Carte blanche

Tout citoyen doit avoir accès à la justice

Le ministre Geens a un plan ambitieux : la justice doit se réformer, se moderniser, s’informatiser, travailler plus vite… Qui pourrait ne pas être d’accord avec de tels objectifs ?

Des avocats, des magistrats et des greffiers ont pourtant fait entendre leur voix, en expliquant que le plan était bien moins positif qu’il y paraissait au premier abord. Mais que signifie ce plan pour le simple citoyen ? Et surtout, qu’a-t-il à y gagner… ou à y perdre ?

Le plan Geens n’est pas le premier du genre. La ministre de la Justice précédente, Madame Turtelboom, avait projeté une réforme de la possibilité pour certaines personnes de faire appel à un avocat pro deo. Après une action et une pétition portées par 80 associations, ces plans avaient été abandonnés.

La poussière soulevée par notre action n’était pas encore retombée que le gouvernement précédent a sorti de son chapeau une TVA sur les services d’un avocat. Depuis 2012, une TVA de 21% avait déjà été imposée sur les prestations d’huissier. Depuis le 1er janvier 2014, le citoyen doit payer 21 % de plus pour être assisté par un avocat. Nous voyons presque tous les jours que ces mesures rendent, dans les faits, impossible pour beaucoup de citoyens l’assistance d’un avocat et, à travers elle, l’accès à la justice. Les personnes à revenu faible ou moyen sont les premières concernées par ces mesures. Pour 50% de la population, l’accès à la justice devient une chimère. Inaccessible. Impayable.

Le gouvernement Michel en rajoute pourtant une couche et veut maintenant mettre des obstacles supplémentaires à l’accès à la justice. Il projette d’économiser 10 % sur le budget de la justice. Concrètement, que représentent ces économies ?

La première mesure mise en application a été d’augmenter de 55 % les droits de greffe. Le droit de greffe est le droit que le citoyen paie pour soumettre une affaire à un juge. À propos de cette mesure, Test-Achats déclare :  » C’est l’accès à la justice que vous assassinez…  » Dans son avis, la section de législation du Conseil d’État déclare qu’elle pourrait mettre en danger l’accès au juge.

L’accès à la justice se dégrade constamment sous le coup des mesures successives qui l’assaillent. La justice n’est plus un droit, mais un produit qui n’est plus accessible qu’aux happy few. Le ministre de la Justice, Koen Geens, admet qu’il veut combattre  » la surconsommation de la justice « . Pourtant c’est bien souvent de sous-consommation qu’il faudrait parler. Un nombre sans cesse croissant de citoyens, dont les droits sociaux sont par ailleurs durement secoués, renoncent, la mort dans l’âme et la rage au coeur, à faire valoir leurs droits.

Faut-il vraiment croire qu’une économie de 10 % sur la justice va résoudre l’arriéré judiciaire, qui est pourtant un des objectifs annoncés du plan Geens ? A moins que l’objectif cynique ne soit d’exclure sur base d’un critère de fortune un grand nombre de citoyens des Cours et tribunaux, réduisant par-là mécaniquement le problème de l’arriéré. Pense-t-on par ailleurs vraiment réduire le fossé entre justice et citoyen en fermant des justices de paix et des greffes ? Le plan Geens, élaboré sans concertation avec le monde associatif, rehausse encore le seuil d’accès à la justice. Aujourd’hui, déjà, la justice est désespérément hors d’atteinte pour une grande partie de la population. Il est inacceptable que le gouvernement économise sur le droit fondamental de porter une affaire devant un juge ou de défendre ses droits.

Le plan Geens serait à l’avantage du citoyen s’il garantissait une meilleure qualité de la justice. Mais dans les faits, nous voyons au contraire une détérioration des droits de la défense avec une limitation du droit d’appel et l’augmentation des pouvoirs du parquet. Cela ne mène en aucun cas à une meilleure qualité.

On ne trouve rien dans le plan pour rendre plus compréhensible au citoyen ordinaire le difficile langage technique de la justice. On y trouve encore moins des initiatives visant à combler le fossé entre le monde de la justice et celui de l’homme ou de la femme de la rue. Rien non plus pour lutter contre les innombrables formalités inutiles qui conduisent souvent le citoyen à renoncer à ses droits ou à ne mener qu’en partie sa défense.

Un plan qui viserait une hausse de la qualité pourrait rétablir la confiance du citoyen dans la justice. Mais le combat du ministre contre  » l’abus  » et  » la surconsommation  » de l’appareil judiciaire par le citoyen n’y contribue certainement pas.

Ne soyons pas dupes. Une justice démunie ne va pas défendre mieux les droits du citoyen. Au contraire. Les citoyens ordinaires seront aussi pénalisés par le plan Geens

Nous craignons que le citoyen qui n’ira plus voir un avocat ou un juge ne soit pas celui dont la requête n’est pas fondée, mais celui qui ne pourra plus se le permettre.

Ces nombreuses critiques tombent cependant dans l’oreille d’un sourd. Le ministre a annoncé que le gouvernement soumettra le premier projet de loi au parlement dès qu’arrivera l’avis du Conseil d’État. Le risque existe que ce premier projet soit voté encore en juillet.

Nous demandons pour tous le respect du droit constitutionnel d’accès à un juge indépendant. Toutes les propositions qui restreignent les droits du citoyen et rendent plus difficile encore l’accès à la justice doivent être retirées. La TVA instaurée sur les services d’un avocat doit être supprimée et la loi augmentant les droits de greffe abrogée. Nous réclamons des moyens suffisants pour que la justice soit accessible et plus particulièrement un renforcement et un refinancement du système d’assistance juridique.

Des procédures alternatives telles que la médiation ne peuvent être avancées aveuglément sans prévoir des moyens et un soutien suffisants pour les appliquer de manière satisfaisante.

Il faut un débat de fond sur la justice, dont le point de départ doit être une justice démocratique et accessible, avec des moyens suffisants.

Ne soyons pas dupes. Une justice démunie ne va pas défendre mieux les droits du citoyen. Au contraire. Les citoyens ordinaires seront donc aussi pénalisés par le plan Geens. Ils en seront même les premières victimes.

Signataires de la plateforme Recht voor Idereen — Justice pour tous (une plateforme de 22 organisations qui luttent pour une justice plus accessible à tous et en particulier aux groupes les plus vulnérables).

Manu Keirse, secrétaire pour la politique familiale au Gezinsbond, Gino Hoppe, secrétaire général CGSP Amio, Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté, José Garcia, Secrétaire Générale du Syndicat des Locataires, Pierre Robert, Syndicat des Avocats pour la Démocratie, Manuela Cadelli, Présidente ASM, Benoit Van Keirsbilck, Défense des enfants – International Belgique, Alexis Deswaef, Président Ligue des droits de l’Homme, Frederic Vanhauwaert, coordinateur général du Netwerk tegen Armoede, Ivo Flachet, Progress Lawyers Network, Dirk Masquillier, président du secteur Samenlevingsopbouw, Magda De Meyer, présidente du Vrouwenraad

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