Philippe Close n'envisageait pas un été sans que rien ne se passe à Bruxelles. D'où le lancement d'Arena 5. © BELGA IMAGE

« Philippe Close a toujours voulu faire un « grand festival » à Bruxelles »

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

La création d’Arena 5 (dites five), scène en plein air sur le site du Heysel, expose une nouvelle fois les ambitions culturelles, prenant appui sur ses amitiés politiques, du bourgmestre PS Philippe Close.

« Ce festival de l’ Arena 5 n’est pas une surprise: Philippe Close a toujours voulu faire un « grand festival » à Bruxelles. Il envisage même d’ajouter à cet événement, qui devrait s’étendre sur trois mois à l’été 2022, un concert d’envergure sur l’une des pelouses proches de l’ Atomium. Ce qui le rapprocherait de son vieux fantasme: concurrencer Werchter, dans la capitale. Philippe Close est un type sympa, mais c’est un « tueur politique ». » L’interlocuteur, qui demande l’anonymat, connaît bien les rouages culturo-politiques autant que la personnalité et les réseaux de Philippe Close, 50 ans, bourgmestre de Bruxelles-Ville depuis le 20 juillet 2017. On n’est pas dans l’omerta mais dans cette zone ultrasensible où se croisent les intérêts privés et la responsabilité publique.

Je veux me battre pour que Bruxelles ne devienne pas une seconde zone culturelle ou événementielle.

Philippe Close

Pour saisir les enjeux et les partis pris, il faut remonter à 2013. En septembre de cette année-là est inauguré le nouveau Palais 12, sur le site du Heysel: une salle de concert issue d’une transformation-extension du hall d’exposition originel, aux normes 2.1 grâce à 25 millions d’euros assumés en fonds propres par Brussels Expo, puissante asbl de la Ville dont Philippe Close est président. L’espace – modulable de 2 500 à 17 000 places – est réussi, tant sur le plan acoustique que visuel. Loin de la marmite caverneuse de Forest National et de l’impersonnel Sportpaleis anversois, autres grandes agoras historiques du concert belge, désormais gérées par des intérêts privés flamands, notamment liés à Live Nation, multinationale américaine dont le patron est « Mr Rock Werchter », Herman Schueremans, d’obédience OpenVLD.

Philippe Close
Philippe Close© PHILIPPE CORNET

On commence à comprendre le schéma closien: faire du territoire francophone majeur – Bruxelles – un lieu de culture, de musique, éventuellement concurrentiel au showbiz « rock », largement contrôlé par le nord du pays ces trois ou quatre dernières décennies. Philippe Close, interviewé par Le Vif à la mi-août 2021, nuance sa stratégie: « Je ne veux pas communautariser la question mais plutôt la territorialiser. Il n’y a aucune raison que Bruxelles soit négligée, c’est mon boulot… Mais en même temps, les Flamands et un gars comme Herman Schueremans, qui a créé une industrie incroyable, doivent rendre fière la Belgique. Mais là, oui, étant de gauche, j’assume complètement que le pouvoir public a le droit de s’occuper de culture et d’événementiel. Je pense qu’en dix ans, la Ville a engendré quelque chose d’important. Et je veux me battre pour que Bruxelles ne devienne pas une seconde zone culturelle ou événementielle. »

Scènes de Heysel

En 2016, Le Vif avait publié un portrait de Philippe Close: diplômé en droit de l’ULB, ancien chef de cabinet du bourgmestre Freddy Thielemans entre 2001 et 2013, il est alors député et chef de groupe PS dans l’enceinte bruxelloise. Il est aussi échevin en charge du personnel et du tourisme, puis dans la foulée – ce n’est pas anecdotique – des finances de la Ville. Mais pas de la culture, domaine de l’autre PS Karine Lalieux. L’intéressé s’explique alors sur sa nature politique: « Lorsque j’ai été collaborateur parlementaire de Roger Lallemand et qu’il s’est fait brutalement éjecter du PS, où j’étais entré en 1993, j’ai compris que la politique n’était pas pour les enfants de choeur. A un moment, on doit décloisonner et être tueur pour ses idées. »

Parmi les dix-sept mandats qu’il honore à l’époque – vingt-six aujourd’hui – Philippe Close, désormais vice-président du PS, diligente le BSF, festival initialement conçu comme une offre gratuite, en 2002, sous égide européenne baptisée Eu’ritmix. La manifestation, anesthésiée depuis deux ans, n’a pas un avenir clair. « Vu les mesures anti-Covid, l’édition 2021 du BSF semblait trop incertaine à organiser, déclare Philippe Close. Mais un été sans que rien ne se passe à Bruxelles me semblait impossible. Arena 5 est venu de là: on avait déjà monté une scène au même endroit du Heysel en 2015, Place de Belgique, lors de l’événement Retrorama, avec entre autres le groupe Imagination. Cela n’avait pas trop fonctionné en matière d’audience, mais le lieu semblait parfait. Alors, on a réfléchi à de possibles partenaires. »

