De Croo
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Budget fédéral: un troc sans thérapie de choc (analyse)

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Alexander De Croo (Open VLD) s’est présenté dans les temps à la Chambre pour communiquer le semblant de cap que son attelage (PS – Vooruit – MR – Open VLD – Ecolo – Groen – CD&V) entend suivre dans la gravité de l’heure. « Personne ne sera laissé sur le bord du chemin », la gauche et la droite se sont au moins entendues sur ce point. Il en sort un plan anti-crise « ni-ni ».

Il aura obtenu de ses partenaires la politesse de ne pas faire patienter les députés. Alexander De Croo (Open VLD) s’est pointé à la Chambre au jour dit et à l’heure dite, avec en poche la déclaration politique qu’il avait à leur faire au nom de son gouvernement fédéral. Le ton était à la gravité, à l’humilité devant l’adversité, à l’appel à ne pas baisser les bras.

Bien sûr, l’ultime nuit de négociations fut longue, la dernière ligne droite intense et douloureuse à franchir. C’était la moindre des choses quand l’heure est plus que grave, l’incertitude du lendemain totale et qu’il s’agit de boucler un budget de crise dans un environnement géopolitique et énergétique qui se dérobe sous nos pieds, alors que la crise sanitaire reste à digérer et n’a peut-être pas encore dit son dernier mot. C’est le contraire, un exercice budgétaire aux allures de formalité et de promenade de santé, qui aurait paru indécent. Il n’en a jamais été autrement au temps de l’austérité qui a rythmé les années 1980 et 1990.

Crispations, tensions, remises en cause de dernière minute, marchandages : la loi du genre aura été respectée. Tout l’art de l’exercice consiste à atterrir plus ou moins dignement, après les effets d’annonce et de manche des uns et des autres, les mâles déclarations, les engagements solennels à ne pas céder ceci ou transiger sur cela. Aucun partenaire ne devait mettre un genou en terre et sortir bredouille du bras de fer. Aucun partenaire ne devait avoir ce plaisir de trop tirer la couverture à lui. Dans un gouvernement, il faut au final que tout perdant puisse être aussi gagnant et inversement.

L’addition, ce sera pour plus tard

Chacun a donc joué sa partition pour maintenir tant bien que mal à flots un budget fédéral pour 2023 et 2024. « Augmentons les recettes » clamait le flanc gauche. « Rabotons les dépenses », répondait en écho le flanc droit. Les circonstances, dramatiques, facilitaient quelque peu la tâche en obligeant à n’avoir d’yeux que pour la préservation du pouvoir d’achat. L’heure n’est pas aux largesses à accorder à l’un ou l’autre électorat ni à privilégier l’une ou l’autre catégorie de victimes d’un nouveau tour de vis budgétaire. Pour l’essentiel de l’addition, on verra plus tard. Il n’en va pas autrement chez nos voisins, pourquoi se gêner ?

Et ce qui devait arriver arriva: tout étant lié, chaque partenaire peut exhiber, non point un trophée, le mot serait trop fort par les temps qui courent, mais sa contribution à faire en sorte que personne, ménages, patrons, travailleurs, pensionnés, allocataires sociaux, ne reste au bord du chemin.

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A gauche, on peut se targuer d’avoir préservé les fondamentaux dans le registre des droits acquis : pas touche à l’indexation automatique des salaires – l’Open VLD Alexander De Croo l’a lourdement souligné dans sa déclaration à la Chambre -, pas touche au financement des CPAS, au régime des demandeurs d’emploi, à la péréquation des pensions des fonctionnaires. Côté socialiste, on peut faire valoir, à défaut d’une cotisation spéciale de crise pour les revenus plus élevés, des intérêts notionnels moins généreusement accordés, la fin des secondes résidences fiscalement avantagées, une taxe bancaire.

A droite, on ne peut que trop insister sur l’investissement consenti – un milliard d’euros – pour que les entreprises puissent supporter le fardeau de l’indexation des salaires de leurs travailleurs. Côté libéral, on peut souligner l’extension des flexi-jobs, la prolongation du droit passerelle pour les PME, l’introduction d’une condition de travail liée au bénéfice d’une pension, à défaut de pouvoir rendre la vie plus dure au chômeur en limitant dans le temps ses allocations ou en le sanctionnant pour son refus d’un emploi sous prétexte de dynamiser le marché du travail.

Ni foncièrement de gauche, ni outrancièrement de droite

Les Verts obtiennent des milliards (trois au lieu de quatre) pour donner un nouveau souffle au rail, à défaut de pouvoir faire oublier leur virage sur le nucléaire appelé à jouer les prolongations, mais qui leur en voudra ? Quant au CD&V, qui croyait rêver en voulant arracher à la va-vite une méga réforme fiscale lourde de plusieurs milliards, il obtiendra son bout de gras en décembre prochain, si tout va bien.

Au fait, cette crise, à qui donc la faire payer dans l’immédiat ? A ceux qui en tirent d’indécents profits, pardi: les entreprises énergétiques cracheront au bassinet (3 milliards), les pétroliers devront faire acte de solidarité avant une probable taxe minimale sur les multinationales, à titre provisoire. Qui s’en plaindra ? La gauche applaudit, la droite peut sans mal réconforter les ménages confrontés à la flambée de leurs factures d’énergie et qui retireront de cette ponction un vague sentiment qu’il y a tout de même une justice dans ce monde de brutes. A propos de « nantis », la symbolique n’a évidemment pas été oubliée avec la diminution salariale que s’auto-infligeront les ministres et le gel de leur dotation que s’imposeront les partis.

Et c’est au nom de son équipe, toutes tendances confondues, que le Premier ministre s’est engagé devant le Parlement à suivre un cap « ni-ni », ni foncièrement de gauche ni outrancièrement de droite. Un cap dans la tempête, disons plutôt une navigation à vue pour des raisons largement indépendantes de sa volonté. La crédibilité de sa feuille de route se vérifiera à l’usure.

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