Affaire Hadja Lahbib: la realpolitik, ou quand la recherche d’intérêts prime sur les principes moraux

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

La ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib (MR), sur la sellette dans le dossier du Téhérangate, est taxée de faire de la « realpolitik » pour sauver sa peau. Mais d’où vient ce concept et que désigne-t-il concrètement ? Décryptage avec Michel Liégeois, professeur de relations internationales à l’UCLouvain, et Benjamin Biard, docteur en sciences politiques.

La Belgique a choisi d’accorder les visas afin de permettre la libération d’otages européens encore détenus en Iran ». Telle fut, en substance, la ligne de défense empruntée par Hadja Lahbib à la Chambre mercredi pour justifier la venue controversée du maire de Téhéran à Bruxelles. Noyée dans un flot de critiques et d’injonctions à la démission, la ministre des Affaires étrangères a tenté de garder la tête hors de l’eau en jouant la carte de la « pondération diplomatique ». Pour la libérale, la fin justifiait amplement les moyens : certes, la présence de la délégation iranienne à Bruxelles était peu souhaitable, mais inévitable dans un contexte de négociations avec Téhéran. Refuser les visas aurait été vécu comme une humiliation par l’Iran, alors que la Belgique entend maintenir les canaux de communication ouverts avec la république islamique. En d’autres termes : une vie humaine valait bien un visa.

Pour certains observateurs, cette stratégie de défense s’apparente à de la « realpolitik ». Ce concept, largement utilisé dans les théories de relations internationales, puise sa source en Allemagne, au 19e siècle. « Il a été attribué pour la première fois à l’ancien chancelier Otto von Bismarck », rappelle Benjamin Biard, politologue à l’UCLouvain. La diplomatie bismarckienne s’est ainsi attachée à la recherche d’alliances pour faciliter l’unité de l’Allemagne et assurer l’équilibre entre les empires européens.

Réalisme vs idéalisme

Etymologiquement, le terme désigne simplement une politique réaliste, basée sur la recherche d’intérêts, par opposition à une politique idéaliste, davantage guidée par des principes ou des valeurs. « Ce sont l’efficacité et les intérêts qui prévalent, plutôt que des idéaux comme le respect de la parole donnée ou le respect du droit, par exemple », explique Michel Liégeois, professeur de relations internationales à l’UCLouvain.

Le concept de realpolitik a également été utilisé au 20e siècle, pour définir la politique menée par le secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger à l’égard la Chine. En mettant de côté ses convictions profondes et en faisant prévaloir les intérêts américains, Kissinger a œuvré au rétablissement des relations diplomatiques entre Pékin et Washington en pleine guerre froide. Le dégel des discussions a ainsi permis la rencontre historique entre le président américain Richard Nixon et le communiste Mao Zedong, en 1972.

Realpolitik ou laxisme?

A l’origine, le terme a une connotation positive. « La realpolitik, en soi, est une forme de pragmatisme. Le dirigeant prend en compte la réalité dans la prise de décisions et joue son rôle en défendant les intérêts de l’Etat », insiste Michel Liégeois. Mais au fil du temps, l’acception du concept a pris une tournure péjorative. « Aujourd’hui, taxer une attitude de ‘realpolitik’, ce n’est généralement pas pour l’encenser, mais plutôt pour dénoncer une forme de cynisme, d’absence totale de valeurs, voire une forme de froideur. »

En acceptant de délivrer des visas à des individus peu recommandables comme le maire de Téhéran, afin, en contrepartie, de se donner davantage de chances de libérer des otages européens, la ministre des Affaires étrangères a ainsi fait preuve de pragmatisme, se justifie-t-elle. « Ces visas, qui n’auraient peut-être pas été délivrés dans une période ordinaire, ont été accordés au nom de la realpolitik. Des concessions ont été faites sur certains principes pour ne pas compromettre une négociation qui, aux yeux de la ministre, est beaucoup plus importante », résume Michel Liégeois.

Mais pour la députée N-VA Darya Safai, militante irano-belge des droits de l’Homme, l’analyse est toute autre: le pseudo-pragmatisme d’Hadja Lhabib s’apparente davantage à du laxisme. « La Belgique a cédé face à la politique du chantage menée par Téhéran », tranche la nationaliste.

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