Alexander De Croo © Belga

Circonscription fédérale: une solution pour sortir de futures crises politiques?

Celine Bouckaert
Celine Bouckaert Journaliste au Vif

L’Open VLD souhaite instaurer une circonscription fédérale afin que tous les Belges puissent voter pour les mêmes candidats. Une bonne idée ? Décryptage avec Vincent Laborderie, politologue à l’UCLouvain.

Les libéraux flamands proposent que la personnalité ayant récolté le plus de voix du parti le plus important devienne automatiquement formateur et, si tout se passe bien, Premier ministre. Vingt des 150 sièges de la Chambre seraient élus au niveau fédéral. Chaque parti devrait y présenter un candidat au poste de Premier ministre.

Pour s’assurer qu’un gouvernement soit rapidement formé, les libéraux veulent ajouter un délai limite. Un formateur disposerait ainsi d’un mois pour rédiger un accord de coalition. En cas d’échec, le droit d’initiative reviendrait alors à la deuxième liste la plus populaire, et ainsi de suite. S’il n’y a toujours pas de gouvernement au bout de six mois, de nouvelles élections seront automatiquement organisées.

Légitimité démocratique

Vincent Laborderie estime que la proposition de l’Open VLD est intéressante en termes de légitimité démocratique et de lisibilité pour l’électeur, car la tête de liste sera candidat Premier ministre. Il rappelle que la proposition s’inscrit dans une réforme plus large. « Il ne s’agit pas uniquement d’une circonscription fédérale, c’est une manière de donner un mode d’emploi pour la formation du gouvernement, et de la visibilité politique pour les citoyens et pour les secteurs ».

« Un grand problème en Belgique, c’est qu’il y a des gens qui se présentent et qu’on n’a aucune idée de qui peut devenir Premier ministre. La meilleure preuve, c’est qu’Alexander De Croo arrive à l’être. La proposition fait écho au concept de Spitzenkandidat aux élections européennes, qui veut que les principales familles politiques de l’UE choisissent leur candidat pour la présidence de la Commission européenne », explique-t-il.

Pour lui, la réforme proposée permettrait de raccrocher les Belges aux institutions politiques. « C’est un problème, peut-être encore beaucoup plus grave que la séparation entre les communautés ou la question du fédéralisme belge », souligne-t-il. Il craint toutefois que la « potion » ne soit trop radicale. « C’est un peu devenu la routine d’avoir des mois et des années sans gouvernement, ce qui est très problématique. Là, après un mois, on passerait à autre chose, ou on organiserait de nouvelles élections », déclare-t-il.

Une idée loin d’être neuve

L’idée d’une circonscription fédérale n’est pas neuve, loin de là. Déjà en 2007, le groupe d’universitaires Pavia avait lancé l’idée d’une circonscription électorale pour la Chambre des représentants. Le groupe proposait d’attribuer 15 des 150 sièges de la Chambre dans le cadre de cette circonscription. Quelques années plus tard, le concept a fait l’objet de débats au sein d’une commission mixte du Parlement fédéral.

Comment se fait-il que seize ans plus tard, l’idée n’en toujours qu’à l’état de proposition ? Pour Vincent Laborderie, plusieurs obstacles majeurs demeurent. « Le fédéralisme belge présente la spécificité de ne pas avoir de partis politiques nationaux. La manière la plus évidente d’y pallier, ce serait d’avoir une circonscription fédérale pour que les gens puissent voter pour n’importe qui où qu’ils se trouvent. Dans les autres pays tels que l’Allemagne et le Canada, les citoyens ne votent pas forcément pour le Premier ministre, mais votent quand même pour le même parti, car chacun est dans sa circonscription. En Belgique ce n’est pas possible ».

Autre particularité en Belgique, c’est que les partis francophones ne se présentent pas en Flandre, et les partis flamands ne se présentent pas en Wallonie, sauf exception tout à fait marginale. « Les réformes électorales sont très difficiles, puisqu’ici il faudrait changer la Constitution et il y a toujours des partis qui estiment que ce n’est pas dans leur intérêt. C’est très difficile d’avoir des acteurs qui décident par eux-mêmes de changer les règles du jeu alors que c’est ce jeu-là qui les emmène au pouvoir », ajoute le politologue.

Ainsi, les partis écologistes et libéraux seraient favorables à l’idée, car « globalement, ils entretiennent de bons rapports avec leurs partis frères, et chaque parti a une image qui n’est pas forcément négative de l’autre côté linguistique », explique Vincent Laborderie.

Emergence d’un candidat extrémiste ?

Le président du MR Georges-Louis Bouchez réagit effectivement de manière positive à l’idée, même s’il n’est pas favorable à toutes les modalités proposées par son parti frère. Le caractère automatique de désignation du formateur pourrait faire émerger un candidat extrémiste, par exemple du Vlaams Belang. Ce serait non seulement dangereux, mais aussi une perte de temps, vu l’absence d’alliés potentiels, souligne le MR. « Le ‘risque’, c’est que l’on se rende compte que le Vlaams Belang et la N-VA font des scores en Wallonie, mais c’est la démocratie », observe le politologue.

Il craint que le parti Vooruit, inquiet de l’image du PS en Flandre, ne soit guère enthousiaste à l’idée de se retrouver sur une même liste que les socialistes francophones. Ces derniers ne sont pas contre l’idée. « Le PS s’est positionné à plusieurs reprises en faveur d’un tel projet par le passé. Sa mise en place impliquerait notamment de se prononcer sur les modalités. Elles seront déterminantes: le nombre de sièges concernés, la garantie de l’équilibre entre Flamands et francophones, le renforcement de la démocratie et le maintien du cordon sanitaire afin de garantir les valeurs démocratiques », commente le parti socialiste. Côté chrétien-démocrate, Les Engagés n’ont plus grand-chose en commun avec le CD&V, pointe Vincent Laborderie. « Il y toute une série d’acteurs pour qui une circonscription fédérale n’a pas d’intérêt ».

Pour les partis nationalistes flamands, la N-VA, et le Vlaams Belang, la proposition n’a aucun sens. « Non seulement, ils n’ont personne du côté francophone, mais l’idée ne cadre pas dans leur schéma de destruction de la Belgique ou de séparation toujours plus poussée », souligne le politologue. « À chaque fois, il apparaît que ce sont les partis francophones qui bloquent des réformes fortes, et l’Open Vld les récompense aujourd’hui », réagit le député Sander Loones (N-VA) auprès de l’agence Belga. À ses yeux, la circonscription fédérale « fait le jeu de ceux qui ne veulent pas de grandes réformes et défendent le statu quo ». Elle constituerait même un verrou supplémentaire contre « les Flamands ».

La N-VA accuse même l’Open VLD de lancer l’idée pour sécuriser le poste du Premier ministre actuel, Alexander De Croo. « L’Open VLD essaie de se doper à l’aide d’une liste unitaire grâce à leur parti frère plus puissant (le MR, NDLR), il est donc davantage question du poste d’Alexander De Croo que de renforcer la démocratie ».

Même s’il trouve l’idée intéressante et bénéfique pour la légitimité démocratique, Vincent Laborderie ne cache pas son scepticisme quant à un terrain d’entente « Je suis très pessimiste sur un consensus. Malheureusement, les acteurs belges ne sont pas très audacieux, même si on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise », conclut-il. (Avec Belga)

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