Il était le frigobox, une fois

Le linguiste Michel Francard et son équipe de Valibel (UCL) publient un édifiant Dictionnaire des belgicismes. Lumineuse plongée dans une langue  » semi-clandestine  » nourrie aux sources d’un imaginaire puissamment évocateur.

Longtemps, le belgicisme fut frappé d’ostracisme. On le traquait sans relâche. Ainsi fut couronnée par l’Académie française la Nouvelle chasse aux belgicismes, dont la 4e édition avait été publiée en 1981 par l’Office du bon langage, dans le giron de la Fondation Charles Plisnier. Ce travail était dû aux fins érudits Joseph Hanse, Albert Doppagne et Hélène Bourgeois-Gielen.

Le même Albert Doppagne cependant, également lauré par les augustes sociétaires du Quai Conti, rassembla dans la même collection bon nombre de Belgicismes de bon aloi. C’est dire l’ambiguïté qui présidait, il n’y a guère encore, à l’appréciation de nos particularismes linguistiques ; à l’aune parisienne en particulier, où l’on a toujours considéré d’un £il inquiet ces  » banlieusards de la langue française  » qu’étaient les Belges.

Depuis, les vents ont tourné. Le linguiste Michel Francard, patron du centre de recherche Valibel (UCL), en sait quelque chose, lui qui collabora récemment au Nouveau Petit Robert pour y introduire les belgicismes les plus méritoires. Belgicismes, au demeurant, dont le tout premier recueil fut attribué à Poyart dès 1806.

Il faut voir qu’est exercée désormais, dans tous les coins de la francophonie, une forte pression en faveur des particularismes. On sait aujourd’hui la puissante influence du français québécois – auquel on doit par exemple le  » courriel  » ou le  » clavardage  » pour nommer deux véritables phénomènes de société contemporains – mais également celui de Suisse romande, sans compter les très nombreux régionalismes de France, recensés par Pierre Rézeau. Et sans méconnaître non plus les spécificités langagières produites en Afrique francophone ou en de plus petits foyers de francité tels que le Luxembourg, la Louisiane, La Réunion ou les Antilles.

Conducteur fantôme

C’est sur cette toile de fond considérablement décentrée que s’inscrit aujourd’hui le Dictionnaire des belgicismes dû à Michel Francard et son équipe. Un précieux outil de plus de 2 000 articles, dont la moindre vertu n’est point assurément d’évaluer la vitalité régionale de chaque mot ou locution, et de fournir, pour chacun, l’équivalent en français de référence.

Longtemps donc aura prévalu un souci normatif, pour ne pas dire correctif : il convenait d’expurger le français de Belgique des barbarismes et  » impuretés  » qui l’encombraient. A présent, il s’agit de décrire les faits, sans guère chercher à les condamner. Mais, ainsi affranchis d’une sorte de jugement moral, les belgicismes ne participeront pas spontanément d’une langue seyante ; il reste à considérer en effet la portée sociale d’une façon de parler. Les seuils de tolérance, à cet égard, sont très variables. Exemple, au hasard, on aura rarement  » mal sa tête  » dans la haute société. En revanche, à Bruxelles du moins, il y aura des  » klettes  » dans toutes les couches…

Avis aux vacanciers qui s’empressent sur les routes à destination des soleils méridionaux. Il adviendra qu’ils rencontrent en Belgique un  » conducteur fantôme « , mais celui-ci n’aura pas d’équivalent attesté par-delà la frontière française. On en tirera les conclusions qu’on voudra ! Le fait est que le prédicat  » fantôme  » du conducteur qui roule à contresens provient directement du néerlandais standard  » spookrijder  » et de l’allemand  » Geisterfahrer « . On allait oublier, malgré notre riche tradition marollienne, qu’on était au carrefour des cultures latine et germanique. C’est tout le piment, décidément, de notre excellent pays.

Dictionnaire des belgicismes, de Michel Francard (avec Geneviève Geron, Régine Wilmet, Aude Wirth ; préface de Bruno Coppens), De Boeck-Duculot, 400 p.

ÉRIC DE BELLEFROID

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