Thierry Fiorilli

Politique : Du taureau mécanique aux pandas géants

Thierry Fiorilli Journaliste

Elio Di Rupo devait-il, ou pas, accueillir ce dimanche les pandas géants venus de Chine pour passer quinze ans au parc animalier hennuyer Pairi Daiza ? On s’en offusque au MR, qui déplore « la mise en scène », « l’instrumentalisation » signées par le Premier ministre socialiste. Et plusieurs commentaires vont dans le même sens, avec des arguments plus ou moins recevables.

Mais la polémique apparaît, en vérité, un peu désuète. Parce qu’on sait, parce qu’on voit, tous les jours, depuis longtemps maintenant, que la communication politique passe beaucoup plus par l’image de l’individu que par le contenu de son message. On peut le déplorer, on peut regretter l’époque des débats de fond, mais on ne peut pas découvrir aujourd’hui cette réalité-là.

Et donc, oui, évidemment : dans cette affaire de pandas chinois, qui a démarré l’été dernier avec une polémique communautaire (Di Rupo étant accusé par la N-VA de défendre les intérêts wallons, contre les Flamands, en obtenant que Hao Hao et Xing Hui séjournent à Pairi Daiza et non au zoo d’Anvers…), il est évident qu’Elio Di Rupo avait plus à gagner, en Wallonie, et singulièrement dans le Hainaut, sa terre d’élection, dans tous les sens du terme, qu’en allant serrer la main des travailleurs qui perdent leur job à Liège, à Genk ou à Auvelais. De la même façon que le Premier ministre est présent, et très visible, lorsque les Diables rouges gagnent, lorsqu’il y a un rassemblement massif festif, lorsqu’il y a opportunité manifeste d’engranger un supplément d’adhésion, même par effet subliminal, des citoyens-électeurs. La présence du chef du gouvernement, depuis des mois en campagne électorale qui ne dit pas son nom, était obligatoire, vu les stratégies de marketing politique implacables mises au point par le PS depuis belle lurette. Sa présence et le tapis rouge déroulé aux deux géants, histoire de caresser la Chine dans le sens du poil (toujours bon à prendre, diplomatiquement et commercialement) et de conférer à « l’événement » (passionnément couvert par les médias) la solennité justifiant la présence du Premier ministre. La boucle est bouclée, donc.

Didier Reynders (MR), qu’on a vu visage peinturluré en noir-jaune-rouge après un match victorieux des Diables rouges, aurait fait pareil. Joëlle Milquet (CDH) aussi, qui – en duo avec Reynders d’ailleurs – a mimé il y a des années, en télévision, une chanson parodique des Frères Taloche, habillée pareil qu’eux. En regardant en arrière, on peut encore citer Herman De Croo (Open VLD) interviewé par Tatayet, José Happart (PS) et des élus francophones de chaque parti photographiés en improbables costumes de carnaval pour ce qui était encore Télé-Moustique, Bart De Wever et la plupart des cadors politiques flamands participant à l’émission de divertissement De Slimste mens… En 1995, déjà, un Premier ministre belge, mais flamand lui, Jean-Luc Dehaene (CD&V), n’hésitait pas à chevaucher, devant les caméras, un taureau mécanique à Dallas, lors d’une visite officielle aux Etats-Unis. Dans chacun de ses cas, chaque femme et homme politique qui s’est prêté à l’exercice l’a fait pour des raisons d’image, de communication. « Parce que ça rapproche le politique des gens », « parce que ça montre un profil plus humain », « parce que l’opinion publique belge aime ça », etc.

Personne n’a jamais sondé cette opinion publique pour vérifier qu’elle appréciait voir ses élus faire les guignols en public. Mais personne n’a pu démontrer que cette facette-là de la politique était contre-productive en termes électoraux. Si l’on observe les scores réalisés, après, par Dehaene, Reynders, Milquet, Happart, De Croo et les autres, on mentirait même en prétendant que l’opération leur a été préjudiciable… Silvio Berlusconi et Umberto Bossi en Italie, Tony Blair et Boris Johnson en Angleterre, George Bush et Barak Obama aux Etats-Unis ou Nicolas Sarkozy en France, notamment, ont chacun à leur manière travaillé la moindre apparition publique, étudié le moindre événement où se déplacer, sélectionné la moindre émission à laquelle participer, calculé le moindre mot du moindre discours à prononcer pour véhiculer une image bien plus qu’une politique ou une vision collective de société.

Les postures de Di Rupo, ce roi au-dessus de la mêlée, snobant tout débat de fond, mais multipliant les bains de foule aux quatre coins du pays, correspondent donc à ce qui semble bien être désormais une nécessité pour qui veut décrocher le pouvoir. Ou le garder.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire