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Succession : comment transmettre ses «bijoux de famille» (oeuvres, vins, montres…)

Philippe Berkenbaum Journaliste
Caroline Dunski Journaliste

Œuvres d’art, montres et bijoux, collections, bois et forêts, caves à vin… En cas de décès, tous ces biens de valeur appartenant au défunt, parfois depuis plusieurs générations, doivent être déclarés pour être frappés de droits de succession. Comment réduire la facture en restant dans le droit chemin?

Tout héritier doit s’acquitter de droits de succession sur le patrimoine dont il hérite. Ces droits s’acquittent sur la valeur nette des biens immobiliers (maison, terrain…) et mobiliers (espèces, meubles, bijoux…) que le défunt laisse après déduction des dettes. «Si le traitement fiscal varie d’une Région à l’autre, les règles civiles sont les mêmes partout dans le pays, rappelle Sophie Maquet, notaire à Ixelles. C’est la Flandre, surtout, qui se distingue des deux autres Régions. Elle taxe d’un côté les biens meubles et de l’autre les immeubles, tandis que les Wallons et les Bruxellois taxent l’ensemble.»

Les droits de succession sont une taxe progressive. Les tarifs applicables aux successions entre conjoints, cohabitants et héritiers en ligne directe (enfant, petit- enfant, parent, grand- parent) commencent à 3% et plafonnent à 30% pour tout ce qui dépasse 500 000 euros. Il existe autant de bases taxables que d’héritiers. Ainsi, si la succession est dévolue à quatre héritiers, chacun d’eux payera 30% sur ce qui excède 500 000 euros. Tous les taux et les tranches applicables dans chaque Région (celle du domicile du défunt prévaut) peuvent être consultés sur le site de la Fédération des notaires.

«Depuis quelques années, l’administration fiscale encourage les Belges à donner une partie de leur patrimoine de leur vivant en appliquant des droits de donation réduits, qu’il s’agisse de biens meubles ou immeubles, souligne Me Maquet. L’objectif est de faire des appels de cash et de permettre des perceptions de taxes immédiates, sans devoir attendre le décès des gens. Toutefois, les donations sont vraiment un “problème de riches”. Il nous arrive de les déconseiller, parce que les gens y perdraient toutes leurs liquidités.»

La part réservée aux héritiers constitue 50% de la masse successorale dans laquelle sont rassemblés fictivement tous les biens meubles et immeubles que le défunt possédait, mais aussi tout ce qu’il a donné de son vivant. «Sur la base de ce gâteau reconstitué, on vérifiera s’il a dépassé ce que nous appelons dans notre jargon “la quotité disponible”, c’est-à-dire la part qui peut être léguée à qui il souhaitait.» Depuis la loi de 2018, la valeur de ce qui a été donné est estimée au jour du décès, pour éviter les situations injustes. Les sommes d’argent reçues précédemment seront indexées tandis que les biens immobiliers seront réévalués.

Emballer et donner

Dans la catégorie des biens meubles figurent, entre autres, les bijoux, les œuvres d’art, les actions, les comptes en banque… La donation mobilière enregistrée auprès d’un notaire bénéficie d’un taux réduit qui varie de 3% à 7,7% selon le degré de parenté et selon la Région (1). Du vivant de leur propriétaire, les biens meubles se donnent facilement. «En général, tout ce qui s’emporte, comme un tableau, peut être emballé et donné au gamin ou à la gamine pour qu’il l’emmène, sans acte notarié, confirme la notaire. Les portefeuilles d’investissement et les actions, eux, ne peuvent être donnés physiquement. Un acte notarié est requis, et ils sont taxables à 3%. Et pour évaluer la valeur de biens aussi spécifiques que des œuvres d’art, des caves à vin, des montres de collection ou des antiquités, nous faisons appel à des experts car il n’existe pas de grilles.»

Pour estimer la valeur de biens aussi spécifiques que les bijoux ou les œuvres d'art, tableaux et antiquités, un notaire fera appel à un expert car les concernant, il n'existe aucune grille d'évaluation.
Pour estimer la valeur de biens aussi spécifiques que les bijoux ou les œuvres d’art, tableaux et antiquités, un notaire fera appel à un expert car les concernant, il n’existe aucune grille d’évaluation. © GETTY IMAGES

Donner certains biens à ses enfants, voire à des personnes non apparentées, sans passer par le notaire n’a donc rien d’illégal. Dans bien des cas, toutefois, cela peut engendrer un risque d’inéquité entre les héritiers. Comme dans cette famille dont nous tairons le nom: deux sœurs ne s’entendaient guère et l’une d’elles était beaucoup plus proche que l’autre de leur maman. A la mort du père, les parents étant mariés sous le régime de la communauté, la mère a conservé l’essentiel des objets de valeur, certains appartenant depuis plusieurs générations au patrimoine familial. «Il y avait des bijoux précieux, des toiles de maître, des meubles d’époque et même une collection de timbres anciens», évoque aujourd’hui Suzanne (prénom d’emprunt). Après le décès de sa mère, Suzanne s’est aperçue que celle-ci avait tout donné à sa sœur, qui s’était occupée d’elle pendant ses dernières années. «J’aurais dû faire appel à la justice pour faire valoir mes droits. Je n’en ai pas eu la force…» Sa sœur a finalement daigné lui rendre quelques objets, bien en-deça de la valeur de l’ensemble du patrimoine, estimé par Suzanne à plusieurs centaines de milliers d’euros, «voire beaucoup plus». Dans le cas présent, c’est au décès du père que l’inventaire du patrimoine familial aurait dû faire l’objet, à tout le moins, d’une expertise avant toute donation. Rien de tel n’a eu lieu…

(1) En Wallonie: 3,3% en ligne directe, 5,5% entre frères et sœurs et 7,7% pour tous les autres. A Bruxelles et en Flandre: 3% en ligne directe et 7% pour tous les autres.

Le coffre au trésor

«Quand le propriétaire d’un coffre bancaire décède, le banquier est obligé d’y mettre des scellés, mentionne Sophie Maquet, notaire à Ixelles. Parfois, on y trouve des choses assez comiques. J’ai notamment ouvert un coffre rempli de lingots d’or. Même le banquier n’a pu laisser échapper un, je cite, “mais quelle conne”, car la propriétaire n’avait pas donné les lingots. Auparavant, il n’était pas rare d’ouvrir un coffre au nom de papa et un autre au nom de maman. Selon leur état de santé, on transvasait les biens de l’un à l’autre. Ici, la propriétaire avait tout légué à sa dame de compagnie. Après le passage de l’Etat belge, je crois qu’il lui restait deux lingots.»

Récemment, Sophie Maquet a encore vu des lingots dans le cadre d’une succession. Néanmoins, elle constate que les coffres bancaires sont de moins en moins utilisés. Elle y voit la preuve que les gens donnent beaucoup plus de leur vivant. Sans acte de donation…

Si les coffres bancaires se raréfient, certaines personnes ont encore trop souvent tendance à y laisser des lingots ou d’autres objets de valeur, qu’il vaudrait mieux donner de son vivant.
Si les coffres bancaires se raréfient, certaines personnes ont encore trop souvent tendance à y laisser des lingots ou d’autres objets de valeur, qu’il vaudrait mieux donner de son vivant. © GETTY IMAGES

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