La fin du secret salarial pour plus d’équité: « Il faudra se donner les moyens pour que cette législation fonctionne »

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

En adoptant, le 24 avril dernier, une directive sur la transparence des rémunérations, le Conseil européen cible le tabou du secret salarial, pour mettre fin à l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes. Si le texte pallie les lacunes du cadre légal belge, il reste des zones d’ombre, estime Véronique De Baets, porte-parole de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH).

L’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH) fait partie des organismes ayant un avis concernant la directive européenne, qui prévoit la fin du secret salarial. Celle-ci constitue-t-elle un pas dans la bonne direction?

Véronique De Baets (IEFH) : Après quelques années de pratique, on a pu se rendre compte des lacunes de la législation belge en la matière, en vigueur depuis 2012. En 2020, la Belgique a d’ailleurs reçu une remarque de la part du conseil de l’Europe concernant le manque de transparence salariale. Le texte de 2012 était un compromis, dans lequel les balises empêchaient, dans les faits, de lever le tabou de la transparence des rémunérations. La directive européenne devrait constituer une avancée non négligeable. Pour plusieurs raisons. Elle vaut également pour le secteur public, ce qui n’est pas le cas de la loi belge, elle mentionne la transparence salariale avant l’embauche, qui n’est pas non plus consacrée dans le droit belge pour le moment, prévoit un vrai renforcement du droit à l’information et un renversement de la charge de la preuve.

Véronique De Baets
Véronique De Baets, porte-parole de l’IEFH. © National

Les entreprises comptant moins de cent travailleurs ne seront pas obligées de communiquer les écarts de rémunération à la future autorité de contrôle, qui sera vraisemblablement l’IEFH. Est-ce préjudiciable à la portée du texte?

C’est l’un des points que l’on regrette, mais rien n’empêchera la Belgique d’adopter des mesures renforcées. Ce sera un point d’attention lorsque débuteront les débats sur la manière de transposer la directive.

« Le salaire ne constitue qu’un élément parmi d’autres de l’égalité sur le marché du travail. »

Y a-t-il d’autres lacunes ou points à éclaircir dans le texte?

La directive veut permettre la comparaison des salaires moyens de travailleurs dans une situation similaire au regard de la valeur travail. Le texte reprend quatre critères en ce sens, à savoir les compétences, les efforts, les responsabilités et les conditions de travail. La Belgique pourra en ajouter d’autres. Ce travail d’élaboration des critères, qui n’a pas encore été fait, sera fondamental. Comment définir des critères permettant de comparer des emplois qui ne sont pas formellement identiques? Cela ne sera pas une question de statistiques, mais d’interprétation à affiner.

Quelle sera l’intérêt de disposer de données sur les niveaux de rémunération des hommes et des femmes si ceux-ci reflètent, par exemple, des disparités d’ancienneté entre les deux groupes?

A ce stade, il est difficile de se prononcer sur des cas hypothétiques. Mais on pourrait imaginer qu’une différence significative d’années d’ancienneté entre les hommes et les femmes dans une même organisation, notamment liée à des interruptions de carrière pour s’occuper des enfants, constitue une discrimination indirecte. Les nouvelles règles de transparence en matière de rémunérations feront apparaître des inégalités, qui seront considérées ou non comme des discriminations au regard de la loi. Ensuite, il s’agira de faire remonter les cas de discrimination vers l’Institut.

Porter plainte contre un employeur n’est pas une démarche aisée, ni sans conséquence pour un travailleur. La directive peut-elle s’avérer bénéfique sur cet aspect?

Quand le litige est porté en justice, il devient effectivement compliqué de rester dans la même entreprise. Mais cette directive donnera l’opportunité au travailleur ou à la travailleuse d’obtenir des informations salariales. Soit pour en parler directement à l’employeur ou au service des ressources humaines, sans nécessairement aboutir à un conflit, soit pour contacter l’organe de contrôle en toute confidentialité, qui tentera lui-même le rôle de médiation.

Comment se positionnent les organisations concernées par un cas de discrimination? Sont-elles compréhensives, sur la défensive?

Si le discours a évolué ces dernières années, la différence entre inégalité et discrimination n’est pas toujours bien connue. Le fait que les femmes gèrent encore le plus souvent les tâches domestiques liées aux enfants, et qu’elles travaillent donc davantage à temps partiel, est une inégalité, mais pas une discrimination au sens de la loi. Les réactions des organisations sont très variables mais parmi les signalements qui parviennent à l’Institut, seul 1% se solde par une procédure judiciaire. Dans la grande majorité des cas, on parvient à un accord avec l’employeur.

Combien de signalements l’IEFH a-t-il reçu l’année dernière?

On en dénombre 1 046 pour l’année 2022. Chaque année, on constate une augmentation du nombre de signalements. C’est avant tout le reflet d’une conscientisation accrue dans la société de ce qui est permis ou pas en matière de rémunérations. Mais le salaire ne constitue qu’un élément parmi d’autres de l’égalité sur le marché du travail.

Le futur organe de contrôle sera-t-il l’IEFH?

Vraisemblablement. À ce stade, il faut encore user du conditionnel. C’est une mission qui nécessitera des ressources supplémentaires, tant financières qu’humaines. Ce sera un travail assez gigantesque de regrouper les demandes d’information, les plaintes et les données. Il faudra se donner les moyens pour que cette législation fonctionne. Sinon, ce sera une coquille vide.

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