Les partis politiques reçoivent-ils trop d’argent public ?

Les caisses des partis politiques sont bien remplies. Trop, selon certains. De plus en plus de voix s’élèvent pour revoir en profondeur la loi de 1989, qui règle le financement des partis. Analyse en trois questions avec Vincent Laborderie (UCLouvain) et Edouard Delruelle (ULiège).

Ils sont financés à 75% par l’argent du contribuable, et font partie des plus riches du continent européen. Eux, ce sont les partis politiques belges. Chaque année, ils brassent ensemble 93 millions d’euros, dont 75 millions d’argent public, selon la RTBF.

Cet argent, certains l’utilisent pour investir dans l’immobilier comme la NV-A en Flandre, tandis que d’autres choisissent de le consacrer à la publicité sur les réseaux sociaux, comme le PTB en Wallonie. Des dépenses qui s’écartent de l’activité première des partis politiques, et qui peuvent dégrader encore un peu plus la confiance des citoyens dans la fonction politique.

Avant d’aller plus loin, il faut d’abord comprendre comment fonctionne ce financement public, réglé par une loi de 1989 qui a déjà été modifiée à 14 reprises. Comme expliqué sur le site de la Chambre des Représentants, chaque parti reçoit une certaine somme d’argent, en fonction de son nombre d’élus à la Chambre et au Sénat.

La dotation publique se compose d’un montant forfaitaire, fixe, et d’un montant variable, en fonction du nombre de voix obtenues par le parti. En 2023, les partis qui ont au moins un élu à la Chambre recevront 206.048,72€ plus 2,5€ par vote favorable lors des dernières élections législatives. A cela s’ajoute une dotation supplémentaire pour les formations politiques également représentées au Sénat. Dans ce cas-ci, on parle de 175.000€ plus 3,5€ par vote.

Quoi qu’il en soit, la dotation publique représente 75% des rentrées financières des partis politiques. Le reste se compose de dotations indirectes (les dons de personnes physiques, qui sont plafonnés à 2500€ par an et 500€ par candidat, liste, mandataire ou parti), des dotations des parlements et conseils provinciaux, des subsides des groupes parlementaires ainsi que des cotisations payées par les membres de ces partis.

Les partis politiques reçoivent-ils trop d’argent de l’Etat ?

Vincent Laborderie (UCLouvain) : « Je n’irais pas jusque-là mais ils en reçoivent en tout cas largement assez. On se retrouve dans une situation où certains partis n’ont plus de base militante mais continuent à exister grâce à l’argent public. Le citoyen est devenu une simple voix, qui rapporte de l’argent au politique. Il faut que les gens se rendent compte de la valeur de leur vote. En plus, comme le vote est obligatoire, certaines personnes votent pour un parti qu’ils n’apprécient pas forcément, tout en lui rapportant de l’argent ! »

Edouard Delruelle (ULiège) : « Je ne suis pas d’accord. La dotation publique des partis représente moins de 0.5% du budget de l’Etat. Je suis partisan d’un financement public des partis, car la démocratie a un prix. Il faut payer les salaires des élus, le budget des assemblées, etc. Et penser que réduire la dotation va régler le déficit public, c’est de la démagogie… Par contre, on pourrait envisager de plafonner cette dotation publique. Imaginons que la NV-A récolte 70% des voix, elle ne recevrait pas 70% du gâteau public, mais par exemple 50%. »

Faut-il encadrer les dépenses des partis ?

Vincent Laborderie : « Oui, clairement. Pour l’instant chacun fait ce qu’il veut avec son argent. Ils ne doivent respecter aucune règle, hormis en période électorale. Cela laisse la place à pas mal de dérives, avec des dépenses pharamineuses sur les réseaux sociaux ou des investissements dans le secteur immobilier. Certains partis sont quasiment devenus des entreprises. Et une organisation politique qui cherche à faire de l’argent, ce n’est pas sain en démocratie. Quand on me dit que le financement public est démocratique, je m’interroge. Quid alors d’un parti comme le Vlaams Belang, qui investit massivement dans des pubs aux relents racistes sur Facebook ? »

Edouard Delruelle : « Je préfère cette option à une diminution de leur dotation publique. Les dépenses doivent rester dans les clous de leurs activités politiques. L’investissement dans un centre d’études en fait partie. Il est vrai que les dépenses immobilières ou sur les réseaux sociaux sont des points noirs pour la démocratie. »

Augmenter le plafond pour les dons privés, une solution ?

Vincent Laborderie : « Oui, car le système actuel renforce les partis au pouvoir et freine l’émergence de nouveaux partis. C’est problématique pour le renouvellement démocratique. En Belgique, à part le PTB, aucune nouvelle force politique ne s’est installée dans le paysage depuis 30 ans. Dans le reste de l’Europe, ça bouge. Des mouvements naissent, d’autres meurent. A quoi doit-on cette différence ? A l’absence de limite pour les dons privés dans ces pays ! Emmanuel Macron par exemple n’aurait pas pu émerger en 2017 et créer un parti par la suite sans disposer de dons privés. Evidemment, il faut que cela se fasse de manière transparente et encadrée si on veut appliquer cette mesure. J’estime qu’une personne doit pouvoir donner 5000€ voire 10.000€ à un parti si elle le désire. C’est une goutte d’eau dans l’océan financier des partis politiques, ce n’est pas ça qui va changer le résultat des élections. »

Edouard Delruelle : « Il faut faire preuve de prudence avec ce genre de mesure. Dans les pays où un financement privé est permis, on assiste à un renforcement des partis au pouvoir et des partis proches des milieux économiques. Et si les dons ne sont pas bien encadrés, le risque est d’assister à des scandales de corruption, comme en 1989 chez nous (lors de l’affaire Agusta, NDLR). A l’époque, les partis recevaient des mallettes de billets de la part d’entreprises pour leur financement. Après, si le financement privé est bien encadré, pourquoi pas. Au-delà de ça, je pense également qu’il faut faire quelque chose pour que les petits partis ne soient pas écrasés par les plus gros. Actuellement, si vous n’avez pas d’élu à la Chambre, vous n’avez pas d’argent, et ne pouvez donc pas investir dans la campagne électorale pour les prochaines élections. C’est une situation qu’il faut chercher à corriger.  »

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