Le président de Vooruit est attaqué de toute part, alors qu'il a fait interdire la publication de certains éléments pouvant lui nuire dans les médias

Alcool, racisme et censure: le cocktail indigeste qui pousse Conner Rousseau dans ses retranchements (analyse)

Nathan Scheirlinckx
Nathan Scheirlinckx Journaliste au Vif

Le président de Vooruit doit se défendre devant la justice de propos potentiellement racistes. Pourtant, les socialistes flamands continuent de scorer, et Conner Rousseau de gagner en popularité en Flandre. Comment l’expliquer ? Retour sur les dernières semaines compliquées de celui qui se surnomme King Connah, avec le politologue Dave Sinardet (VUB).

Ce 5 octobre, le président du parti Vooruit Conner Rousseau doit s’expliquer devant le parquet de Flandre orientale. Que lui reproche la justice ? D’avoir potentiellement dérapé en exprimant des propos racistes à l’égard de la communauté Rom, lors d’une soirée bien arrosée dans sa commune de Saint-Nicolas début septembre. Des policiers présents ce soir-là ont filmé la scène avec leur bodycam, et rédigé un PV après avoir pris connaissance des propos sulfureux tenus par l’homme politique. Qui dit, lui, avoir bu quelques coups de trop et ne pas se rappeler de grand-chose, sinon d’échanges « sympathiques et amusants » avec lesdits agents de police.

« Cela peut arriver d’être saoul, mais quand vous êtes une figure politique populaire comme lui, il faut faire plus attention, juge le politologue Dave Sinardet (VUB) ». Après la divulgation des premiers éléments, King Connah avait tenté de désamorcer, en promettant sur un plateau télé qu’il ne boirait plus d’ici les prochaines élections.

L’affaire aurait pu en rester là. Sauf que. Alors que VTM et Het Laatste Nieuws s’apprêtaient à diffuser des morceaux du procès-verbal, Conner Rousseau a brandi une décision de justice les en empêchant. « Censure ! », s’écrièrent alors d’une seule voix les médias flamands, bientôt soutenus par des constitutionnalistes dénonçant une entrave à la liberté de la presse. La séquence est particulièrement néfaste pour le président de Vooruit, qui se met beaucoup de monde à dos au nord du pays. « Il donne le bâton pour se faire battre, analyse Dave Sinardet. Son comportement provoque aussi les attaques de certains à son égard ».

Des propos racistes? Conner Rousseau pourrait être encore plus populaire en Flandre

Et pourtant. S’il est englué dans plusieurs affaires, le socialiste reste l’un des politiques les plus populaires au nord du pays (juste après Bart De Wever), tout en ayant réussi à redresser le parti dont il a pris la tête en novembre 2019 (Vooruit reste troisième parti de Flandre avec 15% d’intentions de vote). Doit-on s’attendre à voir les socialistes flamands dégringoler suite aux errements de leur président ? « Le fait qu’il ait tenu des propos racistes peut renforcer sa popularité auprès de certains, prédit Dave Sinardet. D’autant plus qu’on sait que Conner Rousseau essaie d’attirer des électeurs du Vlaams Belang ». Vooruit pourrait par contre perdre des électeurs de gauche fidèles au parti, dégoutés du virage à droite pris par le jeune président dans sa communication.

« Les gens pourraient se dire que c’est encore un politique qui se croit au-dessus de la mêlée »

Dave Sinardet, politologue à la VUB

Les propos aux relents racistes tenus dans ce café de Saint-Nicolas pourraient bien former la goutte d’eau qui fait déborder le vase. L’affaire de trop pour Conner Rousseau. Le quotidien flamand Het Nieuwsblad a ainsi révélé qu’après avoir su que certains agents de police possédaient des vidéos probantes de cette soirée trop arrosée, King Connah aurait envoyé des SMS au chef de corps pour demander qu’elles ne soient pas diffusées sur les réseaux sociaux. « Les gens pourraient se dire que c’est encore un politique qui se croit au-dessus de la mêlée, alors qu’ils ne peuvent pas contacter de chef de corps en cas d’excès de vitesse », exemplifie Dave Sinardet.

Conner Rousseau veut protéger sa vie privée: « C’est une stratégie à double-tranchant »

Dave Sinardet, politologue à la VUB

En interdisant la publication d’éléments du PV dans les médias, le président de Vooruit dit aussi vouloir protéger sa vie privée. « Dans le cas d’une poursuite judiciaire, on entre dans une autre dimension, pour quitter le domaine privé. Qui plus est si des propos racistes ont été proférés. » On peut aussi se dire que celui qui aimerait bien devenir bourgmestre de Saint-Nicolas est culotté en invoquant sa vie privée, déjà largement exposée sur des réseaux sociaux, qui font partie intégrante de sa stratégie de communication. « Conner Rousseau a déjà utilisé sa vie privée à des fins politiques, confirme Dave Sinardet. Il poste beaucoup de photos de lui en vacances et de ses amis sur Instagram. Cette stratégie est à double tranchant ».

Pour justifier l’interdiction de diffuser le contenu de ce procès-verbal, Conner Rousseau invoque aussi le fait qu’on ne diffuse pas les éléments d’une enquête judiciaire en cours. Argument écarté par les médias flamands : il va à l’encontre de la liberté de la presse. Mais qui a raison ? « Il y a une tension entre la présomption d’innocence et le principe de la liberté de la presse, estime le politologue flamand. Mais plusieurs spécialistes ont dit qu’interdire la publication comme le socialiste l’a fait était contraire à la Constitution ».

« Implicitement, il avoue qu’il a quelque chose à se reprocher »

Dave Sinardet pense que Conner Rousseau s’est trompé sur ce coup-là, pour trois raisons. « Vouloir interdire la publication de certains éléments, c’est implicitement reconnaitre la gravité de la situation et avouer qu’on a quelque chose à se reprocher. Et puis, on saura ce qui s’est passé, d’une manière ou d’une autre. Enfin, il risque de se mettre tous les médias à dos (en pratiquant une telle censure, NDLR) ».

Quel que soit le verdict de la justice quant au caractère raciste des propos de Conner Rousseau, le parti Vooruit continue à défendre sa figure de proue. « Ils disent qu’ils sont victimes d’une chasse aux sorcières, alimentée par des opposants politiques qui ne voient pas d’un bon œil leur progression », développe le politologue, qui estime néanmoins que cette stratégie est de moins en moins crédible au vu de l’accumulation de frasques pour Conner Rousseau.

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