordination d’intimité. Directement importée des Etats-Unis – et donc associée parfois à un soupçon de puritanisme –, cette fonction s’avère bien plus complexe qu’il n’y paraît. Paloma Garcia Martens l’a endossée il y a deux ans. Elle concède que la pédagogie autour du métier lui prend beaucoup de temps, et offre une analogie parlante pour mieux le comprendre: «La coordination d’intimité apporte un cadre et un processus clairs lors du tournage des scènes de nu, d’intimité ou de sexe simulé. L’ objectif est sensiblement le même que pour la coordination des cascades: faire en sorte que les scènes aient l’air réalistes à l’image, sans que les gens soient blessés.»

Depuis deux ans, Paloma Garcia Martens est coordinatrice d’intimité sur les plateaux de tournage. © dr

C’est un début d’explication, car «la question de la vulnérabilité est un énorme tabou dans le milieu du cinéma», et les comédiens et comédiennes ne sont pas les seuls concernés. «Mon rôle est aussi d’identifier les scènes qui pourraient réactiver des traumatismes chez les membres de l’équipe. Ce n’est pas anodin d’être exposé à une scène de violence, de façon répétée, même si c’est du jeu. J’essaie de proposer un espace neutre de discussion.» Un poste qui demande beaucoup de préparation, d’autant que «l’intimité, c’est subjectif personnellement et relatif culturellement. Cela peut relever de choses qui semblent évidentes comme la nudité ou le sexe simulé, mais ça peut aussi être le fait de montrer ses cheveux, d’accoucher, ou même de recevoir des insultes racistes en tant que comédien racisé.»

Enrichir les imaginaires

La coordination d’intimité peut aussi enrichir le contenu des films. La productrice Annabella Nezri (Invisible, Space Boy, Temps mort, #SalePute) s’intéresse à la façon dont cette collaboration peut «amener une autre façon de penser les scènes de sexe, faire en sorte qu’elles ne soient pas juste utilitaires, qu’elles enrichissent les personnages, dès le stade du scénario.» Pour le prochain film de la réalisatrice belge Zoé Wittock (Jumbo), qui mettra en scène un enfant transgenre, elle a également fait appel à un consultant, le réalisateur transgenre Ocean, afin de superviser l’écriture. Une sorte de fact checking, en quelque sorte, que l’on connaît depuis longtemps dans le milieu, sans que cela n’ait jamais posé problème jusqu’ici.

Le but n’est pas d’intervenir dans le processus de création, mais bien d’aider à ouvrir les yeux sur des impensés.

Comme l’écrit Alice Zeniter, dans son dernier essai Toute une moitié du monde, «si la pratique fait hurler à la lune quand on parle d’une famille noire américaine ou d’une bande d’amies lesbiennes parce qu’on y voit de la « censure woke », alors il aurait fallu tempêter chaque fois qu’un avocat a relu un roman sur un procès ou une musicienne le scénario d’un film sur un orchestre.» Le producteur Benoit Roland (Lola vers la mer, Animals, Rien à foutre) défend également le principe de la relecture active – que l’on confie à ce que l’on appelle des sensitivity readers –, notamment pour «pointer les stéréotypes, tout en rassurant les artistes sur le fait que le but n’est pas d’intervenir dans le processus de création, mais bien d’aider à ouvrir les yeux sur des impensés qui peuvent contribuer à perpétuer des clichés.»

Au stade de la fabrication, ce qui se joue sur les plateaux de tournage revêt parfois une intensité particulière: «On travaille souvent sur des temps longs, avec des équipes très fusionnelles. C’est un milieu très intense, on entre dans une famille, avec une loyauté énorme envers la hiérarchie», notent Maya Duverdier et Géraldine Doignon, réalisatrices et membres du collectif Elles font des films, en charge des formations «Agir contre les violences sexistes et sexuelles» (lire l’encadré). Mais c’est grâce à sa force de conviction et son impact sur les représentations du monde que le cinéma a un rôle d’exemplarité à jouer: «C’est une question qui dépasse largement les frontières du cinéma, s’enthousiasment- elles, une question sociétale, de citoyenneté même!»

© National

Définir un langage commun

Avec les formations «Agir contre les violences sexistes et sexuelles» destinées aux professionnels de l’audiovisuel, l’association Elles font des films propose des outils très concrets pour parvenir à des conditions de travail justes et équitables pour chacun, rappelant que le cinéma est un art (magnifique), mais aussi une industrie. Alice Godart, monteuse et cofondatrice de Paye ton tournage, aux premières loges militantes, précise: «Ces stages ont pour objectif d’offrir à tous des références communes, comme le code de la route.» Définir un langage commun et nommer les choses permet de mettre en lumière le continuum des violences, qui va de la «blague» sexiste à l’agression sexuelle. «Il faut rappeler les règles, définies par la loi du travail, et l’existence de sanctions.» Une façon aussi de faire de la prévention. Le programme s’inscrit dans un cadre juridique, mais donne également des exemples pratiques. Le bien-être au travail est la responsabilité de chacun, et en particulier la sienne, relève le producteur François Touwaide, pour qui ces formations contribuent à «faire en sorte que l’environnement de travail soit sain et serein».

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