La bataille de Waterloo a modifié notre régime et a provoqué l’éclosion du romantisme comme courant artistique. © getty images

L’histoire insoupçonnée du Brabant wallon

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

Juste une concentration de communes huppées, de zonings industriels et d’exploitations agricoles, le Brabant wallon? Absolument pas, rétorque l’historien Jean-Christophe Dubuisson.

L’historien rixensartois Jean-Christophe Dubuisson est enseignant et auteur de plusieurs ouvrages, dont le magistral L’Epopée de huit réfugiés juifs allemands dans l’Europe occupée (Racine, 2023, 232 p.). Durant deux étés, il a aussi tenu une chronique sur les antennes d’Antipode, la radio du Brabant wallon. Il y racontait l’histoire de la province au travers de dizaines de personnages, de lieux, de légendes et d’événements qui y sont liés. On y croise Victor Hugo et ses Misérables (dont le livre II démarre par une narration minutieuse du chemin menant de Nivelles à Waterloo), Madeleine Gausset, la première aéropostière belge, Jean Baptiste Decoster, le guide de Napoléon, le Bousvalois Odon Godart, qui fixa la date du débarquement de Normandie…

Un connaisseur autant qu’un amoureux de ces terres au fond très singulières qui «déjà au XIXe siècle attiraient les voyageurs, français et anglais notamment, venus à Bruxelles. Ils consacraient une journée au déplacement à Waterloo, sorte de lieu de pèlerinage ou de destination de tourisme de mémoire incontournable, un peu comme le sont devenues les plages de Normandie après la Seconde Guerre mondiale.» A ses yeux, c’est la présence au sud de Bruxelles de la forêt de Soignes qui a ensuite donné beaucoup du caractère qu’on connaît aujourd’hui au «BW»: «Elle a empêché la capitale de s’élargir, parce qu’il était hors de question de sacrifier ce poumon vert à l’urbanisation ; dès lors, pour ceux qui en avaient les moyens, et c’est allé crescendo avec la généralisation de l’automobile, dès les années 1960, les premières communes d’au-delà de la forêt, comme Braine-l’Alleud, Rixensart, La Hulpe ou Waterloo, sont devenues des lieux de résidence idéaux pour une population aisée. La construction de l’autoroute E411, en 1976, puis celle de la Nationale 25, en 1988, ont accéléré et amplifié l’installation d’habitants au sortir de la forêt de Soignes. Des habitants travaillant à Bruxelles ou, si on s’éloigne vers Namur, c’est-à-dire autour de Perwez, Walhain ou Jodoigne, se destinant aux exploitations agricoles.»

Le Brabant wallon fut le théâtre de combats décisifs en des lieux emblématiques de notre histoire.

Le boom et le détachement

Ce qui n’est toujours, alors, que la partie wallonne du Brabant, et pas encore une province à part entière, jouit aussi d’un avantage incontestable: son cadre de vie. «Grez-Doiceau, Lasnes, Rixensart, La Hulpe… Ce sont « les Ardennes brabançonnes« , reprend Jean-Christophe Dubuisson. Vous sortez de Bruxelles et, en une demi-heure, vous vous retrouvez dans un environnement vert, boisé, vallonné.» Cette arrivée massive d’une nouvelle population –elle a doublé entre 1947 et 2000–, bruxelloise puis aussi européenne, plutôt (voir très) aisée, qui peut bâtir pratiquement n’importe où et de n’importe quelle taille, puisque les terrains vierges sont si vastes et si nombreux, fera exploser les prix de l’immobilier, surtout au nord du Brabant wallon. «En fait, il n’y a plus que les communes tout à fait à l’ouest, comme Rebecq ou Tubize, ou celles à l’est, comme Ramillies, Orp-Jauche ou Jodoigne, qui restent abordables tout en disposant de plus d’espace. Mais on voit aujourd’hui que des projets immobiliers et des réaffectations résidentielles d’anciens sites industriels, comme la sucrerie de Genappe ou les usines sidérurgiques Emile Henricot à Court-Saint-Etienne, y fleurissent.»

Le livre II des Misérables de Victor Hugo démarre par une narration minutieuse du chemin menant de Nivelles à Waterloo.
Le livre II des Misérables de Victor Hugo démarre par une narration minutieuse du chemin menant de Nivelles à Waterloo. © National

Revers de la médaille, la dilution d’un ancrage local, d’une «identité» propre au Brabant wallon, n’en déplaise aux humoristes qui condensent toute la population de la province sous un même accent, une même allure et un même profil. «C’est clair que dans le Namurois, dans le Hainaut, à Liège ou au Luxembourg, il y a davantage d’attachement aux traditions, davantage un mode de « vie de village ». Normal: beaucoup de ceux qui se sont installés dans les communes limitrophes de Bruxelles ne l’ont fait que pour des raisons de facilité, de cadre de vie, en étant entrepreneurs, indépendants, en travaillant à Bruxelles ou dans de grandes structures, en n’y restant pas nécessairement pour toujours.»

L’artificiel et les fondements

Ce qui contribuerait à faire du BW une province un brin artificielle. Sachant que certains, dont des historiens, estiment que sa délimitation même est contestable, des zones ayant dû plus logiquement faire partie du Hainaut ou du Namurois? «De mon point de vue, oui, avance Jean-Christophe Dubuisson. En tout cas, on n’y a pas d’uniformité. Les communes d’après-forêt de Soignes et celles limitrophes à la province de Liège, de Namur ou de Hainaut n’ont rien à voir, que ce soit en matière de populations, de paysages ou d’histoire. Mais Louvain-la-Neuve et l’université, en son centre, et la E411, qui la traverse d’ouest, en est forment comme des liens entre ces disparités.»

L’histoire aussi, qui donne à la plus petite province de Belgique une taille XXL. «Quand on appelle la Belgique « le champ de bataille de l’Europe », le Brabant wallon l’incarne particulièrement: il fut le théâtre de combats, et de combats décisifs, accueillant donc des lieux emblématiques de notre histoire, des lieux où s’est en quelque sorte fondé le monde dans lequel on vit aujourd’hui. Il y a la bataille de Ramillies, en 1706, pendant la guerre de Succession d’Espagne. Il y a l’abbaye de Villers-la-Ville, mise à sac durant l’occupation française, ce qui modifia notre mode de vie puisque ce n’était désormais plus l’église qui régissait la société et que l’abbaye faisait vivre toute la région depuis 850 ans. Il y a la bataille de Waterloo, en 1815, qui nous a fait changer de régime et a provoqué l’éclosion du romantisme comme courant artistique. Victor Hugo, Byron, Walter Scott, Alexandre Dumas, Rimbaud, Verlaine, Baudelaire, Stendhal, Musset, Turner… Ils sont tous venus sur ses lieux d’histoire, les situant dans leurs œuvres. Il y eut aussi la destruction de Nivelles et de sa collégiale pendant la Seconde Guerre mondiale, qui eut un effet de traumatisme collectif comparable à celui des Parisiens lors de l’incendie de Notre-Dame en 2019.»

Preuves que le Brabant wallon est moins inauthentique que ce qu’on prétend.

Toutes les chroniques de Jean-Christophe Dubuisson sont sur facebook.com/jeanchristophedubuissonauteur

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