L’étonnant passage de Youssef Handichi du PTB au MR: «Je pensais vraiment que la révolution arriverait un lundi matin»

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Ils ont changé de parti, l’ont quitté pour un autre et ils en sont toujours fiers. C’est notre série d’été «Partir un jour». Cette semaine, Youssef Handichi, arrivé au MR peu de temps après avoir quitté le PTB.

On peut l’affirmer sans prendre trop de risques: le passage de Youssef Handichi de l’extrême gauche à la droite de l’échiquier politique constitue un des virements de bord les plus écartelants de l’histoire politique du pays. En apparence, du moins, parce que l’ancien député du PTB considère qu’il s’agit d’un dénouement logique venant clôturer un cheminement personnel.

En mars 2024, trois mois avant les élections, c’était dans l’air. Youssef Handichi était sur le point de rejoindre la famille libérale, un mois après avoir officialisé sa séparation avec le PTB. La confirmation, précédée de quelques atermoiements, a été apportée lors d’une conférence de presse organisée au siège du MR, aux côtés de Georges-Louis Bouchez et David Leisterh. Le transfuge allait provoquer l’étonnement. Quelques ricanements, aussi. C’est que Youssef Handichi avait, plusieurs années durant, été un des principaux visages du PTB en région bruxelloise. Son parcours l’avait poussé presque naturellement dans les bras du parti marxiste, évoque-t-il aujourd’hui.

«J’ai arrêté mes études à 19 ans et commencé à travailler. J’ai fait du nettoyage, en pensant y rester six mois. Je l’ai fait pendant six ans.» Ce même secteur d’activité allait jouer un rôle un quart de siècle plus tard.

Après avoir bossé quelque temps dans une marbrerie, Youssef Handichi fait son entrée à la Stib en 2004, pour devenir conducteur de bus et rapidement faire connaissance avec le PTB. «Je les ai rencontrés lors d’une grève spontanée. J’ai été séduit par leur discours. Il était question des fins de mois difficiles et tout ça. En tant qu’ouvrier, ça me parlait.»

«Au PTB, j’ai terminé mes mandats et j’ai fait le job. Ai-je fait un grand écart? Non. J’ai fait un job, j’ai évolué, j’ai changé de job.»

L’intégration au sein du parti début alors, au bas de l’échelle d’abord. «De simple membre consultatif, je suis passé au groupe de base. Là, on participe à des réunions politiques une fois par mois. On est formé à l’idéologie, on discute de l’actualité en entreprise, de la politique et de comment on va changer le monde. Le niveau est assez poussé en réalité, il faut leur laisser…»

En parallèle, il poursuit un parcours syndical, passant du statut de militant à celui de délégué, «puis petit à petit à celui de leader syndical, le Graal. En 2012, j’ai été élu au conseil d’entreprise. Pendant tout ce temps, je suis resté en profil fermé au PTB. Personne ne savait que j’y étais.»

Ce fut le cas jusqu’en 2014, année électorale, qui le conduit à se dévoiler. «Le PTB avait besoin d’un Stibard sur ses listes. Le groupe m’a désigné et j’ai ouvert mon profil», en pensant que les chances d’être élu demeuraient faibles. Lors du scrutin régional précédent, en 2009, le parti n’avait recueilli que 0,8% des suffrages en Région bruxelloise. Mais finalement, je suis élu. Youssef délégué devient Youssef PTB.» En ce printemps 2014, le parti décroche en effet quatre sièges au parlement bruxellois et deux au parlement de Wallonie. Les marxistes débarquaient aussi à la Chambre, avec Raoul Hedebouw et Marco Van Hees.

Les élections suivantes furent retentissantes. En 2019, PTB et PVDA ravissaient onze sièges au parlement bruxellois. Youssef Handichi obtenait plus de 13.000 voix de préférence, un meilleur score que sa tête de liste, Françoise De Smedt. «J’ai intégré la direction du parti. J’étais un cadre-ouvrier formé à l’idéologie révolutionnaire.»

C’est aussi durant cette période que de premières divergences apparaissent. Le succès électoral a fait de lui un des visages incontournables du parti, mais sur le fond, se souvient-il, il s’y est senti de moins en moins à sa place. «Un bon exemple, c’est la mobilité. Moi, je faisais partie de la ligne ouvrière du PTB, considérant que ma voiture, c’est ma fiche de paie. En parallèle, une ligne un peu plus bobo prenait de la place», imposant d’autres points de vue.

Son passage au MR ne s’est pas effectué sur un simple coup de tête ou par pur opportunisme, affirme-t-il. Il est plutôt le fruit d’un cheminement, qui s’est enclenché durant cette mandature 2019-2024. «Mais je tiens à préciser qu’au PTB, j’ai terminé mes mandats et j’ai fait le job. Ai-je fait un grand écart? Non. J’ai fait un job, j’ai évolué, j’en ai changé.»

Que s’est-il passé pour que le député bruxellois opère un tel virage? «Le PTB, c’est de la pure idéologie. J’ai été formé à cela. Je pensais vraiment que la révolution arriverait un lundi à 8 heures du matin. Puis je me suis rendu compte que ça ne fonctionnait pas comme ça.» A la sortie de la crise sanitaire, les désaccords étaient trop nombreux et une forme d’accord tacite est survenue. «Je n’ai plus pris de responsabilités. Je suis resté, j’ai fait ce que j’avais à faire, mais je ne m’impliquais plus dans le parti. En revanche, j’avais sous-estimé un point: cela m’a octroyé du temps.»

