Paul Magnette © belga

La campagne électorale 2024 sera-t-elle la pire dans l’histoire de la Belgique? « On peut s’attendre à un éclatement des voix inédit »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Les prochaines élections ne sont prévues qu’en mai 2024, et pourtant, un air de campagne semble flâner depuis plusieurs semaines dans la sphère politique belge. Entre déclarations fracassantes, stratégie de communication et premières tendances électorales, décryptage du champ de bataille avec Benjamin Biard, politologue et chercheur au Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP).

Benjamin Biard, la (pré) campagne électorale en vue des élections 2024 semble particulièrement précoce. Comment l’expliquer?

On peut d’abord se demander dans quelle mesure on a vraiment quitté le climat de campagne électorale de 2019. Depuis la mise sur pied du gouvernement De Croo – lui-même précédé par un gouvernement minoritaire, avec une opposition virulente-, toute une série de tensions ont émaillé et émaillent encore la vie politique fédérale. A peine mise sur pied, la Vivaldi devait faire face à des sujets chauds, comme la question de la pension minimale.

Ce climat de campagne est donc amorcé depuis 2019 et n’a jamais vraiment disparu. Par exemple, on peut noter l’attitude qualifiée de « particip-opposition » de certains partis ou présidents de partis, qui ont désavoué certaines annonces d’Alexander De Croo. Un phénomène qui est aussi lié à la composition très hétérogène et inédite du gouvernement avec sept partis.

Les dépenses de partis politiques pour leur communication ne cessent d’augmenter. Même hors campagne. Que peut-on en déduire?

Cet élément peut également expliquer la sensation d’un climat de campagne permanent. Récemment, des données ont fait surface sur les investissements importants de la N-VA, du Vlaams Belang et du PTB, qui font partie des plus grands dépensiers sur les réseaux sociaux au niveau belge, mais aussi en Europe. En réalité, on voit bien qu’il y a là une stratégie de campagne électorale pérennisée. Les stratégies de communication sont de mieux en mieux ficelées.

Le Vlaams Belang avait dépensé de manière massive lors de la campagne de 2019. Les facteurs qui expliquent de telles dépenses résident aussi dans le fait que ces partis bénéficient davantage du financement public, compte-tenu de leurs résultats. Mais indépendamment de ce critère-là, on observe que d’autres formations politiques, comme le PTB, ont également accru leurs dépenses sur les réseaux sociaux.

Cette communication accrue sur les réseaux sociaux représente-t-elle un danger pour la démocratie?

C’est clairement un outil de campagne. Mais qui, en soi, est déjà utilisé depuis plus de 15 ans aux Etats-Unis, notamment pour la première campagne de Barack Obama. Donc, c’est un outil qui ne mobilise pas seulement les partis extrêmes. Il permet potentiellement de rapprocher la politique des citoyens, et aussi d’impliquer les plus jeunes. Mais cela comporte évidemment son lot de questions. Le cadrage de ces dépenses sur les réseaux sociaux est une problématique cruciale. Peut-être faut-il davantage de transparence en la matière.

Les sorties politiques (Magnette, Rousseau, De Wever, Mahdi, Bouchez) se multiplient au plus la campagne approche. Le but, c’est d’ancrer l’attention sur soi?

Toutes les déclarations ne sont pas à mettre dans le même panier. On sent des tensions persistantes depuis le gouvernement De Croo. Pas seulement entre majorité et opposition, mais au sein-même de la majorité.

Conner Rousseau a réaffirmé ses propos sur Molenbeek. Le président de Vooruit n’exclut pas -et cela s’est d’ailleurs concrétisé au niveau local- l’idée d’une alliance avec la N-VA. Cela pourrait être une manière d’élargir son assiette électorale et de poser les bases d’une potentielle future coalition associant les socialistes flamands et la N-VA. On voit donc un enjeu particulier derrière ces déclarations.

Pour le reste, il y a parfois des propos qui n’ont pas été tenus nécessairement pour choquer ou pour faire la une des médias.

En ce qui concerne Bart De Wever, on sent sa volonté de remettre sur la table la question communautaire. Tout en essayant de gommer la gestion sécuritaire de sa ville, Anvers. Sachant qu’il s’agit d’un enjeu majeur puisque la N-VA se profile sur les questions sécuritaires et qu’elle est concurrencée sur ce domaine par le Vlaams Belang, qui entend être plus radical.

Il y a donc différents enjeux qui peuvent intervenir selon les déclarations, les moments et les personnalités. Mais, clairement, l’idée qui préside tant pour les partis d’oppositions que pour ceux de la majorité -sept partis-, c’est de pouvoir vivre, montrer qu’on est présent au sein du gouvernement à travers des interviews qui peuvent faire parler d’elles. On pense notamment à Georges-Louis Bouchez.

Cela permet aussi de rappeler que certains défendent ardemment leur programme et veulent aller le plus loin possible en la matière.

Vous pensez à un cas en particulier?

Concernant le nucléaire par exemple, le MR était complètement isolé dans sa volonté de prolongation, et s’opposait de facto à l’Open VLD. Egbert Lachaert, président du parti libéral flamand, parlait d’acharnement thérapeutique, en décembre 2021. En fin de compte, Georges-Louis Bouchez a réussi à tirer son épingle du jeu et a présenté les décisions de prolongation de deux centrales comme une victoire des libéraux francophones.

Le président du PS, Paul Magnette, aime également faire parler de lui, en ce moment. Ses ambitions de pouvoir au 16 rue de la loi ou sa blague sur les Wallons et Flamands ont fait jaser. Est-ce calculé ?

Paul Magnette est une personnalité qui a des prétentions affichées de pouvoir exercer un rôle de chef de gouvernement. Et qui, par ailleurs, est à la tête d’un PS en déclin par rapport aux courbes historiques, mais qui se porte toutefois bien par rapport à d’autres partis socialistes traditionnels européens, qui ont été laminés ces dernières années.

Cette campagne s’annonce-t-elle comme une des plus tendues de l’histoire politique du pays?

On peut se souvenir de campagnes électorales qui étaient déjà très animées, y compris au sein-même de partis politiques. Tout comme ce qui suit la campagne électorale. Pensons à l’orange-bleue en 2007 ou la longue phase mouvementée en 2010-2011. Globalement, des actualités peuvent toujours venir bousculer une campagne. On peut donc s’attendre à un tas de choses d’ici les élections de fin mai 2024.

Ce climat de campagne est déjà présent et ne peut que s’intensifier au fur et à mesure qu’on approche des élections. Chacun va essayer de défendre son bifteck, ses acquis. En tentant de ne pas mettre en évidence les concessions qu’ils ont dû faire. On pense à la sortie nucléaire pour les écologistes, qui était une revendication historique les concernant. C’est avec eux que la sortie du nucléaire avait été actée au début des années 2000, à l’issue de leur première participation gouvernementale. Mais aujourd’hui, on voit que c’est aussi avec eux que deux réacteurs vont être prolongés. Ça peut leur coûter cher d’un point de vue électoral.

Vous voulez dire que Ecolo pourrait être le principal perdant de ces élections?

L’affaire de sortie du nucléaire peut nuire à Ecolo, mais pas que. On peut penser aux dépenses engagées dans le secteur de la Défense pour rencontrer le cadre fixé par l’Otan, sachant que les écologistes sont plutôt antimilitaristes historiquement parlant. On peut également penser à la réforme de la fiscalité automobile en juin dernier au niveau wallon. Qui n’a pas abouti et a connu un lever de boucliers, y compris au sein du gouvernement. C’est un dossier qui pourrait coûter cher aux écologistes. Tout comme la gestion de la crise sanitaire par Alain Maron à Bruxelles, par exemple, qui a été particulièrement critiquée. Tout cela peut crisper une part de l’électorat écologiste. C’est en tout cas ce que nous disent les sondages successifs.

Les Engagés, en pleine reconstruction, joueront gros à tous les niveaux de pouvoir…

Les cas des Engagés est assez intéressant, car ils ont profité de cette mandature pour se renouveler. Ils ont opté volontairement pour une cure d’opposition lors de cette législature aux différents niveaux de pouvoir et entamer ce processus de « régénérescence ». Mais on voit qu’à Bruxelles, il y a toute une série de défections qui caractérisent le parti. Soit via des exclusions, soit via des départs volontaires. La question est de savoir dans quelle mesure cette formation, au-delà du fédéral, parviendra à se maintenir au niveau de 2019, qui était déjà historiquement bas. Ou à se maintenir tout court sur le plan électoral.

Par ailleurs, les enjeux dépassent le fédéral. Le fait que les différentes élections (fédérales, régionales, communales.) correspondent au même timing peut entremêler les enjeux entre les différents niveaux de pouvoir.

Justement, quels seront les enjeux prioritaires, selon vous?

C’est dur à dire car chacun essaie de mettre en avant l’enjeu qu’il parvient à défendre au mieux. On peut noter quelques gros dossiers durant cette législature : la réforme fiscale, la réforme des pensions, et les questions énergétique et nucléaire. Ce sont des enjeux très importants pour la population. La question constitutionnelle et/ou communautaire pourrait également revenir au-devant de l’agenda dans le cadre de cette campagne.

Vraisemblablement, même si on l’évoque moins, on peut s’attendre à des négociations pour une septième réforme de l’Etat. Dans quel sens irait-elle? C’est encore dur à déterminer. On voit mal certains partis accepter certains transferts de compétences. A l’inverse, toute une série de partis, le PTB en tête, demandent à refédéraliser certaines compétences, comme la Santé, par exemple. Ce qui serait inédit par rapport aux 6 précédentes réformes de l’Etat, qui ont plutôt approfondi le fédéralisme en Belgique.

Doit-on s’attendre à un blocage encore plus ‘historique’ que les précédents?

On pourrait face à des blocages. Est-ce que ça viendra uniquement de la N-VA ? Ce n’est pas certain, cela peut venir aussi d’autres formations politiques. La tendance de 2019 était inédite dans le sens où les six partis traditionnels réunis n’ont pas réussi à obtenir 50% des voix. Ce qui veut dire qu’on a beaucoup plus de partis moins traditionnels (DéFI, Ecolo, N-VA), mais aussi des partis plus radicaux (PTB, Vlaams Belang) avec qui il n’est pas évident de pouvoir négocier.

On peut donc s’attendre à un éclatement des voix inédit et encore plus important entre les autres formations politiques. Les négociations devront s’engager entre un nombre plus important de partis. On risque donc d’avoir une séquence difficile et intense en termes de négociations.

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