Coups de com, fausses colères et portes qui claquent émaillent les conclaves. © belgaimage

Coups de bluff, imprécisions: les budgets de la Vivaldi tiennent-ils leurs promesses? (analyse)

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Les budgets précédents de la Vivaldi ont été marqués par de fortes tensions et des annonces pas toujours suivies d’effets.

La confection d’un budget est pour un gouvernement le grand moment annuel, la principale manière de présenter ses politiques publiques, et le meilleur moyen de communiquer ses stratégies politiciennes. Chaque année en Belgique, les jours qui précèdent l’énoncé, constitutionnellement sacré, du deuxième mardi d’octobre devant la Chambre des représentants par le Premier ministre sont constellés de ballons d’essai, de portes qui claquent, de fausses colères, de vraies insultes et de coups de communication plus ou moins grossiers.

C’est le temps des conclaves, qui se terminent parfois tard, souvent très tôt, et qui sont quelquefois conclus dans la fumée blanche d’une conférence de presse – l’opposition alors fulmine parce que le gouvernement donne une préséance aux médias sur les représentants de la Nation – ou sur une descente rapide vers la Chambre – l’opposition alors enrage parce qu’elle ne dispose pas de données précises.

Les sept partis de la coalition n’ont jamais manqué de compliquer l’équation budgétaire.

Le gouvernement De Croo a présenté quatre budgets depuis 2020, à chaque fois dans des circonstances exceptionnelles, et les sept très inquiets partis de sa coalition n’ont jamais manqué de compliquer l’équation budgétaire.

Parfois, il y eut des coups de bluff. Souvent, il y eut des imprécisions. Toujours, il y eut des promesses. Parfois, elles furent abandonnées à peine prononcées. Mais parce que souvent, tout ça fut oublié, voici la revue des budgets des années Vivaldi.

2020. Noyé dans la vague

En ce mois d’octobre 2020, la Belgique n’a plus de budget depuis longtemps mais elle a un gouvernement depuis peu. Et ce n’est pas le sujet. Alexander De Croo a prêté serment le 1er octobre, il a prononcé une espèce de déclaration de politique générale, mais les hôpitaux sont pleins : la deuxième vague du coronavirus noie le secteur des soins de santé belges et tandis que les cabinets fédéraux se composent petit à petit, deux comités de concertation successifs entérinent la mise sous cloche de la société. C’est dans ce contexte inédit que l’Etat belge envoie, pour la première fois depuis fin 2018, une ébauche de budget à la Commission européenne. Celle de fin 2018 présentait déjà la fermeté d’un filigrane, « un ersatz de budget, en fait déjà des douzièmes provisoires », disait-on alors que Charles Michel remettait sa démission au roi sans que la loi budgétaire, traditionnellement votée fin décembre, n’ait pu être passée.

N’empêche, ce premier budget du gouvernement De Croo n’est qu’une vague feuille de route. La Commission européenne a transigé, et n’a demandé de la Belgique, à la date normalement contraignante du 15 octobre, que quelques tableaux. L’Europe, six mois plus tôt, avait déjà autorisé des latitudes inconcevables jusque-là, en suspendant son pacte de stabilité : les tableaux alors transmis par la tout juste nommée secrétaire d’Etat au Budget, Eva De Bleeker (Open VLD), prévoient, pour l’exercice 2020 en cours, un déficit nominal de 11% du PIB et, à l’aveugle vu le virus qui rode, de 5,9% pour le suivant.

La Cour des comptes, fin 2022, établira le déficit pour 2021 à 4,5% du PIB. Sous la double pression d’un accord de gouvernement tout frais et d’un virus ravageur, le gouvernement belge avance masqué. Il envoie début novembre, après un conclave éclair et passé complètement inaperçu, des tableaux un peu plus complets. La première phase de revalorisation des allocations et de la pension minimale, exigée par les socialistes, ainsi que des investissements dans les soins de santé y sont intégrés.

La nouvelle version de la taxe sur les comptes-titres sera, elle, bouclée dans la foulée. Les seuls à s’en apercevoir sont les requérants de sept procédures devant la Cour constitutionnelle. Celle-ci leur donnera tort quelques mois plus tard, alors que les tableaux de la situation sanitaire sont toujours plus scrutés que ceux de la secrétaire d’Etat.

2021. Le coup de Q

La Belgique, mine de rien, s’immunise contre le coronavirus en cet automne 2021. Elle s’habitue, enfin. Les discussions budgétaires prendront ainsi, pour la seule fois de cette législature, une tournure normale. Il y aura les traditionnels ballons d’essai (Paul Magnette fera croire qu’il est possible de passer à la gratuité à la SNCB, le CD&V fera mine d’être prêt à faire passer une réforme fiscale à sept milliards d’euros), les nuits de négociations infinies, les blocages sur des peccadilles et les voix cassées, au petit matin du mardi. Les coups d’éclat, aussi.

Dans la nuit du lundi au mardi, au cours d’une énième suspension de séance, Vincent Van Quickenborne quitte le « bunker » du 16 rue de la Loi, où s’enferment les vice-Premiers en conclave, et alpague quelques journalistes de faction.

