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Ne pas gagner plus de 640.000 euros par an, la nouvelle proposition du PS: « Une mesure très populiste »

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Le PS veut plafonner la rémunération dans les entreprises à quinze fois le salaire médian national. Une manière de résorber les tensions salariales «exorbitantes» entre les travailleurs du bas de l’échelle et les top managers. Sans surprise, la proposition fait bondir la FEB.

C’est une proposition qui, jusqu’ici, était plutôt passée inaperçue. Un petit paragraphe, noyé dans les 1.200 pages du programme électoral du PS, qui mériterait pourtant de longues heures de débat: faut-il instaurer un «salaire maximum» dans les entreprises? Pour les socialistes, la réponse ne peut se traduire que par l’affirmative. Certes, des responsabilités importantes au sein d’une organisation justifient un salaire plus élevé, mais pas les niveaux de rémunération «excessifs» importés du monde anglo-saxon, estime le parti. «Certains CEO gagnent parfois 200, voire 300 fois plus que leurs employés, peste Ahmed Laaouej, chef de groupe PS à la Chambre. Cela dépasse l’entendement.»

Face à ce constat, le PS appelle à limiter le salaire des dirigeants d’entreprise (privée et publique) à quinze fois le salaire médian national. Concrètement, la rémunération totale (tous avantages compris) serait donc plafonnée à 53.250 euros brut par mois (quinze fois 3.550 euros, le salaire médian tel que calculé en septembre 2022), soit environ 640.000 euros brut par an. «Il s’agit d’un plafond absolu, pas d’un objectif à atteindre là où les rémunérations sont aujourd’hui inférieures», précise encore le PS.

A titre de comparaison, en 2022, le salaire médian annuel des CEO du Bel20 s’élevait à 2,7 millions d’euros, contre 868.000 euros pour le Bel Mid et 579.000 pour le Bel Small. «Notre objectif n’est évidemment pas de sanctionner les dirigeants des PME, mais de réduire les inégalités salariales au sein des grosses entreprises, qui ont distribué des bonus exorbitants et des avantages extra salariaux à leur staff de direction ces dernières années tandis que leurs travailleurs ramaient, précise Ahmed Laaouej. Il est grand temps de revenir à une plus juste distribution des richesses produites. Nous avions d’ailleurs déjà déposé des propositions de loi en ce sens en 2019.»

Une «mesure très populiste»

Pour la Fédération des Entreprises de Belgique (FEB), la proposition sortie du chapeau socialiste est une «mesure très populiste» à la veille des élections. «Si Paul Magnette veut voir nos top managers fuir vers l’étranger, c’est la meilleure manière», ironise Pieter Timmermans, administrateur délégué de la FEB, qui rappelle que la Belgique est l’un des pays européens les plus égalitaires en termes de revenus (Ndlr: avec un coefficient Gini de 0,242 en 2023, la Belgique se classe en effet en quatrième position, derrière la Slovaquie, la Slovénie et l’Islande). «Les conseils d’administration des entreprises doivent avoir la liberté de déterminer leur politique salariale, insiste le patron de la FEB. Les CA le font d’ailleurs toujours en connaissance de cause, en fixant des salaires acceptables, proportionnels aux objectifs et aux capacités des CEO.» Et de trancher: «Que le PS régule déjà les salaires de son propre parti et de l’administration avant de pointer du doigt le secteur privé, qui, lui, crée de la valeur ajoutée pour l’économie belge.»

«Si Paul Magnette veut voir nos top managers fuir vers l’étranger, c’est la meilleure manière.»

Pieter Timmermans

Administrateur délégué de la Fédération des Entreprises de Belgique (FEB)

Pour François Maniquet, professeur d’économie publique et d’économie du bien-être à l’UCLouvain, la proposition du PS est plus «symbolique» que «constructive». Outre les risques (marginaux) de fuites de talents belges, la mesure serait un «manque à gagner» pour les finances publiques, note l’expert. «Imaginons un actionnaire prêt à rémunérer annuellement son CEO 840.000 euros, mais contraint de le plafonner à 640.000 euros. Au nom de la justice sociale, on offrirait un cadeau de 200.000 euros directement à une entreprise au détriment de son manager, et surtout, l’Etat se priverait des recettes fiscales que cette partie de rémunération pourrait engendrer, soit plus de 100.000 euros.»

Inégalités salariales ou fiscales?

Pour le professeur de l’UCLouvain, rémunérer les dirigeants selon leur productivité (bien que difficile à mesurer) et la valeur ajoutée qu’ils apportent à l’entreprise ne «fait de mal à personne». «Si un top manager vaut 2,5 millions d’euros, c’est dans l’intérêt collectif de le rémunérer 2,5 millions. Tant que ce système fonctionne, qu’il permet d’avoir la bonne personne à la bonne place et qu’il contribue à créer de l’emploi, il faut le laisser fonctionner.» Et l’expert d’insister: «Il ne faut surtout pas croire que plafonner la rémunération des top managers permettra d’augmenter le salaire des autres employés. Une firme ne peut pas répartir les rémunérations comme elle l’entend: les salaires sont déterminés par d’autres mécanismes, comme les conventions collectives de travail, elles-mêmes dépendantes de la santé financière du secteur et de la firme concernée.» Une nuance bien intégrée par le PS, qui a également fait de l’augmentation du salaire minimum un cheval de bataille de sa campagne électorale.

«Certains CEO gagnent parfois 200, voire 300 fois plus que leurs employés. Cela dépasse l’entendement.»

Ahmed Laaouej

Chef de groupe PS à la Chambre.

«Limiter les inégalités sociales doit plutôt passer par une meilleure justice fiscale», plaide François Maniquet, qui défend notamment l’augmentation de la taxation sur les revenus du capital, une taxation coordonnée au niveau européen et la suppression de certaines niches fiscales.

Des tensions salariales «insupportables»

La proposition du PS aura-t-elle des chances d’aboutir sous la prochaine législature? Tout dépendra de la coalition mise sur pied à l’issue du 9 juin. Les socialistes pourraient compter sur le soutien de la gauche. Bien que la mesure ne figure pas dans leur programme électoral, tant Ecolo que le PTB déplorent eux aussi les tensions salariales – «démesurées» pour les premiers, «insupportables» pour les seconds – au sein des grandes entreprises.

Pour Ecolo, toutefois, une régulation transversale à tous les secteurs d’activité n’est pas la «meilleure manière» de s’attaquer au problème. «Nous plaidons plutôt pour une régulation via la gouvernance d’entreprise – en fixant des balises salariales dans les statuts, par exemple – ou via la concertation sociale, secteur par secteur», précise Gilles Van den Burre, chef de groupe Ecolo à la Chambre.

De son côté, le PTB fait d’une révision de la loi 1996 sur les salaires sa priorité. «Il faut libérer les salaires du carcan étouffant de cette loi que le ministre socialiste de l’Emploi, Pierres-Yves Dermagne (PS), a appliquée avec zèle (Ndlr: une norme maximum de 0,4% pour 2021-2022 et une norme maximum de 0% pour 2023-2024) lors de la législature Vivaldi», fustige la députée Sofie Merckx.

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