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Tout comprendre sur la crise énergétique : pourquoi les prix devraient continuer à s’envoler

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Les prix de l’énergie s’envolent. Certains crient haut et fort la gravité de la situation, alors que des solutions tentent d’être trouvées pour alléger la facture du citoyen. A travers l’intervention de trois économistes et experts, Le Vif décrypte le phénomène.

Gaz et électricité connaissent des pics de prix sans précédent. Avec, comme conséquence concrète pour le citoyen, une augmentation de la facture du fournisseur. Dans ce décryptage, nous allons aborder, avec trois experts, les causes du phénomène.

Pour faire face à ce choc, diverses aides sont évoquées pour le citoyen, comme l’extension du tarif social, ou le chèque énergie. Mais tous nos experts s’accordent pour dire que rien de tout ça ne sera suffisant face à une crise d’une telle ampleur.

Damien Ernst constate l’ampleur des dégâts. « Début août, il y avait encore des solutions pour l’Europe. Je l’ai répété plusieurs fois. Maintenant, c’est trop tard, on est en plein dans la crise. C’est un cataclysme total. Donner un chèque énergie de 100 euros par ménage, c’est évidemment trop peu quand on sait que la facture de gaz et d’électricité pourrait augmenter de 2500 à 3000 euros par an. J’ai une incompréhension totale par rapport à la politique qui a été menée, alors qu’on sait qu’il y a des problèmes d’approvisionnement de gaz sur les marchés. »

Suite de l’article après l’infographie.

Situtation d’urgence

L’expert ne manque pas de tancer la gestion gouvernementale. « Les ministres de l’énergie n’ont juste pas le niveau. Ils ne comprennent pas comment tout est organisé, ils ne comprennent pas les marchés de l’énergie, de l’électricité, ou les problèmes élémentaires qu’il peut y avoir au niveau suply sur la planète. Ils ne sont juste pas à la hauteur. » Et d’ajouter : « La catastrophe est totale. Le tarif social, ça représente juste un million de ménages. Trois mille euros d’augmentation par an, c’est toute la classe moyenne qui y passe« , alarme-t-il.

Pour notre autre source économique, le tarif social ou la baisse de la TVA sont des solutions à mettre en place, mais insuffisantes. Tout comme Damien Ernst, l’expert annonce : « On est dans une telle situation d’urgence que le pouvoir d’achat va être ‘mangé’ de manière assez rapide. Le MR a proposé de remplacer les taxes variables par les accises, dont le montant est fixe. Il n’y a pas vraiment de solution unique à part le tarif social. Le chèque énergie, c’est bien, mais ce ne sera jamais suffisant. Ou alors, il en faudrait beaucoup plus. Donc de toutes façons, la classe moyenne va devoir absorber une partie des conséquences.« 

La classe moyenne va devoir absorber une partie des conséquences.

Il y aura des revendications sociales très fortes. « Ce qui m’étonne, c’est que le sujet n’a pas l’air d’être considéré comme très urgent par le gouvernement, or il est très important », nous glisse-t-on.

S’il reconnaît l’énorme choc, l’économiste Philippe Ledent se veut légèrement optimiste. Il s’explique : « A court terme, avec le fameux « super cycle », c’est compliqué de tout changer du jour au lendemain (cf. les infrastructures d’installation et de transport). Ceci étant, le marché est quand même en train de bouger. Par exemple, les exportateurs américains de gaz liquéfié (transporté en bateau) se tournent doucement vers l’Europe. On est donc dans une recherche d’équilibre. Si les maintenances prennent fin, si Nord Stream 2 peut être mis en fonction, … ce sont des éléments qui pourraient décanter le marché. »

Mais selon lui, il est clair que ce ne sera pas suffisant pour inverser la tendance. « La première réaction du consommateur qui fait face à une augmentation des prix, c’est d’essayer de faire des économies. Ça reste le meilleur moyen pour éviter une flambée de la facture, dans la situation actuelle. »

Damien Ernst va dans le même sens : Avec les prix actuels, il y a ce qu’on appelle un mécanisme de réduction de la demande, où concrètement, le citoyen diminue sa consommation. On est sur un choc systémique majeur. »

Redistribuer l’effort

Sur le court terme, peu de choses peuvent être faites. « Annuler tout ce qui se passe sur le marché du gaz et de l’électricité pour l’ensemble des consommateurs, c’est impossible. Toutes les mesures qui peuvent être proposées (tarif social, chèque énergie) sont des mesures visant à redistribuer l’effort à faire face à cette hausse des prix. Ce ne sont pas des mesures qui vont lutter contre la hausse des prix, mais bien redistribuer l’effort », insiste Philippe Ledent. « Par exemple : si on diminue la TVA pour tout le monde, c’est un manque à gagner en recettes fiscales pour l’Etat, qu’il faudra probablement compenser par davantage de taxation par la suite. Si on met en place le tarif social et le chèque énergie pour les ménages les plus précaires, c’est à nouveau de la redistribution de moyens publics, qui devront être payés dans le futur. »

Pour l’économiste, la question est surtout de savoir où place-t-on le curseur de la classe moyenne. Selon lui, une partie de la classe moyenne peut résister. Il s’explique. « Un exemple : l’année dernière en Belgique, avec la crise sanitaire, les ménages ont épargné 40 milliards d’euros. Une année normale, c’est 20 milliards d’euros. Vu cette épargne, une partie des ménages de la classe moyenne a la capacité de faire face au choc. C’est malheureux qu’elle doive utiliser son épargne pour payer sa facture d’énergie. On préfèrerait évidemment qu’elle l’utilise pour faire tourner l’économie, alors qu’ici, on paye juste les producteurs de gaz. »

Pour Ledent, on ne peut donc pas considérer que la classe moyenne n’ait pas la capacité de faire face au choc. « On ne peut pas généraliser le problème compte tenu des chiffres d’emploi, de revenus des ménages et d’épargne. En l’absence d’autres solutions, il faut donc cibler les ménages les plus précaires et qui ont une facture de gaz (en Belgique, on se chauffe environ à 50-50 entre pétrole et gaz, ndlr.). Celui qui se chauffe au mazout peut résister pour l’instant puisque le prix du baril ne s’est pas envolé. »

L’économiste prend aussi l’exemple de l’immobilier, qui prouve selon lui que la classe moyenne a les reins assez solides pour contrer le choc énergétique. « Les prix de l’immobilier ont considérablement augmenté l’année dernière, et pourtant, il n’y a aucun problème à trouver des acheteurs. Le marché a continué à très bien fonctionner. »

Quel impact en Belgique?

Damien Ernst prédit un gros impact en Belgique, « car on a une grosse filière chauffage-gaz. Et l’Europe va être plus impactée que les autres continents, car il y a une énorme dépendance au gaz en Europe, beaucoup plus grande qu’en Asie. Les Etats-Unis ont un marché du gaz qui est très protégé. Car ils ont énormément de gaz de schiste, une grosse capacité de production et des capacités d’exports très limitées. L’Europe est ‘dedans’. »

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