Pourquoi ne pas avoir organisé une concertation avec des promoteurs nationaux, qui ont des choses à proposer? »

Patrick Wallens

En attendant de savoir ce que deviendra le BSF en 2022, Philippe Close, par l’intermédiaire de Brussels Expo, renoue pour Arena 5 des liens avec Greenhouse Talent – deuxième booker belge après Live Nation – qui travaille déjà avec la Ville au Palais 12, « et qui a bossé sur des concerts de Prince ou Leonard Cohen en site urbain ». Et puis, il y a Les Ardentes, festival liégeois avec lequel ont été organisées quelques soirées autour du label bruxellois Pias au Palais 12. Par ailleurs, la Ville de Bruxelles – via ses diverses asbl – gère désormais La Madeleine et le Cirque royal, plus de multiples événements estivaux, musicaux et autres. Se pose donc la question du rapport du politique à la culture.

La ville de Bruxelles a-t-elle réellement besoin d'un autre festival que le BSF? Pour le bourgmestre Close,
La ville de Bruxelles a-t-elle réellement besoin d’un autre festival que le BSF? Pour le bourgmestre Close, « il y a de la place pour tout le monde ».© PHILIPPE CORNET

Secret de polichinelle, Philipe Close est, comme il le dit lui-même, « ami depuis quinze ans » avec Gaëtan Servais, copatron des Ardentes avec Fabrice Lamproye. En 2019 (derniers chiffres disponibles sur Cumuleo, le site Internet qui établit le baromètre du cumul des mandats en Belgique), Gaëtan Servais disposait de onze mandats dont celui de CEO de Noshaq (ex-Meusinvest), importante société publique d’investissement. Un article du Vif en date du 6 mai dernier, signé David Leloup, mettait en lumière les liens de Gaëtan Servais avec trois personnalités liégeoises dans le viseur de la justice , Samuel Di Giovanni, Lucien D’Onofrio et François Fornieri. Ces deux derniers, ainsi que l’homme d’affaires Sylvain Rizzo, sauvent les Ardentes, menacées de faillite, en injectant dans le festival plusieurs centaines de milliers d’euros en 2016.

Dans un échange sur Facebook daté de juillet dernier, Gaëtan Servais nie toute action illégitime dans le sauvetage des Ardentes. Qu’en penser? « D’abord, pour moi, la collaboration essentielle avec Les Ardentes, pratiquement parlant, est avec Fabrice Lamproye, qui est un sacré programmateur, talentueux, répond Philippe Close. Et puis quand j’ai travaillé pendant une quinzaine d’années avec Jean Steffens, copatron des Francos de Spa, on m’a fait beaucoup de remarques sur sa personnalité, certains l’ont beaucoup décrié, mais sans lui, il n’y aurait pas eu de BSF. Dans ce panel-là, je cherche avec qui collaborer. »

Liège-Bruxelles?

C’est là aussi que l’on s’interroge. Vu sous l’angle politique, Philippe Close et ses amis vont donc proposer à un promoteur flamand concurrent de Live Nation – Greenhouse Talent, numéro deux sur le marché belge, fondé par Pascal Van De Velde, ex-Live Nation… – une exclu qui fait tiquer les autres agents chargés de dealer des concerts sur le marché national. Mais pourquoi ce partenariat avec Les Ardentes? Dans une carte blanche, publiée fin juin, notamment sur levif.be, le boss de Couleur Café, Patrick Wallens, privé de festival deux années de suite, résume l’enjeu. « Imaginerait-on un festival liégeois où la Ville demanderait à des bruxellois, genre Couleur Café, de venir proposer des artistes sur un site voisin de celui des Ardentes? Finalement, la question est la suivante: est-ce le rôle des politiques de prendre l’initiative? Pourquoi, dans le cas d’Arena 5, ne pas avoir organisé une concertation avec des promoteurs nationaux, qui ont des choses à proposer? Personnellement, je n’ai pas envie de lancer un second festival mais dans la démarche, pourquoi ne pas créer un événement porté par des gens qui ont un vrai projet avec du contenu? »

Patrick Wallens
Patrick Wallens© PHILIPPE CORNET

Philippe Close, vrai fan de rock, se défend en disant qu’il n’a aucun intérêt personnel dans cette capillarité d’événements. « Mon seul salaire est celui de bourgmestre, pour le reste, c’est du bénévolat, affime-t-il. Et je ne participe aucunement à la programmation! » Et dément une exclusivité avec Greenhouse: « Ce groupe-là, comme Les Ardentes, a investi de l’argent dans Arena 5, mais on travaille aussi avec des partenaires comme Hangar, une jeune agence bruxelloise spécialisée dans le DJing et l’électronique. On leur a d’ailleurs loué l’espace pour les soirées de Charlotte de Witte et Amelie Lens, qui cartonnent chez les jeunes. Amelie Lens a fait complet – 7 500 entrées – en trois jours. » L’accord passe aussi largement par Fimalac Entertainment, boîte française partie prenante des Ardentes à hauteur de 49% depuis l’été 2019. Et qui gère de nombreuses salles hexagonales ainsi que la carrière de nombreux artistes, dont Romeo Elvis et sa soeur Angèle.

