Le PS, grand perdant de l’accord budgétaire

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

L’accord fédéral sur le budget, sur la réforme du marché du travail et sur la relance dévoilé mardi par le gouvernement De Croo a été difficile à faire advenir. Il a été présenté par les sept partenaires de la Vivaldi comme une victoire. Mais ce sont les socialistes francophones qui en profiteront le moins…

« On a cassé la logique de l’austérité », disent, avec la force musculaire que procure la répétition, les socialistes francophones depuis que ce gouvernement est né.

Ils le répètent tout aussi fort que depuis que le comité ministériel restreint a, le matin du mardi 12 octobre, adopté son projet de budget 2022 au terme d’une nuit de négociations comme toujours tumultueuses. Le claquage de porte de Sophie Wilmès (MR) alors que l’accord était parait-il trouvé, les coquetteries de Pierre-Yves Dermagne (PS) qui demandait si l’accord n’avait pas été trouvé, les raccords sur l’accord par SMS pour s’assurer qu’on trouverait un accord, les communiqués et les contre-communiqués sur les 2,4 milliards d’effort budgétaire, sur la réforme du marché du travail, la facilitation du travail de nuit et la limitation des suppressions de cotisations sociales pour les premiers engagements, puis la lénifiante conférence de presse précédant la compassée déclaration de politique générale du Premier ministre De Croo, à la Chambre, mardi après-midi : que reste-t-il derrière tout ça, tombée la brume troublée du petit matin, une fois les coulisses nettoyées des éclats de la nuit, maintenant qu’ont été professés les discours et imprimées les formules ?

« On a cassé la logique de l’austérité », répond le PS, qui est le plus grand parti de cette coalition Vivaldi.

Et effectivement les soins de santé ont été refinancés : 1,2 milliard dès l’année prochaine.

Les socialistes le répètent et, en effet, la somme s’ajoute aux pensions haussées et aux allocations augmentées l’an dernier, ainsi qu’à la hausse du salaire minimum promise au printemps et à un nouveau milliard d’investissement public, avec un accent tout ce qu’il y a de plus écosocialiste sur le développement durable, le climat et le numérique. Les montants sont importants, et ceux qu’impliquent la prolongation du tarif social élargi de l’énergie pendant les trois premiers mois de 2022 et la réduction de 80 à 100 euros de la facture de ceux qui y sont éligibles également.

Est-ce pour autant que l’austérité, comme a oublié de le répéter, mardi, un Pierre-Yves Dermagne à la voix éraillée, a été vaincue?

Est-ce pour autant, comme s’emploient à le raconter les nationalistes flamands, que le PS a gagné ?

L’imaginer reviendrait à faire semblant de ne pas remarquer qu’alors que l’Europe elle-même exige moins de discipline budgétaire de la part des Etats membres, la Belgique en fait davantage, et feindre de ne pas avoir entendu Alexander De Croo rappeler que ces efforts se font « à l’heure où la clause dérogatoire générale du Pacte de stabilité et de croissance est toujours active : nous allons donc au-delà des demandes de l’Europe« .

Le penser impliquerait d’avoir gobé qu’un parti, fût-il de droite, fût-il flamand, aurait jamais pu nourrir l’intention de priver les ménages les plus fragiles de la possibilité de se chauffer à partir d’un premier janvier, alors que c’est l’hiver, que les prix de l’énergie n’ont jamais été aussi élevés, et que le tarif social de l’énergie avait déjà été élargi sous Sophie Wilmès à la rentrée 2020.

L’admettre signifierait croire que sous cette tournure pléonastique, « nous donnons plus de liberté au travailleur pour organiser beaucoup plus librement sa semaine de travail » qu’a utilisée Alexander De Croo à la tribune de la Chambre, cette liberté par laquelle les employés qui le souhaiteraient pourraient ramasser leurs 38 heures de travail hebdomadaire en quatre jours plutôt qu’en cinq, se cache une conquête du prolétariat organisé et pas un retour, dénoncé par les syndicats, sur la loi des huit heures de Joseph Wauters, ni une possibilité de plus pour certains employeurs, annoncée par certaines associations féminines, de compliquer l’existence des mères célibataires.

Le dire sous-entendrait qu’instaurer « un cadre plus souple pour l’e-commerce » qui encouragerait le travail de nuit et le travail du dimanche, dont Alexander De Croo a expliqué qu’il était « demandé par le secteur » correspond à un souhait syndical plutôt qu’à une revendication patronale.

Frank is the new Maggie

Le propager voudrait dire estimer que les projets de Frank Vandenbroucke (Vooruit) pour « freiner la croissance de certaines dépenses, telles que celles liées à l’incapacité de travail« , censées « responsabiliser » non seulement les entreprises dont les employés tombent malades, non seulement les médecins qui attestent que les employés sont malades, non seulement les mutualités qui accompagnent les malades dont les maladies sont attestées par des médecins, mais aussi les malades eux-mêmes, seraient plus socialistes parce qu’ils ont été proposés par un ministre socialiste que ceux que le CD&V avait rejetés, qui étaient pareils mais suggérés par une libérale, Maggie De Block.

En réalité, les socialistes francophones n’ont pas gagné. Ce PS qui dit avoir cassé la logique de l’austérité n’est pas sorti renforcé de ces semaines de négociations sur le budget et la réforme du marché du travail. Car s’il a obtenu que l’Etat mobilise de l’argent, il devra aussi concéder qu’il se réforme, et ces réformes cassent bien davantage la logique de l’Etat social que celle de l’austérité. Contre ce carburant dont avaient besoin les pensionnés, les salariés les moins pourvus et les allocataires sociaux, le PS a accepté de revoir la mécanique. Si elle se met à tourner dans le sens voulu, elle le privera, à l’avenir, du carburant que réclame toujours davantage le monde du travail.

S’il répète qu’il a cassé la logique de l’austérité, c’est qu’il s’est retrouvé isolé, le PS, depuis sa rentrée médiatique surjouée jusqu’aux minutes cruciales de cette nuit budgétaire.

Il a retrouvé, le Parti socialiste, le Frank Vandenbroucke des années deux mille, celui de l’Etat social actif, qui veut remettre les malades au travail et qui a demandé à l’Onem des simulations gourmandes sur l’exclusion des chômeurs.

Il a découvert, le PS, que son écosocialisme l’obligeait à appuyer les exigences écologistes sur le climat et le rail, mais n’engageait pas Ecolo à le gâter de trophées en retour.

Il s’est rappelé, le PS, que les libéraux n’avaient pas besoin de spécialement bien s’entendre pour rester libéraux.

Il a dû admettre qu’il ne pourrait pas vraiment casser la logique de l’austérité, mais le dire, en espérant que ça s’entende plus fort que quand le PTB crie qu’il la renforce.

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