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« Tais-toi! »: les vérités qui dérangent d’Anne Gruwez

La plus célèbre juge d’instruction du royaume sort ce vendredi un livre « Tais-toi! » aux éditions Racine. L’occasion de découvrir sous sa plume et son expérience, toutes ces vérités qui ne sont pas bonnes à dire.

Pour elle, il s’agit « raconter » les histoires qui l’ont marquée dans sa carrière et à partir desquelles la célèbre juge tirait un enseignement. Pour nous, à l’image du film « Ni juge ni soumise » qui lui était consacré en 2017, le livre « Tais-toi! » lui ressemble furieusement. Un assemblage complexe et riche, tantôt catalogue de souvenirs ou d’anecdotes professionnelles, tantôt critique du système ou de la société, un peu Mémoires aussi, le tout avec la dérision et le cynisme qui la caractérisent aussi. Ne dit-on pas que « L’humour est la politesse du désespoir? »

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D’emblée elle le rappelle, le juge d’instruction est un « juge qui ne juge pas » et c’est à travers ce fil qu’Anne Gruwez nous donne à lire son quotidien à elle, du métro du matin, en passant par ses collègues à la machine à café, les techniciennes de surface aussi non sans oublier « ses clients », le tout-venant des crimes et des délits, que la justice se doit traiter sans avoir les moyens pour le faire.

Qu’il s’agisse de leur salaire « travaillant comme un indépendant mais payés comme des salariés », ou de la technologie « les PV arrivent à pied », du matériel informatique ancien et nouveau incompatibles entre eux ou des bureaux où les plafonds s’effondrent, en découvrant le quotidien des juges d’instruction on perçoit déjà les raisons des lenteurs de la justice.

Et concernant ses « clients », fidèle à ses principes, elle ne les juge pas, encore moins pour la magistrate de les défendre ou les excuser, non Anne Gruwez nous explique. Que si les choses ne sont pas si simples, que la manière qu’ont la société et le système pour y répondre n’est vraiment pas la bonne. Elle ne manque pas de lancer des pistes, des solutions de bon sens et qu’elle tire de sa pratique et à la lecture desquelles beaucoup diraient « Mais c’est bien sûr! » sauf que les réductions de peine pour les prisonniers qui poursuivraient des formations en prison, pour la plupart, on n’en entend jamais parler.

« Tais-toi! », un drôle de titre mais qui à la lecture de ce livre prend tout son sens en ce qu’il dénonce, l’air de rien, un système judiciaire inefficace contre la criminalité parce que finalement pourrait-on dire, le crime fait vivre tout le monde. Moins les délinquants que le microcosme judicaire ou la société dans son ensemble, une question que la juge d’instruction pose sans détour: « Qui fournit le plus d’emploi, la sécurité ou l’insécurité? ».

Songez-y, un crime c’est des policiers pour enquêter, des magistrats pour juger, des avocats pour défendre, la presse pour en parler et à l’arrivée, du personnel pénitentiaire pour garantir la détention. Et c’est ensuite, aussi, des psys que l’on consulte lors d’une remise en liberté, des médecins et des chirurgiens qui réparent des gueules-cassées par les agressions, des assurances et des boîtes de sécurité. C’est moche à dire mais si la justice produit son lot de richesses, elle s’enrichit tout autant sur le dos de ce qu’elle s’emploie à combattre, les pages consacrées au trafic de drogue notamment en sont un exemple éclairant.

Fidèle donc à l’image que le pays avait gardé d’elle, Madame la juge n’a perdu ni sa lucidité si son franc-parler et à l’inverse du politiquement correct qui domine la place publique, Anne Gruwez – elle – résiste. Et si l’empathie ne semble pas lui faire défaut à la lueur de ce qu’elle retient des personnes qui débarquent dans son cabinet, elle rappelle néanmoins – fait devenu rare s’il en est – la responsabilité aussi que chacun se doit de porter à son destin.

Si les exemples ne manquent pas, relevons par exemple, son expérience en matière de violence intrafamiliales (VIF). D’entrée de jeu, la juge déclare s’opposer à la reconnaissance du « féminicide », y voyant justement une manière machiste d’appréhender la problématique des violences conjugales – « une image d’Epinal du sexe faible ». Et pour elle de rappeler qu’en matière de VIF, la police ou la justice ne fait que peu cas des violences que les femmes peuvent elles aussi porter aux hommes. Lorsque qu’un couple se tape dessus, la femme étant par définition le sexe faible c’est toujours l’homme qui est considéré comme l’unique responsable. Mais au-delà des coups mutuels, la juge relate aussi le nombre effrayant de femmes qui supplient la justice de remettre en liberté le mari violent, même lorsqu’il ne s’agit pas de la 1re fois et qu’à chaque fois, les coups s’aggravent dangereusement. En toile de fond souvent, des femmes qui dépendent économiquement de leur conjoint ou qui ont choisi ou accepté de leur adjoindre leur liberté. Ce qu’elle en pense la juge? Que personne, encore moins la justice, ne peut protéger ces femmes qui, en connaissance de cause, acceptent de mettre leur vie en danger et qu’au lieu de légiférer sur la reconnaissance du féminicide, mieux vaudrait se focaliser sur la misère économique de ces femmes. Pourquoi dépendre à ce point de l’autre – et quel autre! – alors qu’elles pourraient les quitter et aller gagner leur « casse-croûte » elles-mêmes?

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Et puis il y a aussi, tous ces cas de conscience, ces drames humains du quotidien où Anne Gruwez interroge son lecteur: « Il fait quoi avec ça le juge d’instruction? ». Il vit avec. Et seul.

« Tais-toi! » donc, ces vérités qui dérangent ou 250 pages que l’on qualifierait de « balcon sur la misère du monde » oui, mais vu à travers l’oeilleton de la porte du juge d’instruction.

« Tais-toi! » Si la justice m’était comptée, Anne Gruwez, Editions Racine, 256 pages, 20€. En librairie dès le 25 septembre© DR

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