Il explique qu’un grand accord est trouvé pour flexibiliser le travail de nuit et le travail du dimanche, ainsi que le temps de travail – on pourrait prester ses 38 heures en quatre jours – et pour engager les chômeurs dans d’autres régions que la leur, surtout des Wallons en Flandre. Ce n’est pas encore vrai, mais ça le deviendra plus ou moins, d’autant plus que quelques heures plus tard, en conférence de presse, le vice-Premier Open VLD se réjouit d’avoir « brisé des tabous » comme jamais.

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En fait, la psyché belge a bien résisté à ces velléités de briseur de tabous : aucun ministre fédéral, même la nuit, n’a le pouvoir que disait alors avoir Vincent Van Quickenborne. En Belgique, il y a des entités fédérées à convaincre, et des interlocuteurs sociaux à associer. Deux ans plus tard, seuls quelques centaines de travailleurs ont fait valoir ce droit, seulement accessible fin 2022, proclamé une nuit d’octobre 2021, de travailler cinq jours en quatre. Les incitants à la mobilité inter- régionale des chômeurs ont été dispensés pour quelques minuscules dizaines de Wallons sans emploi.

Pour les mêmes raisons, le plan de remise au travail des malades de longue durée, présenté avec gourmandise le même jour par Frank Vandenbroucke, n’a, en fait, été adopté qu’en septembre 2022, et mis en œuvre à la fin de l’année dernière.

C’est-à-dire qu’on n’en avait même pas un bilan fiable avant cette conférence de presse du budget 2024 où Frank Vandenbroucke, avec cette gourmandise réitérée qui le caractérise depuis trente ans, a annoncé une amplification de son plan « terug naar werk ».

Il y a les ballons d’essai, les nuits de négociations, les blocages sur des peccadilles. Les coups d’éclat, aussi.

2022. La double prise

Une année plus tard, puisque les attentes sont grandes, elles sont déçues. Pourtant, étrangement, la Belgique ne s’en sortira pas trop mal. Les prix de l’énergie ont explosé depuis l’invasion de l’Ukraine. « Le marché est devenu fou », lancera même Alexander De Croo, et son « budget qui protège », pensé, répète-t-il, pour couvrir les exercices 2023 et 2024, est censé atténuer cette folie : il y aura une taxe sur les surprofits et elle rapportera bien autant que prévu (trois milliards en tout), le tarif social élargi est prolongé d’un trimestre au moins et les cotisations des entreprises sont allégées pour un semestre. Un an plus tard, et alors que repointent des hausses de prix, le constat est officiel : avec son indexation automatique des salaires et ce qu’Alexander De Croo avait alors appelé le « bazooka », la Belgique est un des pays d’Europe à avoir le mieux, ou le moins mal, protégé le pouvoir d’achat de ses concitoyens.

Mais hormis cette question énergétique qui obséda, légitimement, tout le monde, les ballons d’essai ont déferlé. Ils ont crevé. Le CD&V est entré en conclave avec un projet de réforme fiscale à sept milliards sous le bras. Neuf mois plus tard, face à l’opposition irréductible du MR, ses ambitions seront revues à un milliard. Alexander De Croo lui-même fera du bruit sur un plan de « sobriété politique » qui imposera aux ministres une réduction de 8% de leurs émoluments, ce qui fut accompli.

Mais le « scénario de suppression progressive » du Sénat prévoyant d’épargner 7,5 milliards dès 2023 et autant en 2024 n’a pas convaincu les sénateurs eux-mêmes : certains ont même interdit à la présidente de la haute assemblée, l’Open VLD Stephanie D’Hose, d’encore s’exprimer sur le sujet.

Sur les cent millions d’euros programmés pour lancer des recherches sur les Small Modular Reactors (SMR) nucléaires, une partie a finalement été réorientée, par la cauteleuse entremise de Thomas Dermine (PS), vers une augmentation de la contribution belge à l’Agence spatiale européenne (ESA), condition nécessaire à l’envoi d’un astronaute belge (et wallon) dans l’espace. Mais la promesse la moins tenue de ce conclave fut celle de la secrétaire d’Etat au Budget Eva De Bleeker, qui avait inscrit dans un tableau que la TVA à 6% sur l’électricité serait prolongée toute l’année plutôt que pour un trimestre, ce qui fut fait, mais pas que cette baisse prolongée serait compensée par une réforme des accises, alors que celle-ci a bien commencé à être mise en œuvre. Elle dut démissionner, l’Open VLD la remplaça par Alexia Bertrand qui, jusqu’alors, était au MR.

Les deux partis libéraux et leurs deux présidents, Egbert Lachaert et Georges-Louis Bouchez, alors, s’engagèrent à tenir des réunions régulières dans une nouvelle instance de concertation entre bleus du nord et bleus du sud. Un an plus tard, Egbert Lachaert n’est plus président de l’Open VLD, cette instance ne s’est jamais réunie et Georges-Louis Bouchez, qui est resté président du MR, est encadré d’une instance de concertation entre bleus du sud qui ne s’est pas encore réunie. A chaque conclave sa fumée, blanche ou bleue.

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