La population de la ville augmente, comme son attractivité. Il y a de la place pour tout le monde. »

Philippe Close

L’ambition des Ardentes et de Fimalac, concurrent direct de Live Nation en France: doubler la fréquentation du festival liégeois, 25 000 la journée lors de la derrière édition en 2019, voire la pousser à 60 000 spectateurs d’ici à trois ans. Ce qui nécessitera des espaces supplémentaires – pas forcément du goût des riverains liégeois – et si cela n’est pas possible, voilà que se profile un éventuel déménagement à Bruxelles. Ce qui se passe en cet été 2021? Philippe Close ne nie pas avoir toujours voulu faire l’un ou l’autre très gros concert, ce que la localisation du BSF, au centre de Bruxelles, ne permet pas. D’où un scénario où l’un des terrains du Heysel – « mais pas le parc d’Osseghem (occupé par Couleur Café) » – pourrait accueillir 25 000 personnes, 30 000 voire plus.

Trop is te veel?

On peut aussi poser la question autrement: Bruxelles a-t-elle besoin d’un autre festival? Soit supprimer le BSF – peut-être pas – pour planter cet Arena 5 au nord de la capitale? Le décor est imposant puisque la scène en extérieur a dans le dos rien moins que l’historique Atomium. Le soir venu, bariolé de couleurs psychés. Depuis le 22 juillet, les résultats en matière de fréquentation sont variables. D’une jauge assise de 2 500 personnes à la station debout autorisée dès le 13 août et portée à 7 500 visiteurs, les chiffres flottent. Du flop public de la première soirée avec Véronique Sanson – 400 entrées payantes – au carton plein de la djette Amelie Lens. Mais l’annulation de la venue de Raphaël pour cause de préventes rachitiques – on parle de 200 tickets vendus – ou le regroupement du concert de Suarez avec celui d’Hooverphonic, ce 25 août, signent à la fois la précipitation dans la conception de l’événement et une absence de marque sonore identifiable.

En 2019, les Ardentes ont accueilli 25 000 festivaliers la journée. L'ambition serait de doubler cette fréquentation.
En 2019, les Ardentes ont accueilli 25 000 festivaliers la journée. L’ambition serait de doubler cette fréquentation.© BELGA IMAGE

L’éclectisme c’est bien, mais entre les Flamands dont les concerts s’annoncent fréquentés – comme Clouseau, le 22 août – et une rare apparition européenne du merveilleux Caetano Veloso, le 30 août, le grand écart est là. Attention à la crampe. « J’ai récemment discuté avec Philippe Close, il m’a fait remarquer que le parc d’Osseghem (NDLR: où le festival des musiques du monde se tenait depuis 2017) n’appartenait de toute façon pas à Couleur Café, indique Patrick Wallens. Et il a raison. Mais quid si Arena 5 programme Kendrick Lamar sur la plaine face au parc devant 25 000 ou 30 000 personnes? Si c’est en septembre, c’est OK mais si cela arrive en même temps que Couleur Café (NDLR: lire l’encadré ci-dessous) ou dix jours après, cela va bouffer notre public, de toute évidence. Alors qu’on est quand même un emblème de la Ville de Bruxelles et de la Région. »

Philippe Close se veut rassurant, réitérant son soutien à Couleur Café: « Depuis que j’organise des événements à Bruxelles, on m’explique qu’il n’y a pas la place pour tout cela, que telle manifestation va cannibiliser les autres, mais la population de la ville augmente, comme son attractivité. Donc, je pense qu’il y a de la place pour tout le monde. » Histoire, décidément, à suivre.

Au programme

  • Arena 5 se tient jusqu’au 11 septembre avec à l’affiche, entre autres, Trixie Whitley (28 août), Asaf Avidan (29 août), Caetano Veloso (30 août) et Sch (11 septembre).
  • Couleur Café propose le festival Gate sur deux week-ends: du 26 au 29 août et du 2 au 5 septembre. Prévu pour 1 500 personnes, il se déroulera essentiellement en plein air, à Anderlecht. Avec au programme LefTo (27 août), The Gallands (2 septembre), l’angolaise Pongo (2 septembre) ou encore Juicy (4 septembre),

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