En proposant une alliance au PS, l'objectif du président de la N-VA, Bart De Wever, reste intact: tendre vers le confédéralisme.

« C’est peu réaliste »: pourquoi le confédéralisme prôné par la N-VA a peu de chance de voir le jour

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Réunie en congrès du vendredi 12 au dimanche 14 mai, la N-VA a à nouveau agité le spectre du confédéralisme. Un tel changement structurel pourrait-il réellement s’opérer en Belgique? Décryptage avec Vincent Laborderie, politologue à l’UCLouvain.

Une petite brise préélectorale a soufflé sur la Flandre, ces derniers jours. À un an du multi-scrutin de 2024, pas moins de quatre partis réunissaient leurs affiliés dans leurs bastions respectifs. L’occasion pour chaque formation politique de réaffirmer ses priorités. Au fief anversois de la N-VA, le volet institutionnel s’est retrouvé, sans surprise, au coeur des débats. Par la voix de leur président Bart De Wever, les nationalistes flamands ont à nouveau plaidé pour une septième réforme de l’Etat et ont tendu la main au PS en vue de former un « mini-cabinet fédéral » à l’issue des élections législatives. L’objectif est clair, et assumé : transférer un maximum de compétences aux entités fédérées et ainsi tendre vers le confédéralisme. « Vous n’occupez que les postes de vice-Premiers ministres et vous vous mettez d’accord sur quelques objectifs minimaux, notamment budgétaires. Pendant ce temps, vous reconstruisez le pays en profondeur, avec un virage confédéral », a résumé le bourgmestre d’Anvers.

Dans les faits, ce modèle confédéraliste à la sauce N-VA, rapidement décrié par le Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD), a très peu de chances de voir le jour. Vincent Laborderie, politologue à l’UCLouvain, pointe trois obstacles majeurs à la mise en œuvre d’un tel système : la situation épineuse de Bruxelles, la construction politique qui découlerait de ce modèle et la majorité nécessaire à son adoption.

Le délicat « Brusselkeuze »

Dans l’idéal prôné par la N-VA, la Belgique n’est composée que de deux grandes entités : la Flandre et la Wallonie, chacune régie par son propre modèle social et fiscal. La région bruxelloise n’existe plus en tant que telle. Les Bruxellois sont contraints au « Brusselkeuze », c’est-à-dire de privilégier soit le système wallon, soit le système flamand. « Laisser les gens opter pour le modèle de leur choix, c’est difficilement faisable en pratique, objecte Vincent Laborderie. Beaucoup risquent de se laisser guider par l’opportunisme, et basculer d’un modèle à l’autre pour des raisons financières ou intéressées. »

Penser Bruxelles comme un simple point de rencontre entre les deux grandes communautés du pays, c’est faire fi de l’essence-même de la capitale et de sa démographie, pointe le politologue. « 40% des Bruxellois n’ont pas la nationalité belge. Et 20% supplémentaires détiennent la nationalité mais ne sont pas nés en Belgique, rappelle Vincent Laborderie. Un choix basé sur des prétendues origines wallonnes ou flamandes ou sur la langue maternelle semble ainsi peu réaliste. Demandez à un Portugais, un Italien ou un Polonais s’il veut choisir le modèle flamand ou francophone, il aura un peu de mal. »

Une telle idéologie contrevient également à un principe législatif de base, selon lequel le droit est lié au territoire, souligne encore Vincent Laborderie : « Quand vous allez à l’étranger, vous devez respecter la loi du pays, c’est un principe fondamental. On ne peut pas choisir de s’inclure dans tel ou tel système sans prendre en compte le territoire. »

L’inaccessible majorité renforcée

Autre pierre d’achoppement : la construction politique qui découle de modèle. Le fondement du confédéralisme, c’est d’abolir les élections fédérales. Concrètement, le pays serait régi par un Conseil belge, composé des ministres-présidents des Etats fédérés. « Imaginer que ce sont simplement les représentants des différents gouvernements régionaux qui se mettent d’accord sur les quelques matières fédérales restantes (la Défense et la gestion de la dette, pour la N-VA), c’est peu réaliste », observe l’expert du fédéralisme.

« Le PTB est fondamentalement unitariste et le Vlaams Belang ne signera jamais autre chose qu’une réforme qui veut l’indépendance de la Flandre. Dans ce contexte, je ne vois absolument pas comment on pourra obtenir une majorité renforcée. »

Surtout, pour aboutir à une réforme de l’Etat aussi ambitieuse que celle prônée par les nationalistes flamands, la majorité renforcée est indispensable, rappelle Vincent Laborderie. Cette majorité des deux-tiers, condition sine qua non à toute révision constitutionnelle, semble hors de portée actuellement au vu du paysage politique belge, sérieusement morcelé. Si tous les partis flamands plaidaient de concert pour une sixième réforme de l’Etat à l’époque, la gauche n’en fait pas sa priorité pour 2024. En outre, la montée des extrêmes complique la tâche des nationalistes. « Paradoxalement, la poussée du Vlaams Belang, comme la poussée du PTB côté francophone, rendent de plus en plus difficile d’avoir une majorité tout court, et encore plus une majorité des deux-tiers sur cette question, insiste le politologue. Le PTB est fondamentalement unitariste et le Vlaams Belang ne signera jamais autre chose qu’une réforme qui veut l’indépendance de la Flandre. Dans ce contexte, je ne vois absolument pas comment on pourra obtenir une majorité renforcée sur le confédéralisme.»

Pas de confédéralisme, mais un fédéralisme exacerbé

Si l’idéal du confédéralisme « made in N-VA » semble inatteignable dans un futur proche, un fédéralisme plus poussé paraît toujours réaliste aux yeux de Vincent Laborderie. « On peut certainement aller encore plus loin dans la défédéralisation des compétences, à l’instar des Etats-Unis ou du Canada. On peut notamment régionaliser davantage les soins de santé, même si la crise du Covid nous a donné des enseignements contradictoires. Une régionalisation de la justice ou de l’intérieur peuvent également être envisageable. Par contre, le statut de Bruxelles devrait rester intact pour que cela fonctionne. »

En définitive, un fédéralisme exacerbé est envisageable – et pourrait d’ailleurs trouver des amateurs dans les rangs du PS – mais sans redéfinition globale du système ni grand chamboulement, tranche Vincent Laborderie.

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