Ce temps, justement, l’a conduit à s’interroger sur son avenir. «L’idée de me lancer dans l’entrepreneuriat a germé.» Il a d’ailleurs fini par fonder sa société de nettoyage. «Et au parlement régional, qui était le mieux placé pour me fournir quelques clés d’analyse et de réflexion? Le MR.»

C’est alors qu’il s’est rapproché de celle qui était autrefois sa cible, la cheffe de groupe libérale Alexia Bertrand. En novembre 2022, cette dernière s’en est allée vers le gouvernement fédéral sous l’étiquette de l’Open VLD. Spontanément, explique Youssef Handichi, c’est avec le nouveau chef de groupe et président du MR bruxellois, David Leisterh, que les contacts se sont enchaînés.

«Ce que je n’avais pas vu, c’était le momentum. Je ne pensais pas aux prochaines élections. Dans mon esprit, j’allais arrêter.» C’est pourtant en troisième position sur la liste fédérale qu’il s’est présenté au scrutin du 9 juin 2024. Lui qui avait été un gros pourvoyeur de voix n’a pas récolté un score personnel à la hauteur des attentes. Les élections sont ainsi faites qu’il a bénéficié des votes en case de tête, pour obtenir un siège à la Chambre.

L’idée qu’il ne défend plus

Convaincre autant de gens que le changement de société pouvait se faire en un claquement de doigts.

L’idée qu’il conserve

La mobilité comme il l’a défendue au PTB. «La position du MR est en adéquation avec la réalité des travailleurs.»

La pire vacherie

Les attaques souterraines du PS pendant la campagne, très organisées et bien coordonnées.

La personne qui l’a fait changer

Plusieurs personnes, dont Alexia Bertrand, puis David Leisterh dans la foulée. «Il a joué un grand rôle.»

La campagne fut éprouvante. «Le plus compliqué furent les attaques très bien organisées dans cette campagne souterraine sur les réseaux sociaux et sur WhatsApp. Des centaines de messages étaient propagés, avec des visuels bien travaillés, des messages du type « Handichi le sioniste », etc.» Ces attaques, assure-t-il, ont été le fait du PS, pas du PTB.

«Le parti socialiste avait décidé de me salir», tandis qu’une certaine indifférence du PTB a rapidement prévalu. Dans les couloirs du Parlement, aujourd’hui, «on ne se parle pas avec le PTB. Pas un mot, pas un regard. L’affaire est classée, le divorce est acté, bien acté même», reconnaît l’élu libéral.

Le changement de bord, dans l’intervalle, n’a pas toujours été compris, mais dans des proportions très mesurées, explique le Bruxellois. «Si on retire les attaques du PS, je n’ai reçu que quelques messages de personnes fâchées. Les quelques potes que j’ai perdus ont été aspirés dans cette campagne souterraine. Pour le reste, je continue à entretenir des contacts avec des proches à la Stib.»

«On ne se parle pas, avec le PTB. Pas un mot, pas un regard, rien du tout. L’affaire est classée, le divorce est acté.»

Quant à son entourage familial, quelques personnes se sont étonnées de son nouvel engagement, mais la plupart «y a été favorable, toujours dans l’explication de mon évolution, d’ouvrier à l’entrepreneuriat. Il y a eu quelques discussions très fortes, avec mon épouse par exemple. Aujourd’hui, je peux vous dire qu’elle est ravie.»

Le voilà qui défend les valeurs du libéralisme, sans avoir dû être formé (formaté) comme il le fut au PTB. «La grande différence, c’est le côté pragmatique. C’est ancré dans le réel. Au PTB, c’est l’idéologie qui prime. Tout est simple, quand l’idéologie passe avant le reste. L’endettement? Pas de problème, on ne respecte pas le cadre européen et on s’empare des moyens de production des banques. La mobilité? Aucun souci, on crée quinze lignes de métro, 600 lignes de tram, 1.000 lignes de bus. Y a qu’à le faire», ironise-t-il. Cela ne fait pas de doute, Youssef Handichi a changé de parti.

23/08/1976

Naissance à Aklim, dans le nord-est du Maroc. Sa famille rejoint la Belgique lorsqu’il a 3 ans. Youssef Handichi passée sa jeunesse dans la commune de Schaerbeek. Il arrête les études à 19 ans pour travailler dans le secteur du nettoyage.

En 2004

Il entre à la Stib, la société des transports bruxellois, pour devenir chauffeur de bus. Il y travaillera une dizaine d’années, avant de se présenter aux élections. Il a également été délégué syndical à la CSC.

25/05/2014

Il participe aux élections régionales à Bruxelles, en troisième position sur la liste PTB*PVDA-GO, qui décroche quatre sièges. Il obtient un score personnel de 1.782 voix. En 2019, PTB et PVDA obtiennent onze sièges et lui, 13.079 voix de préférence.

05/03/2024

Après quelques atermoiements, le MR confirme la nouvelle qui était dans l’air, à savoir que Youssef Handichi rejoint les troupes libérales. A l’occasion de la conférence de presse, il affirme être «libéral depuis longtemps».

09/06/2024

Youssef Handichi, en troisième position sur la liste fédérale dans la circonscription bruxelloise, n’obtient que 3.280 voix de préférence. Il est néanmoins élu à la Chambre, bénéficiant de la redistribution des votes en case de tête.

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