Mélanie Geelkens

Féminicide: pourquoi la mort d’Ilse Uyttersprot ne changera rien (chronique)

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

L’ancienne députée et bourgmestre Ilse Uyttersprot est la treizième femme à mourir sous les coups de son compagnon en Belgique, depuis le début de l’année 2020. Son décès relance la question de la lutte contre les féminicides. Lutte compliquée, mais pas impossible, pour autant qu’une volonté réelle (et donc financée) existe.

Elle s’appelait donc Ilse. Et les autres, avant elle, se prénommaient Marie-Paule, Jessika, Myriam, Cynthia, Katja, Anja, Naomi, Christianne, Megane, Shamza ou juste « une femme ». Toutes les treize décédées sous les coups d’un homme, souvent leur (ex) compagnon, depuis le début de l’année 2020. Comme au moins 24 autres en 2019, 38 en 2018, 43 en 2017.

Pas de frontière sociale

Mais, là où les autres n’avaient au mieux qu’une initiale, Ilse avait aussi un nom de famille. Uyttersprot. Ainsi qu’une carrière politique – de bourgmestre et de députée – et la renommée associée, même si, côté francophone, celle-ci n’était due qu’à une vidéo qui aurait dû rester privée. Alors les indignations seront plus virulentes, l’ébranlement plus puissant, l’émotion plus vive que lorsque « une femme » était poignardée à Uccle, le 11 mai dernier, par son compagnon sous les yeux de leurs trois enfants.

> Ilse Uyttersprot, la dame aux frasques d’Alost, disparue tragiquement (portrait)

Ilse Uyttersprot aurait, elle, été abattue à coups de marteau, par celui avec qui elle avait entretenu une brève relation. Sa mort rappelle que les féminicides n’ont pas de frontière sociale, ni de déterminant culturel. Les victimes sont plus ou moins éduquées, plus ou moins blanches, plus ou moins aisées, plus ou moins croyantes. Leur point commun est la violence dont un homme s’est autorisé à user.

Récidive

Jürgen D., 49 ans, courtier en biens immobiliers, se serait livré à la police après les faits. En 2014, cet Alostois avait été condamné à six mois de prison avec sursis pour avoir porté des coups sur sa petite amie de l’époque et pour l’avoir harcelée. En voilà un autre, de point commun : la récidive. Dans une étude publiée en 2016, Charlotte Vanneste, maître de recherche à l’Institut national de criminalistique et criminologie, analysait le « parcours » de quelque 40 000 prévenus signalés en 2010 pour violences conjugales. Trois ans plus tard, 38% avaient récidivé. Un « taux préoccupant ». D’autant que, plus la sanction judiciaire est forte, plus le taux de récidive sera élevé, détaillait la scientifique en novembre dernier au Vif.

La « solution »

La « solution » ne peut donc pas être uniquement judiciaire, même en décrétant la tolérance zéro ou en inscrivant le terme « féminicide » au code pénal, revendication féministe dont les conséquences seraient d’abord symboliques. Ou il faudrait alors doter la justice de sérieux moyens : 15 000 dossiers actuellement classés sans suite nécessiteraient le travail de 30 magistrats à temps plein (à raison de 3 heures par dossier).

La « solution » passe par la responsabilisation. Comme celle que pratique l’asbl Praxis via des groupes de discussion avec certains auteurs de faits de violences (dans ce cas, le taux de récidive baisse à 21%). Comme celle qu’applique, en France, le Home des Rosati, une structure d’hébergement que doivent rejoindre certains hommes condamnés pour violences conjugales. Une alternative à la prison, avec obligation de soins, créée par un juge aujourd’hui retraité (Luc Fremiot) qui avait décrété que même une « simple » gifle ne pouvait rester inconsidérée. Le taux de récidive y est de 10%.

La « solution » est surtout à chercher du côté de l’éducation. Des filles, pour casser toute romantisation de la violence. Des garçons, trop souvent élevés dans une tolérance de l’agressivité. La mise à mort du patriarcat ambiant, qui continue à régir insidieusement les rapports entre les hommes et les femmes, n’est pas impossible. Elle sera certes lente, elle nécessitera une forte volonté et, surtout, des moyens publics importants. Pas des queues de budget comme celles dont doivent souvent se contenter les ministres et secrétaires d’Etat en charge du droit des femmes.

Sans ça, sans tout cela, la mort d’Isle Uyttersprot ne changera rien. Encore moins celle d’ « une femme ».

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire