Elio Di Rupo

Elio Di Rupo se livre comme jamais : 10 confessions étonnantes

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Elio Di Rupo publie un ouvrage dans lequel il évoque quelques moments marquants de son parcours. Il se livre notamment sur les accusations de pédophilie qui l’ont visé. Voici une sélection de dix confessions de l’ex-Premier ministre et actuel ministre-président wallon.

C’est de saison. En publiant un livre autobiographique, Elio Di Rupo fait partie de ces quelques personnalités dont le visage s’affiche sur les étals des librairies. A titre personnel, il aurait opté pour une sortie à l’automne 2023, confie le ministre-président wallon. Mais les contingences du monde de l’édition en ont décidé autrement.

Le labyrinthe du pouvoir, publié aux éditions Kennes, n’est pas à proprement parler une autobiographie. « Il s’agit plutôt de séquences de mon parcours, qui sont gravées dans ma mémoire et que j’ai restituées telles quelles », explique encore Elio Di Rupo. Il n’exclut pas pour autant une autobiographie plus fouillée, plus épaisse, plus exhaustive. « Un jour, peut-être, si j’en ai le temps et l’envie. »

Le Montois a beau être candidat aux prochaines élections européennes, il ne s’agit pas d’un livre de campagne, assure-t-il. Un témoignage, plutôt, « à destination des jeunes notamment. Je pense aussi qu’il m’appartient d’évoquer ces moments, ne serait-ce que pour témoigner du fait qu’il est possible de s’émanciper, de sortir du désespoir ou de la crainte de l’absence d’avenir qu’ils peuvent éprouver ».

Voici, de manière non exhaustive et tout à fait arbitraire, une sélection de dix séquences de la vie d’Elio Di Rupo évoquées dans Le labyrinthe du pouvoir.

1. Orphelin de père

    Elio Di Rupo est né en Belgique en juillet 1951, mais c’est en Italie, d’une certaine façon, que commence son histoire belge. Son père est venu des Abruzzes en 1947, à la faveur du traité belgo-italien « Des bras contre du charbon », pour découvrir la rudesse des conditions de travail réservées aux mineurs.

    « Il obtint d’emménager dans une baraque en bois goudronnée, dont le sol en particules de charbon était damé », du côté de Morlanwelz. C’est là qu’il est né, dans un de ces baraquements qui « étaient en réalité d’anciennes geôles pour prisonniers allemands ». La famille emménagea dans une maison un peu plus confortable en 1952, mais c’est le 23 juillet de cette année-là, jour du mariage de son frère Guido, que sa vie bascula.

    Le père d’Elio Di Rupo, s’allant faire quelques achats pour la noce, quitta le foyer pour quelques minutes. « Il me vit braillant du haut de ma première année, me souleva promptement et me confia aux bras protecteurs de la mère : “Occupe-toi d’Elio”, lui glissa-t-il avant de s’élancer vers sa destination. Ni moi ni les miens n’entendrions plus jamais le son de sa voix ; ce seraient là ses dernières paroles », lui qui fut victime d’un accident de la route quelques instants plus tard. La dernière phrase du père s’est muée en engagement, pour la mère d’Elio Di Rupo, dont il souligne volontiers le rôle protecteur et déterminant.

    2. Le professeur de chimie

    C’est l’une des rencontres déterminantes de son existence. Elève à l’institut technique de l’Etat à Morlanwelz, Elio Di Rupo s’est fait convoquer un jour par son professeur de chimie, Franz Aubry, l’enjoignant à venir le voir à la fin du cours. « Ces cinquante minutes d’attente furent pour moi cinquante minutes de torture mentale. Qu’avais-je donc fait pour que le maître veuille me parler en aparté ? »

    Le professeur lui lança, au bout l’attente, « Di Rupo, tu vaux quelque chose. Travaille, et tu réussiras ! » Des mots déterminants, selon le socialiste, qui participeront grandement à sa pugnacité et son désir d’émancipation.

    Elio Di Rupo a créé en 2005 la Fondation Franz Aubry pour soutenir financièrement les étudiants orphelins et démunis. « Les bénéfices éventuels du livre seront reversés à la fondation », glisse d’ailleurs le Montois

    3. Exfiltré de Mons

    Les premiers pas de député européen d’Elio Di Rupo se sont déroulés dès 1989, après les élections. Il doit cette place au président du PS de l’époque, Guy Spitaels, qui l’a en quelque sorte exfiltré de Mons et de la fédération locale du parti.

    Des bisbrouilles y sont apparues entre Elio Di Rupo et quelques barons locaux suite aux élections communales de 1988, autour des négociations sur le fauteuil de bourgmestre, alors qu’il avait obtenu le meilleur score personnel de la liste. « Alors que j’étais embourbé dans les tractations postélectorales montoises, accablé de reproches par les caciques locaux, je reçus un coup de fil du président Spitaels », raconte-t-il. Pour fixer un rendez-vous, en présence des caciques en question. « “Je vais vous enlever Elio des pattes. Je vais l’envoyer à l’Europe. Y a-t-il une objection ?” Personne ne broncha. »

    Di Rupo allait devenir député européen quelques mois plus tard et ce n’est qu’en 2000 qu’il ceindra l’écharpe mayorale à Mons.

    4. Dehousse exigeant

    Le livre d’Elio Di Rupo comporte quelques anecdotes qui prêtent à sourire. C’est ainsi qu’il raconte comment, en 1980, il poireauta jusqu’à 2h du matin pour un rendez-vous censé se dérouler à 17h, dans le bureau du ministre Jean-Maurice Dehousse. Cela n’a pas empêché de se faire engager au sein du cabinet, ce qui a contrecarré tous ses plans de départ vers les Etats-Unis.

    « Mon premier projet de note au gouvernement me fut renvoyé à six reprises par le ministre pour cause d’imperfections. Dans l’avant-dernière version, l’une des phrases de ma note commençait par ”Il est clair que…” le ministre barra ces mots et inscrivit en marge : ”Rien n’est plus obscur !”. Quand mon devoir fut enfin au goût du ministre, ponctuation comprise, le sujet n’était hélas plus d’actualité gouvernementale, tant et si bien que ma note finit dans un tiroir ! » On ne rigolait pas, chez Dehousse.

    5. Où est le Belvédère?

    Autre anecdote amusante, le jour de 1994 où Philippe Busquin lui annonça, dans la foulée de l’affaire Agusta-Dassault, qu’il allait devenir vice-Premier ministre. « J’étais sous le choc », raconte-t-il. Busquin lui passe le téléphone, Jean-Luc Dehaene, Premier ministre, était au bout du fil. ”Elio, à midi au Belvédère”, et il raccrocha ! Le Belvédère était la résidence privée du roi Albert II et de la reine Paola. Je ne m’y étais jamais rendu et ni mon chauffeur ni moi n’avions idée de sa localisation. Je pris congé de Philippe Busquin et dans une salle voisine de son bureau, nous dépliâmes des cartes routières à la recherche du Belvédère ». Di Rupo et son chauffeur ont fini par trouver l’adresse, par déduction, sans quoi sa destinée aurait peut-être été différente.

    6. Les accusations de pédophilie

      Ce peut être une interrogation, avant la lecture de son livre : Elio Di Rupo aborde-t-il ouvertement l’affaire Trusgnach, cette machination survenue dans le contexte de l’affaire Dutroux, qui lui a valu d’être accusé de pédophilie ? En réalité, il y consacre même un chapitre conséquent du livre, détaillant le déroulé des évènements tels qu’il les a vécus et ressentis, des articles de presse aux invitation à peine voilées à la démission, en passant par quelques réflexions sur la présomption d’innocence. « Je me félicite aujourd’hui d’avoir tenu bon. Mais je crains que si une telle affaire devait arriver de nos jours, la personne serait sacrifiée dans la minute sur les réseaux sociaux, elle n’aurait pas d’autre choix que la démission. J’avoue éprouver quelques inquiétudes par rapport au principe de présomption d’innocence aujourd’hui », explique-t-il.

      Dans son livre, il formule une autre confession très personnelle. « Si j’avais démissionné du gouvernement, jamais il n’y aurait eu les contre-enquêtes exposées ici ni le dénouement heureux. Aux yeux du public ou d’une fraction de celui-ci, je serais resté ce ministre qui est tombé dans une affaire de pédophilie. Seule la mort aurait pu me libérer de ce cauchemar, une mort qu’il m’aurait fallu hâter ».

      7. Le drame de Sierre

        Premier ministre, Elio Di Rupo a eu à traverser quelques épisodes dramatiques. Il évoque notamment le drame de Sierre, accident de car survenu en mars 2012, qui a coûté la vie à 28 personnes, dont 22 enfants. 

        Il raconte sa présence auprès des parents et raconte à quel point ces moments l’ont durablement marqué. « J’ai déjà été témoin de deuils très cruels et de chagrins très profonds, mais ceux-ci surpassent en horreur et en intensité tout ce que ma mémoire a pu consigner jusqu’à cet instant précis. »

        8. L’Ukraine et le « le modèle à la Belge »

        Parmi les passages intéressants figurent aussi ses considérations plutôt critiques à l’égard de l’administration européenne. Il évoque notamment sa prise de conscience, alerté en 2012 par le président allemand, de la gravité de la situation ukrainienne et des relations avec Poutine. Son point de vue ne colle pas tout à fait au discours entendu parmi les leaders européens. Ce qui ne justifie en rien l’agression ni ne remet en question le soutien à l’Ukraine, affirme-t-il.

        Mais il pointe volontiers une part de responsabilité des Européens, très occupés à « tirer l’Ukraine vers l’Occident », avec l’approbation américaine. « Nous et nos prédécesseurs n’avons pas pris la mesure des signes d’autorité montrés par notre voisin russe. » Quant à l’Ukraine, un peu obnubilés par les aspirations européennes d’une part de la population, « nous n’avons pas voulu voir qu’une partie du pays est russophone, qu’on le veuille ou non ». Et le socialiste de rêver à ce qui aurait pu être une source d’inspiration. « Peut-être que l’intelligence aurait commandé d’avoir un modèle à la belge en Ukraine. Peut-être pas tel quel, mais il y avait quelque chose à creuser », glisse-t-il au Vif.

        9. Le roi Albert II

        On ne l’attendait pas forcément sur ce terrain-là, mais Elio Di Rupo aborde à plusieurs reprises ses relations avec le roi, en particulier lorsqu’il était Premier ministre, logiquement. Il témoigne d’une certaine complicité entre les deux hommes, voire d’une forme d’admiration pour la façon qu’a eu le roi de jouer son rôle durant la « crise des 541 jours ».

        Elio Di Rupo était aussi le Premier ministre en exercice au moment de l’abdication, que raconte Elio Di Rupo « de l’intérieur ». Il revient notamment sur le moment où les vice-Premiers ministres ont été mis dans la confidence. « Le Roi fait son entrée et révèle, explications à l’appui, son intention d’abdiquer. Tous sont accablés. Je vois couler des larmes sur les joues de Laurette Onkelinx et de Joëlle Milquet tandis que moi-même, je peine à dissimuler mon émotion. »

        10. Ce dont il parle peu

        Le livre étant constitué de « séquences » et n’ayant d’ambitions biographiques, il est loin d’évoquer en détail l’ensemble du parcours d’Elio Di Rupo. Ainsi, en termes d’affaires politiques, le scandale de la Carolorégienne est abordé, mais pas celui de Publifin par exemple.

        Il évoque assez peu le mayorat de Mons, par ailleurs. « Vous pensez que ça intéresserait les gens ? », lâche-t-il lorsque la question lui est posée. « Peut-être que ça viendra un jour. » Son mandat de ministre-président de la Région wallonne est quant à lui à peine effleuré. « C’est volontaire, explique-t-il, puisque cette fonction est toujours la mienne pour quelques mois. Les personnes jugeront du bilan, mais en parler dans le livre dès à présent me semblait inapproprié ».

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