Bruxelles, lors de la fête de la Fédération Wallonie-Bruxelles © belga

Série (1/5) | Parlez-vous le belge ? L’origine de nos expressions régionales (analyse)

Julie Nicosia
Julie Nicosia Journaliste

Longtemps considérés comme des fautes de français, les belgicismes et les expressions régionales font de notre langage une richesse, avec des variations entre régions. Analyse avec Michel Francard et Jean-Marie Klinkenberg.

Un belgicisme est un « mot, une expression, une tournure syntaxique ou même un trait de prononciation qui est propre à la Belgique », explique Jean-Marie Klinkenberg, linguiste et professeur émérite de l’Université de Liège. Cependant, il rappelle qu’il s’agit d’une « définition partielle car certains mots peuvent être repérés comme faisant partie de la Belgique et aussi être utilisés dans d’autres régions de la francophonie comme dans les provinces françaises ou au Québec ». Et le linguiste de préciser : « Ceux qui peuvent n’être que ‘belges’, ce sont les spécialités et réalités administratives, gastronomiques. »

Belgicisme = faute de français ?

Pour le linguiste de l’Université de Liège, « lors de la chasse aux belgicismes durant les années 70-80, tous étaient considérés comme des fautes. ». Et de raconter cette anecdote, alors qu’il était conseiller pour une nouvelle refonte du dictionnaire Larousse en 1989 : « J’avais proposé 200 à 300 belgicismes pour parler de toutes les originalités de la langue. Cent mots ont été acceptés. J’ai ensuite été interviewé par René Thiry et le journaliste s’étranglait quand je parlais de ‘kot’ car, pour lui, il s’agissait d’une faute. Il fallait dire ‘chambre d’étudiant’ ». Néanmoins, ce discours est révolu, estime Jean-Marie Klinkenberg : « Il n’y a plus de discours de la faute comme dans la ‘Liste des mots à ne pas utiliser’ », liste qui ne répertoriait que des belgicismes.

C’est aussi en 1989 que naît en Belgique un centre original qui veut rompre avec la tradition puriste selon laquelle il faut chasser les belgicismes de la langue française: le centre de recherche « Valibel – Discours et variation », à l’UCLouvain. Né sous l’impulsion de Michel Francard, le spécialiste en la matière en Belgique francophone et auteur de trois livres sur le sujet, son but est d’étudier, de documenter et d’expliquer le français de Belgique via notamment des enquêtes de terrain.

Histoire des belgicismes

Michel Francard, de la même manière que son collègue de l’Université de Liège, explique les origines des belgicismes selon trois ordres :

  • Les belgicismes sont des archaïsmes de la langue française : ils ont disparu du centre de la France, généralement pris pour référence dans les dictionnaires, mais restent bien vivants chez nous. L’archaïsme est le « maintien de mots ou d’expressions du passé chez nous ».
  • Les emprunts aux langues (locales) en contact : en Belgique, il y a des influences germaniques (les flamands, le néerlandais, un peu d’allemand ainsi que d’anglais) et des influences romanes de la Wallonie (le picard, le wallon, le lorrain gaumais) en fonction des régions du pays. C’est pourquoi on retrouve le mot « ket » pour désigner un « fils » à Bruxelles, emprunté au flamand, et « poyon » dans certaines régions de Wallonie,  hérité du wallon.
  • Les innovations de la langue : le français en Belgique est issu de créations des locuteurs wallons et bruxellois. Par exemple, le terme « GSM » est considéré comme une innovation de la langue car il n’est ni un archaïsme, ni un emprunt aux langues locales.

Si les sources des belgicismes peuvent être identifiées, il n’y a pas de règle générale quant à la naissance d’expressions belgicaines. Cependant, « chaque mot a son histoire », précise Jean-Marie Klinkenberg : « Prenons l’exemple du terme ‘échevin’. Un ‘échevin’ désigne une personne qui a des responsabilités judiciaires au Moyen-Age. Alors qu’en France il finit par disparaître ; en Belgique, il devient un édile communal. » Et le professeur émérite de l’ULiège d’expliquer: « Avec l’intensité des communications, notamment via les médias, les particularités régionales ont tendance à disparaître. On aurait pu entendre auparavant pour parler d’un délit ‘deux hommes encagoulés’ au JT, maintenant nous préférons ‘deux hommes cagoulés’ ».

D’où viennent nos expressions régionales ?

En Belgique, on peut utiliser le même vocabulaire à Liège qu’à Bruxelles et pourtant ne pas se comprendre. Sur le temps de midi, avez-vous déjà demandé un « Dagobert » dans une sandwicherie bruxelloise ? La célèbre baguette garnie de jambon, fromage, mayonnaise et crudités se nomme « Club » dans la capitale.

D’où viennent ces variations entre les différentes régions ? Pour Michel Francard, les variations s’expliquent par les emprunts aux langues régionales qui varient elles-mêmes. « On dit ‘un boulet’ à Liège. Cela vient du wallon liégeois. Dans d’autres régions, on parle de ‘boulettes’. Les variations intra-wallonnes viennent des différentes subtilités des langues régionales. Avant la Belgique, qui reste un pays très jeune (ndlr : 191 ans), il y avait des duchés, des comtés et les personnes qui composaient les communautés avaient leur propre langage. De village en village, on pouvait découvrir différentes nuances de wallon. » Et le spécialiste des belgicismes de préciser : « Le français en Belgique reste une abstraction ».

A la question de savoir si une région emploie plus qu’une autre des belgicismes, les deux professeurs s’accordent : « Non. » En effet, « le langage n’est pas une question géographique mais une question de locuteurs. Des locuteurs vont plus utiliser de belgicismes que d’autres mais ils ne le font forcément de manière consciente. L’analyse doit se faire selon un axe individuel, social et éducatif plutôt que géographique. », conclut M. Francard.

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